J.L. Miksa : Voyage chez un ancien mineur de charbon.
Durant de longues années je suis resté sans nouvelles de mon ancien ingénieur chef de service, Pierre K. C’était non seulement un chef, mais aussi un ami.
Puis un jour, alors que je venais d’écrire sur Nostalgia un petit article sur la mine, une personne s’est manifestée auprès du webmaster. Ce dernier m’a donné une adresse mail afin que je contacte cette personne. En lisant l’adresse mail, j’avais immédiatement compris qu’il s’agissait de mon ancien ingénieur.
J’étais ravi de cette nouvelle et aussitôt je lui ai envoyé un message, enfin le contact était établi.
Dès son premier message il disait qu’il passait chaque année quelques jour par ici pour visiter sa famille et des amis et il m’a proposé de le rencontrer lors de son prochain déplacement. Rendez-vous fut pris et l’attente a été très longue jusqu’à la date de nos retrouvailles.
Le jour venu, je l’attendais devant le restaurant retenu. Il n’était pas homme à s’inviter, c’est lui qui invitait ! Il disait venir accompagné d’un ami à lui. L’heure sonnante, ‘‘moins cinq minutes’’, voici qu’un superbe véhicule haut de gamme s’arrête près de moi. Je reconnais mon ami et vais à sa rencontre.
Ma joie était immense et son visage laissait également paraître un sourire généreux. Nous attendons son ami qui ne tarde pas à venir et rentrons déjeuner.
Au cours du repas nous reparlons de l’ancien temps, de choses et d’autres. J’étais ravi de partager quelques instants de sa vie. Il n’avait pas changé, sa voix toujours aussi forte, son autorité légendaire ne nous ont pas quitté durant tout le repas. Son ami, un ancien camarade de travail, était devenu commissaire de police, ‘‘ excusez du peu pour un ancien ouvrier mineur ’’. Pour prolonger un peu cette rencontre je les invite à prendre un café chez moi.
Dans ma maison nous poursuivons notre discussion ou chacun tente de prendre la parole pour conter ses aventures. Le commissaire qui était aussi un magnifique écrivain m’a confié un récit qui rendait hommage à celui qui fut le héros de sa jeunesse, Pierrot !
C’était un récit plein d’humour et de générosité. Nous avons bien ri et l’heure de la séparation avait sonné. Avant de nous lever de table, une fois encore il me demande de venir passer quelques jours chez lui, dans sa nouvelle région d’adoption. Il m’était impossible de refuser, je lui promettais de venir et nous sommes sorti de la maison. Je n’aime pas ces moments où généralement règne un petit malaise, mais ce jour-là fut une exception à la règle, les peines de la séparation ont été effacées par la bonne humeur et la joie de chacun. Les voici partis et je reste seul sur le seuil de ma porte, mais avec un cœur rempli de bonheur et la tête pleine de souvenirs.
J’étais heureux car je savais que j’allais le revoir à nouveau !
Les mois passaient une date pour ma visite chez mon ami fut retenue.
Le commissaire devait faire partie de l’expédition, mais malheureusement le sort en décida autrement. Quelques jours avant le départ il dut rester auprès de son épouse dont l’état de santé nécessitait sa présence. Cette triste nouvelle avait un peu atténué ma joie, mais l’idée de revoir celui que j’appelais Pierrot ne faisait que grandir mon impatience.
Enfin le grand jour du départ est arrivé. Comme à mon habitude je me lève bien en avance sur l’horaire prévu et après avoir bouclé ma valise je sors de la maison. Le ciel au petit jour du premier mai est nuageux, le sol humide témoigne que quelques gouttes de pluie venaient de tomber, je décide tout de même de ne pas emmener mon parapluie, la gare où je me rends à pied n’est pas loin. Je monte dans le TER qui arrive à l’heure, après une escale à Metz, puis à Paris, je file vers mon ami à toute allure bien assis dans le TGV.
Durant tout le trajet je revis les moments que nous avons passés ensemble durant les quelques années où il a été mon chef, j’ai hâte de le rencontrer.
La gare d’arrivée, Angers, n’est plus qu’à quelques minutes, je me lève et vais vers la porte de sortie du train. Il s’arrête, je descends, mes pulsations cardiaques changent de rythme, mon cœur passe en vitesse accélérée. Au tournant d’une galerie, depuis les marches que je monte, enfin je l’aperçois. Il me cherche du regard dans cette foule qui défile devant lui, je lance un grand sourire en m’approchant et il me voit. Je suis aux anges, je l’ai retrouvé.
Après une bonne poignée de main, nous quittons la gare. Nous montons dans sa voiture et partons vers son domicile. Il fait beau, la route est agréable, nous parlons de mon voyage et il me commente, tel un guide touristique tous les monuments que nous voyons.
Je découvre un homme amoureux de l’histoire locale qu’il semble connaitre sur bout des doigts. Sortis de la ville, les paysages qui défilent le long de la route sont magnifiques, il a toujours un mot pour tel village ou ville traversée.
Nous arrivons enfin à son domicile, une charmante maison de maître posée dans un jardin splendide. Je sors ma valise du coffre de sa voiture, nous montons l’escalier en colimaçon qui mène depuis la terrasse vers l’entrée de la cuisine. Nous entrons et d’emblée il me met à l’aise en me disant de me sentir comme à la maison. Il me fait le tour du propriétaire, il n’oublie aucune pièce et me demande si la chambre qu’il me présente me convient. J’accepte et il me laisse un instant afin que je pose mes affaires et me rafraîchisse un peu.
La chambre est spacieuse, sa fenêtre donne sur le jardin plein Sud, elle a sa propre douche, que demander de plus ?
Je le rejoins peu après dans la cuisine, et, certainement parce qu’il me sent encore un peu tendu, il me répète que je dois me sentir ici comme chez moi.
Je lui offre un petit cadeau et pose celui destiné à son épouse et nous prenons un verre.
Il n’est pas tard et il me propose alors de découvrir un peu son village. Nous sortons et allons vers les remparts du parc où se trouve l’abbaye et l’église abbatiale. Nous visitons l’église, la crypte, je vois les nombreuses reliques et le magnifique tombeau sculpté par David d’Angers, pour la sépulture de Bonchamps, général en chef des Vendéens mort de ses blessures à Saint Florent.
Puis nous revenons à la maison. Nous reprenons place à la table de la cuisine et soudain il se lève et me dit : ‘‘j’ai quelque chose pour toi’’.
Je le vois revenir avec une lampe de mineur de type Arras ainsi qu’un pic de porion qu’il m’offre. Je n’en crois pas mes yeux ni mes oreilles, j’ai du mal à cacher mon émotion, mes yeux s’embuent, mais pourquoi m’offre-t-il tout ça ?
- Tiens me dit-il, c’est la lampe de mineur et le piolet du porion.
La lampe est une authentique lampe qui a servi au fond de la mine, le piolet mesure très précisément 1 mètre et sur le manche il y a des clous de tapissier espacés de 10cm.
Ce piolet permettait au porion de prendre des mesures du temps ou l’ouvrier mineur était payé à l’avancement du chantier. Avec la pointe il sondait les veines de charbon et arrachait des échantillons pour les analyser, avec le bout plat il frappait les tuyauteries pour en vérifier l’état. Il me dit encore qu’il avait lu ma déception de n’avoir pas reçu une lampe à mon départ en retraite, c’est pourquoi il m’en donne une sortie de sa collection privée.
Je me disais, mais quelle générosité, et je n’ai trouvé en guise de remerciement qu’une bonne accolade et deux bises. Je lui explique maladroitement à quel point cela me fait honneur de recevoir de la part d’un vrai mineur cette distinction. Même si j’ai passé presque toute ma carrière aux houillères du bassin de Lorraine, dont les sept dernières dans une unité d’exploitation de charbon, en grande partie sous ses ordres, j’ai quitté l’entreprise sans cette reconnaissance. Maintenant, grâce à lui, je fais partie de la famille des mineurs.
Pierrot me remet la lampe et le piolet
L’émotion passée, je lui raconte à quel point j’ai regretté son départ. Lui était un chef, un vrai. Une personne avec de l’autorité, mais aussi avec du cœur.
Il accordait sa confiance à chacun qui la demandait, mais il ne fallait pas tricher.
Mieux valait lui dire qu’on ne savait pas, plutôt que de faire croire le contraire, car dans ce cas sa confiance était perdue. Il dirigeait un grand service, mais savait rester à l’écoute de chacun, quelque fut son emploi dans l’entreprise.
Il ne refusait jamais de recevoir qui que ce soit. La porte de son bureau, toujours ouverte, laissait passer même un simple ouvrier venu le solliciter pour une raison ou une autre.
Lui, n’avait pas oublié qui il était, d’où il venait ! Lui, c’était aussi celui qui m’avait tendu la main pour me rattraper quand d’autres me poussaient dans le dos afin que je tombe.
Sans son intervention je risquais de perdre ma place, au pire moment, quand ma santé m’affaiblissait. Je lui étais redevable de tant de choses, et voilà qu’une fois encore, c’est lui qui donne et moi qui reçois.
Pierrot a débuté sa vie active dans les tailles de charbon au Puits Gargan à Petite-Rosselle, une pelle à la main. Très vite son tempérament de guerrier et de meneur a fait qu’il gravisse un à un les échelons. De simple ouvrier il devient porion, puis porion de quartier. Il connait bien la mine et ses hommes, l’entreprise l’envoie alors dans une école de formation d’ingénieurs.
Il va apporter ses connaissances dans les mines d’uranium du Niger en Afrique, il se donne toujours corps et âme dans les différentes autres étapes professionnelles qu’il assume pleinement, à tel point que l’entreprise le rappelle pour qu’il s’investisse à nouveau pour elle. Le temps passe, cet homme sait ce qu’il fait, mais son caractère n’est pas toujours bien perçu par la hiérarchie.
Il ne se gêne pas de contredire. Trop direct, franc du collier, il ne cherche pas de détours, il va droit au but, toujours à l’essentiel. Il ne caresse jamais dans le sens du poil pour faire plaisir, mais il sait être reconnaissant. Il ne laisse personne indifférent. Il ne participe pas aux réceptions où les prétentieux se cherchent des appuis. Mais il n’oublie personne, surtout pas un ami...
Cet homme taillé dans le roc tel un menhir, est un des derniers vrais mineurs et j’ai la chance d’être avec lui… plusieurs jours même !
Nous abordons beaucoup de sujets, mais malheureusement, je reviens sur la mauvaise période que j’ai connue après son départ. Lisant sans doute ma souffrance sur mon visage, il me demande d’arrêter de parler du travail : ‘‘ tu es là en vacances et en retraite depuis tant d’années, alors passe à autre chose, oublie la mine ’’.
Je savais qu’il aimait la plongée, nous lui avions offert à son départ en retraite deux bouteilles de plongée, c’est pourquoi sans doute il commence un long récit sur ses voyages.
La Thaïlande, les Philippines, l’Indonésie et bien d’autres pays encore. Je découvre là un passionné de la mer, un aventurier hors normes.
Lui dont le travail consistait à sortir du charbon des entrailles de la terre, où tout est noir, poussiéreux et sale, il ne rêvait que du bleu du ciel et de la limpidité de l’eau de mer.
Il adorait le silence du monde sous-marin, loin des bruits des machines d’extraction.
Cet homme, sorti de sa carcasse de mineur, tel un poète me fait rêver du grand large.
Je suis avec lui sur son bateau quand il navigue, met ses bouteilles et plonge, quand il voyage sur terre dans les endroits où les touristes ne mettent jamais les pieds.
Je suis avec lui et avec son ami Jean, en moto en pleine brousse de Birmanie, nous échappons de justesse aux militaires qui gardent la frontière. Je négocie avec lui la statuette en or de Bouddha qu’il n’achètera pas dans cette boutique en pleine nuit, juste en face de son hôtel, car il sent le danger venir. Je partage ses repas faits de serpents, de fruits de mer et autres particularités locales. Je le vois entrer dans un hôtel où à la réception on lui demande :
- You want a room ? (Vous voulez une chambre ?)
- Yes. (Oui)
- You want a girl ? (Vous voulez une fille ?)
- No. (Non)
- You want a boy ? (Vous voulez un garçon ?)
- No. (non)
Moment de silence et le réceptionniste :
- Why ? You are sik sir ?... (Pourquoi, vous êtes malade monsieur ?)
Nous rions bien et il me dit que des histoires comme celle-ci il en a plein et m’en conte encore une. Celle où son ami n’avait pu s’empêcher de satisfaire un besoin viril avec une autochtone et en était revenu avec une petite souffrance. Dans la brousse où ils étaient il n’y avait pas d’hôpital, encore moins de médecin, mais heureusement ils ont pu arriver jusqu’à un dispensaire.
Là-bas des patients autochtones attendaient déjà leur tour. Lorsqu’ils arrivent et comme l’usage le voulait, ils sont reçus avant ces derniers. Ils en oublient leur humilité, saisissent l’occasion d’avancer, le cas de Jean est peut-être grave ! Ils arrivent devant une infirmière. Jean est gêné et tente de lui expliquer ce qui lui est arrivé à grand renfort de gestes. L’infirmière assise derrière son bureau lui demande alors, en joignant le geste à la parole : ‘‘put it here" (mettez le ici) en montrant le bord de table pas très loin d’elle.
Jean regarde hagard Pierrot qui lui dit de s’exécuter. Il déballe sa marchandise sur la table, l’infirmière d’un seul coup d’œil comprend ce dont il souffre et lui donne les médicaments appropriés. J’imaginais la scène du gaillard perdu en pleine brousse, poser une partie intime de son anatomie devant du monde et une infirmière, là, sur le coin d’une table.
Nous rions comme des enfants, mais l’heure du repas approche et il change de conversation.
Tout en préparant la table il me livre le programme qu’il a concocté pour mon séjour.
Je n’en reviens pas, il a tout prévu, les visites, les restaurants, tout est calé, je n’ai plus qu’à me laisser faire.
Il me demande d’ouvrir une bouteille de vin, c’est un Château Margaux et d’en transvaser une partie dans une carafe. Je m’exécute et il me présente les plats qu’il a choisi pour me faire plaisir, les meilleures spécialités locales, je n’en dirais pas plus.
A la fin du repas, je propose de faire la vaisselle, nous sommes en célibataires, son épouse était partie chez ses parents âgés et souffrants. Bien sûr il refuse, mais, avec un petit peu de violence j’arrive à mettre les mains dans l’évier pour laver les assiettes qu’il essuie sans tarder. Nous passons au séjour où je continue de voyager avec lui, j’apprends qu’il a tous les permis pour naviguer et que s’il n’avait pas rencontré sa charmante épouse, il aurait fait le tour du monde en bateau et vivrait sur la mer.
Il se fait tard et nous montons nous coucher, il me donne l’heure du lever pour le petit déjeuner.
J’ai eu du mal à m’endormir, j’ai été gâté, trop gâté, méritais-je vraiment tout cela ?
J’ai tout de même fini par m’endormir. J’ai dormi comme un loir et seuls quelques bruits feutrés et les lueurs du jour me tirèrent de mon sommeil.
Je suis descendu dans la cuisine où m’attendait le petit-déjeuner. Il ne manquait rien, avec beaucoup d’attention il me proposait le jus d’orange, le thé, le pain frais qu’il est allé chercher chez le boulanger et les confitures bio achetées chez les bonnes sœurs !
Je me suis dit, là c’est trop, ce n’est pas possible, il ne va pas être comme ça pendant toute la semaine ! Eh bien si ! Chaque jour il a été aux petits soins pour moi, c’est avec beaucoup de mal que j’ai pu participer un minimum aux tâches ménagères. Chez lui ce n’était pas de la façade, c’était un personnage entier, tel que je l’ai connu au travail. Là-bas il commandait, donnait les directives, faisait faire tout en assumant sa part de besogne, mais ici, chez lui, je ne pouvais et devais rien faire, les ordres ne venaient pas et les initiatives pas attendues.
Après la douche nous avons entrepris l’un de nos nombreux voyages. Pendant mon séjour j’ai pu découvrir les salins de Guérande, le Croisic, la Baule, le pont de Saint-Nazaire qu’il voulait absolument me faire traverser.
L’abbaye de Fontevraud, abbaye royale, où l’on trouve les gisants d’Isabelle d’Angoulême au côté de Richard Cœur de Lion et Aliénor d’Aquitaine au côté d’Henri II.
Nous avons visité Chinon avec ses quartiers pittoresques, un domaine viticole, celui de la Noblaie à Ligré, Angers et ses monuments.
Il m’a encore emmené à Nantes voir le fameux éléphant, le Passage Pommeray, le splendide magasin du chocolatier Gautier Debotté. Il m’a montré les chevalements des anciens puits de mines de charbon, les villes où habitent d’anciens compagnons du fond.
Il m’a emmené dans de beaux restaurants, ‘‘L’Océan’’ au Croisic, ‘‘Au Chapeau Rouge" à Chinon. Il refusait que je mette la main au porte-monnaie pour participer aux dépenses. C’est avec beaucoup de mal que j’ai pu régler la note d’un repas dans une crêperie, "La Tablée" à Angers, non sans qu’il ait réfléchi avant sur le montant que j’allais devoir débourser. Cet homme est tout simplement extraordinaire.
Sachant que j’ai passé toute ma vie professionnelle dans l’architecture et le bâtiment, il a voulu me montrer l’appartement qu’il convoitait avec son épouse. Il est situé à Angers, c’est un appartement sublime, rien d’extravagant, il est d’une grande sobriété. Les volumes sont parfaits, les lignes et la décoration m’ont fait rêver. En le visitant, j’ai eu la chair de poule et ressenti de douces vibrations, l’endroit porte la paix, donne la plénitude.
La veille de mon départ son épouse Michèle est rentrée de voyage. Cette dame à l’allure frêle, est discrète, depuis peu elle est en retraite. Elle est pharmacienne et tenait une pharmacie dans une ville pas très loin de la leur. Elle vient de rendre visite à ses parents vieillissants et semblait très affectée par leur état de santé qui se dégradait lentement.
Elle parlait d’eux avec amour, elle ne les abandonnait pas. J’ai eu la chance de faire sa connaissance car c’est une personne d’une douceur inimaginable, tant dans le geste que dans la voix. Durant mon séjour j’ai pu lire des poèmes qu’elle a écrits pour sa fille Marie, son livre de réflexions et d’aventures personnelles qui a été publié et primé. Michèle et Pierrot forment un couple magnifique, leur amour est intact, ils ne font qu’un.
Je suis heureux pour eux.
Voilà mon séjour chez ce fils de mineur, mineur lui-même, originaire de Petite-Rosselle.
J’ai découvert au fil des jours un homme qui n’a pas changé et qui ne changera plus.
Le cœur sur la main, il ne pense pas à lui mais demande toujours ce qui fait plaisir à celui qu’il reçoit. S’il est parfois brute dans son expression et son propos, c’est sa façon à lui de donner le meilleur de ce qu’il peut, et ainsi, il vous oblige à prendre, sans contrepartie.
Maintenant dans sa voiture qui nous mène à la gare, je suis encore perdu dans mon esprit, je voyage entre ciel, terre et mer, je n’ai pas tout digéré, pas livré ici d’autres histoires croustillantes plus personnelles, l’important est que je les ai entendues. S’il m’avait été assez facile de dire au revoir à son épouse Michèle, ma séparation avec Pierrot s’est faite dans sa voiture, après quelques dernières invitations et promesses, assez rapidement données, les cœurs étaient gros.
Il n’allait tout de même pas pleurer ! Lui ce meneur d’homme à la carrure de géant ! Toujours le premier, même dans son dernier sport favori, le tir au fusil à longue distance, dois-je dire qu’il a été champion dans sa catégorie ?
Non c’est inutile, vous avez compris que quand il fait quelque chose, il le fait bien et à fond.
Nous voilà séparés, je suis assis dans mon TGV, l’œil au loin, triste et perdu dans la campagne que je traverse. Je me console en me disant que je le reverrai bientôt, il me l’a promis et je sais qu’il tient toujours ses promesses.
En l’attendant, je le sais heureux avec sa charmante épouse, entouré des nombreux amis de sa nouvelle région du pays de Loire et de Bretagne.
Voici une dernière aventure qui lui est arrivée alors qu’il visitait un palais en Inde.
Se reposant à l’extérieur du palais, un adolescent attiré par la belle montre qu’il avait à son poignet s’est approché de lui. Il lui a dit :
- Tu me donnes ta montre ? Surpris, Pierrot lui demande :
- Et toi tu me donnes quoi ? Le jeune répond :
- Je te donne la mienne. Et la présente à Pierrot. C’était une montre, comme on peut se l’imaginer, de très bas de gamme. Celle de Pierrot c’était une montre de marque.
Pierrot lui dit :
- Là je suis perdant au change ! Le jeune répond aussitôt :
-Ah, mais la mienne donne aussi l’heure, comme la tienne, elle est très juste. C’est ça qu’on demande surtout à une montre !
Puis le jeune est parti, déçu… Pierrot s’est senti soudain gêné, il aurait dû faire l’échange… mais le jeune a été plus rapide que lui !
A la façon dont il m’a raconté cette aventure, je suis persuadé que si cette situation se présentait à nouveau, il donnerait sa montre sans la moindre hésitation.
* * * * * * * * * *
De retour chez moi, je déballe ma valise et me met à astiquer la magnifique lampe de mineur que Pierrot m’avait si généreusement offert. Et là, je découvre un fait troublant !
En lisant les inscriptions sur la plaque signalétique de la lampe, je constate que cette lampe a été homologuée l’année de ma naissance (1953) … et porte le numéro 143 (je suis né le 14 mars) … on aurait dit que cette lampe m’attendait et que lui seul pouvait m’offrir ce symbole fort de la profession minière...
Merci et Glück auf, chef ! Jean-Lucien Miksa, 07/05/2017
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JL Miksa : La société des mineurs de Stiring-Wendel
Visite auprès du président de la société de secours des ouvriers mineurs de Stiring-Wendel le 09 mai 2017.
En ce mardi ensoleillé, Walter vient me chercher pour que nous nous rendions auprès de Monsieur Gilbert Baumstummler, président de la société de secours des ouvriers mineurs de Stiring-Wendel qui habite la même ville.
A droite : Gilbert Baumstummler
L’accueil chez Gilbert est chaleureux, presque toute la famille nous reçoit et nous nous installons dans le séjour où très rapidement suivent les gâteaux et le café. Fils de mineur moi-même, je ne suis pas surpris par cette gentillesse qui règne dans les cités minières.
Je me présente et commence à poser des questions à Gilbert afin de tenter de cerner le personnage souriant qui est assis en face de moi. Il est âgé de 77 ans et a débuté sa carrière aux houillères du bassin de lorraine à 14 ans en entrant au criblage. A l’époque le triage du charbon se faisait à la main et les jeunes comme lui étaient embauchés pour cette tâche ingrate qui consistait à séparer les gros blocs de charbon des petits et de retirer de la bande transporteuse toute matière autre que le charbon.
Après deux années de ce dur labeur, il entre en apprentissage à l’école des mines du Puits Gargan à Petite-Rosselle, il me donne la date dont il se souvient comme si c’était hier : le 1er octobre 1954 très précisément. Il obtient son CAP de mineur à l’âge de 18 ans et débute sa carrière au fond de la mine dans le Puits Saint-Charles à Petite-Rosselle.
Il gravit les échelons et devient chef d’équipe, ce qui veut en dire long sur son tempérament. Il restera dans ce même Puits jusqu’en 1963. C’est l’année qui connait l’une des plus grandes grèves des mineurs. Sous les drapeaux à cette date, il est réquisitionné pour travailler à la production qui a fortement chuté.
Le temps passe et Gilbert sort de la production pour accompagner une entreprise extérieure aux houillères qui doit assurer la pose de rails au fond.
Il sera muté par trois fois pour se rendre dans d’autres sièges de production.
A Folschviller et à Faulquemont, chaque fois pour une durée de 2-3 ans, puis en fin de carrière il rejoindra le Puits Simon à Forbach. Il y sera affecté aux travaux neufs où il se consacrera durant 10 années à la production de charbon et 5 années comme boutefeu.
Hélas, lors d’un contrôle médical on détecte la silicose dans ses poumons. La médecine lui reconnait un taux d’invalidité de 5 pour cent pour cette raison. Dès lors sa hiérarchie le retire de la production pour lui éviter d’inhaler de la poussière de charbon. C’est ainsi qu’il continuera sa carrière de mineur de fond en assurant la maintenance des bandes transporteuses. Il exercera ce labeur pendant une période de 3 années environ, avant que la médecine du travail ne décèle une aggravation de son état de santé, augmente son incapacité définitive du travail pour la porter à 10 pour cent et lui montre la porte de sortie du monde du travail.
Il entre en pré-retraite en 1987 à l’âge de 47 ans.
Gilbert a connu des temps forts durant sa période d’activité qui l’ont marqué. Il ne regrette en rien d’avoir exercé ce dur métier, malgré qu’il soit handicapé par la maladie professionnelle du mineur, la silicose. Il retient de ces années d’activité du fond les bons moments passés avec ses camarades. Mot qu’il répète, la camaraderie, ce n’était pas une utopie, elle était réelle…
Il n’oublie aucuns de ceux qui ont travaillé à ses côtés. Il parle du soir de Noël passé au fond de la mine de Folschviller où chacun a ramené ce qu’il avait de précieux, du bon pain et du jambon pour le partager avec ses camarades. Il me raconte qu’il avait vu son porion un peu gêné se débarrasser de son casse-croûte alors qu’ils allaient partager leur repas.
Curieux il est allé rechercher ce dernier qu’il a déballé et c’est aperçu qu’entre deux tranches de pain il n’y avait que quelques patates rôties, les temps étaient durs…
Il se souvient, alors qu’avec ses camarades ils creusaient un bure (galerie verticale qui rejoint deux galeries superposées), les appels au secours d’un jeune mineur qui leur disait que la galerie d’où il vient connaît une importante voie d’eau. Il faut faire vite, la galerie risque d’être entièrement inondée. Sans hésiter son équipe traîne péniblement une pompe d’aspiration Woco qui fonctionne à air comprimé vers le lieu de l’inondation. Malheureusement alors qu’ils arrivent près de l’endroit, un effondrement rend leur progression impossible.
Ils frappent sur les tuyaux métalliques espérant obtenir une réponse … après un court instant ils entendent des coups frappés sur les mêmes tuyaux. A cet instant il y a encore des survivants de l’autre côté de l’effondrement, au même moment les secours arrivent, ils doivent quitter la place pour les laisser travailler… Il y a eu trois morts ce jour-là… son œil se mouille, il se tait, nous respectons tous cet instant de recueillement.
Puis il raconte comment il aurait pu y rester lui aussi, le jour où il est descendu avec ses camarades pour foncer un Puits (approfondir le Puits de Faulquemont, en creusant le fond et en bétonnant les parois). Le fonçage d’un Puits est une lourde tâche, les conditions de travail étaient rendues plus pénibles encore du fait de l’humidité qui régnait dans les lieux. Comme à chaque jour, avec son équipe il emprunte un Cuffat (sorte de grande marmite qui peut contenir plusieurs hommes et qui est reliée par un seul câble à un treuil pour la descente et la remonte) pour atteindre le fond. Ce dispositif passe au travers d’un plancher où une trappe rabattable permet son passage. A un moment donné, ils donnent le signal pour remonter le Cuffat qui est chargé des déblais et, à peine arrivé au-dessus du plancher de réception, le préposé rabat la trappe, c’est alors que le câble cède et le Cuffat lourdement chargé s’écrase sur la trappe. Gilbert remercie le préposé qui en agissant de la sorte leur a sauvé la vie, lui et son équipe étaient juste en dessous à plusieurs dizaines de mètres… il souligne la qualité de l’installation qui n’a pas cédé !
La société de secours des ouvriers mineurs de Stiring-Wendel a été créée en 1900 pour venir en aide aux mineurs qui tombaient en maladie et dont les 3 ou 4 premiers jours d’absence n’étaient pas rémunérés par l’employeur. La société leur versait une petite somme d’argent pour compenser un peu cette perte financière. Cette société forte de plus de 500 membres à ses débuts, dont le père de Gilbert qui en a même assuré pendant un temps le poste de secrétaire. C’est tout naturellement que lorsqu’il débute au criblage que son père l’incite à adhérer à la société. Gilbert ne quittera jamais plus cette société qui dans les années avant la fin de l’extraction charbonnière comptait encore près de 300 membres.
Aujourd’hui 199 membres en font partie, ainsi qu’une vingtaine de sympathisants (les membres cotisent pour une assurance décès alors que les sympathisants ne peuvent plus y adhérer).
Il a été encaisseur pendant un très grand nombre d’années avant de se présenter à la présidence. Toutes ses actions sont effectuées à titre bénévole, il ne s’octroie aucune compensation financière pour les frais engendrés par ses différentes responsabilités.
Il met un point d’honneur à les régler de sa propre poche.
La société comptait 10 présidents avant son élection, il en devient le 11ème en 2003 et se souvient du temps où la société pouvait se permettre de distribuer de petits cadeaux lors d’évènements tels le mariage d’un membre, les noces de 25 ans de mariage ou lorsqu’un adhérent atteignait une ancienneté de 50 ans dans la société, et d’autres petites occasions qui méritaient récompense amicale. Les élections des miss mineurs, les fêtes et banquets, la joie toujours intacte de retrouver les membres des sociétés de mineurs.
La société de Stiring-Wendel a toujours participé à des manifestations minières, tant en France qu’en Sarre. Voici une partie non exhaustive des commémorations qu’elle suit régulièrement :
- 07 février, catastrophe de Luisenthal en 1962 - 299 victimes.
- 25 février, catastrophe du Puits Simon en 1985 - 22 victimes.
- 15 mars, catastrophe du Puits Vuillemin en 1907 – 83 victimes. Cérémonie le matin au cimetière de Stiring-Wendel ou reposent les 7 mineurs de la ville (au même monument à Petite-Rosselle reposent 30 mineurs de la ville. D’autres villes touchées par la catastrophe ont elles aussi le même monument). Cérémonie l’après-midi à la stèle du Puits Vuillemin même à Petite-Rosselle.
- 24 septembre, grande messe annuelle pour la commémoration de toutes les victimes de la mine.
- 30 septembre, catastrophe du Puits Vouters en 1976 – 16 victimes.
- 16 novembre, traditionnelle messe de la Sainte Barbe et banquet de la Société.
La société participe bien sûr à de nombreuses autres manifestations avec les autres sociétés de mineurs de la région et de la Sarre toute proche.
Gilbert est très investi dans son action de président qu’il mène malgré son âge avancé d’une noble et respectueuse manière vis-à-vis de la corporation.
Dans sa bouche le mot respect a de la valeur, les célébrations sont sérieuses, la gravité des catastrophes est ressentie pendant le déroulement de celles-ci.
Mais c’est aussi un homme qui bouge, qui regarde l’avenir avec plaisir.
Lorsqu’il a pris la présidence de la société en 2003, lors d’une commémoration il a vu les jolis costumes des mineurs de Bexbach en Sarre, aussitôt il a voulu changer ceux de sa société. Les chemises noires ne sont plus d’actualité et chaque membre en choisi une selon ses goûts.
Les cravates, qui sont obligatoires, sont passées du jaune au bleu.
Aujourd’hui il fait confectionner des teeshirts avec écusson aux couleurs de la société.
Les quelques membres féminins se verront attribuer un magnifique foulard bleu intense avec le même écusson (le tissu a été choisi par le président lui-même). Il a aussi participé à la réalisation du dernier drapeau de la société en 2007 et en est fier.
Gilbert est un peu triste en constatant que les jeunes se désintéressent des sociétés de mineurs, sauf ses deux enfants (pourtant non mineurs) qui sont dans la société de Stiring-Wendel. Gilbert nous annonce qu’il pense arrêter ses fonctions en 2018 après 15 ans de bons et loyaux services et il dit avec un grand sourire empreint de fierté : le prochain président sera l’un de mes fils, Jean-Claude (époux de Marie-Rose) nous serons alors président de père en fils !
Il poursuivra alors paisiblement sa retraite dans son beau logement où trône majestueusement une statue de Sainte-Barbe qui lui accorde généreusement sa protection.
Bien entendu, tant que ses forces le lui permettront, il participera à toutes les manifestions honorant les mineurs.
M. Baumstummler est décoré de deux médailles du mérite. La première décernée par Union Nationale des Combattants pour son activité de porte-drapeau et la seconde pour son activité d’encaisseur. Glück auf !
Ci-après le nouveau drapeau et les deux anciens rescapés à ce jour que possède la société.
1er drapeau
2ème drapeau
3ème et actuel drapeau
Nul ne sait ce que sont devenus les autres drapeaux, disparus avec les guerres et le temps.
Il y en avait cinq en tout :
Le 1er : 26/06/1904, le 2ème : 17/06/1923, le 3ème : 21/07/1947, le 4ème : 04/12/1947
Foulard des dames membres de la société
Assis : Mme Inge et Mr Gilbert Baumstummler.
Debouts : Marie-Rose (belle fille de Inge et Gilbert) et Walter Heitzmann,
mineur et membre de la société.
Les présidents successifs de la société :
- 1900-1903 : M. Lauer Jacques
- 1903-1904 : M. Schneider Charles
- 1904-1906 : M. Quint Theodor
- 1906-1909 : M. Funck Pierre
- 1909-1920 : M. Hammann Nicolas
- 1920-1926 : M. Stark Charles
- 1926-1935 : M. Krack Gustav
- 1935-1977 : M. Ostermann J. Pierre
- 1977-1978 : M. Ostermann René
- 1977-2003 : M. Ostermann Albert
- 2003 : M. Baumstummler Gilbert
Reportage réalisé par J-L Miksa le 12/05/2017.
Pour finir, en cadeau pour nos amis mineurs d'ici et d'ailleurs, la chanson Charbon :
→ INFO :
Si d'autres associations de mineurs locales souhaitent participer à un reportage, elles sont évidemment les bienvenues. N'hésitez pas à nous contacter par mail !
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Jean-François Hurth : La mine-musée de Velsen (Sarre)
ROSSELLOIS de naissance et mineur de fond comme il se devait pour un gamin qui avait 16 ans en 1957, j'ai quitté la mine et la Région en 1964. Ensuite, vagabond géographique d'une carrière de Policier, je me suis finalement posé à METZ depuis près de 30 ans.
Jamais je n'ai cessé d'aimer mon "Noir Coin" de naissance, mais aussi pour des raisons vraiment personnelles, j'aime un très voisin "Joli Coin", que ses bilingues habitants appellent "SCHOENECK".
Lorsque par périodes j'étais en poste, dans le District de Police de Forbach, il m'arrivait souvent, d'inviter des délégations de collègues Français ou étrangers à visiter l'un ou l'autre Puits de mine encore en activité dans ces années 85/95. Cela ne ressemblait déjà que très peu à la mine que j'avais connue, celle des années 50/60
Le progrès avait heureusement fait son oeuvre. Là où précédemment une centaine de mineurs oeuvraient à la hache, à la pelle, au pic et aux bruyantes machines à air comprimé, il en restait une vingtaine à surveiller de gigantesques machines, qui abattaient de fabuleuses quantités de charbon, poussées par d'énormes pachydermes mécaniques, que l'on faisait avancer aux ordres de commandes hydrauliques. Les techniciens parleraient de "soutènement marchant ".
Mais tous ces temps sont révolus et nous voilà donc à l'ère des "Musées de la mine".
Un bel exemple au "Carreau de Wendel" à PETITE-ROSSELLE et un autre, encore plus proche de notre mémoire collective, se situe à VELSEN en Sarre, juste à côté de GRANDE-ROSSELLE.
C'est ce musée, cette "Mine Image", que j'ai fait visiter tout récemment à une quinzaine de membres de mon club de marche à Metz. Dès le matin, accueillis par quatre authentiques Rossellois nous avions fait une quinzaine de kilomètres à pied par la forêt de Klarenthal, de VELSEN à PETITE-ROSSELLE, sans oublier les rues, les cités et ce qui restent de vestiges miniers dans le secteur.
Ensuite retour au carreau de VELSEN pour "faire le Briquet" du mineur à la cantine du puits qui est restée en l'état.
Finalement, visite d'environ 3 heures de la "mine image", toute belle, toute propre et toute sécurisée pour les touristes que nous étions.
Alors, étant le seul de la bande à avoir connu la mine, je n'ai pu m'empêcher de rappeler à mon groupe, après la visite et avec un peu d'humour préélectoral, ce qu'aucune "Mine Musée" ne peut faire vivre émotionnellement à ses visiteurs.
Voici donc la modeste teneur de ce propos du 26 Avril dernier, dans la salle d'accueil du :
Tout d'abord chers amis, deux AVEUX du vieux Commissaire de Police que je suis !
- Je ne SAIS toujours PAS si FRANCOIS FILLON, habillé de l'ultime "VESTE" taillée par son électorat, verra la nécessité de réclamer les beaux COSTARDS, qu'il portait au temps de sa GLOIRE.
- Je ne SAIS pas non plus si Madame MACRON va enfin avouer que son jeune EMMANUEL, est en réalité le fruit d'une torride aventure avec CHIRAC, qui avait des maîtresses à la PELLE. Mais je vous rassure, ces affaires seront bientôt ELUCIDEES par mes meilleurs LIMIERS.
PAR CONTRE !
- JE SAIS, en ma qualité de vieux mineur de fond, de 1956 et 1964, ce que nous n'avons PAS VU, pas ENTENDU, ni RESSENTI au cours de cette visite. Et notre guide n'y est pour rien, évidemment !
- Nous n'avons pas VU de mineur noir de charbon, dégoulinant de sueur, avec pour seuls habits ses bottes, son casque et un pagne en toile de jute autour du ventre, pour travailler en front de taille. Notamment au Puits GARGAN à Petite-Rosselle, dans la veine "IRMA", par exemple.
- Nous n'avons pas VU, ni souffert du mauvais temps de la mine. L'humidité souvent et même la pluie par endroits, provoquées par les eaux d'exhaure et la géologie du terrain.
- Nous n'avons pas VU les RATS, et Dieu sait s'il y en avaient beaucoup pour nous surprendre dans les moindres recoins et, même boulotter nos casse-croûtes, lorsque nos musettes n'étaient pas accrochées en hauteur.
- Nous n'avons pas RESSENTI la suffocante chaleur qui allait dans certaines tailles, jusqu'à 35°, comme au Puits WENDEL dans la veine "X1" par exemple, et qui nécessitait une consommation de 4 à 5 litres de boisson par poste. Et, sortant de ces tailles trop chaudes, nous n'avons pas non plus été balayés comme le mineur, par un courant d'air permanent, glacé par endroits et provoqué par l'indispensable aérage de ces profondeurs grisouteuses.
- Nous n'avons pas ENTENDU "L' INFERNAL BRUIT DES MACHINES" : Celui des Haveuses, des convoyeurs à raclettes, des foreuses et des marteaux piqueurs, ainsi que les Tirs et les Dynamitages permanents. Dans la mine et surtout dans les tailles, c'étaient toujours des hurlements pour communiquer, pour s'interpeller.
- Nous n'avons pas RESSENTI, la trouille et l'insécurité permanente, liées au danger que les mineurs n'avaient d'autre choix que d'oublier et pour leur malheur souvent, de banaliser.
Enfin, nous n'avons pas RESSENTI la pression de la nécessité de rendement, les hurlements de ces Chefs d'après guerre, qui avaient souvent davantage de voix.. que de diplômes.
Oui, impossible de recréer dans une "MINE IMAGE" cette si troublante atmosphère, à la fois dramatique et de grande solidarité.
Mais il y avait de bons moments. Nous étions presque tous fumeurs à l'époque, et au fond il était strictement interdit de fumer, bien sûr. (Streng Verboten ! )
Alors à la sortie, arrivés aux Bains/Douches, encore appelés salle des "Pendus" ou "Zechtub" en patois..., le très chronologique rituel consistait à se débarrasser D'ABORD des habits sales et humides. Ensuite, A POIL, chacun allumait sa 1ère cigarette et, presque toujours s'autorisait une canette, achetée à bas prix chez le préposé aux bains, (le Baadewerter)..
La douche c'était "APRES " et là, il faut imaginer la centaine de mineurs à poils, à la queue leu leu, l'un frottant le dos de l'autre, contents d'en avoir fini de cette journée et de rentrer chez eux, indemnes. Je vous épargne les blagues, et la poésie des interpellations en bilingue coloré, ça prendrait des heures..
Voilà ce que je voulais vous dire de cette mine des années 50/60. Elle me laisse un tel souvenir que même mes 18 mois de guerre en Algérie et mes 35 années de Police, pas mal "décoiffantes" non plus, n'ont jamais su égaler.
Et maintenant, avant de nous quitter, et si mon Harmonica le veut bien, je vais tenter de vous jouer une très belle chanson de mineur que tout le monde connaît. Son titre :
LES CORONS- de PIERRE BACHELET !
En vous précisant tout de même, que les CORONS ce n'était pas seulement le NORD, mais aussi l'EST, le CENTRE et ici en SARRE, bien entendu.
Allez GLÜCK AUF à tous, bon retour et merci de chanter avec moi… Jean-François Hurth
Dernière minute !
A la demande de la gente féminine,
voici une photo avec commentaire personnel de l'ami Fronz.
Mei liives Corinne oun mei goudes Chantal.
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Nadine Chaboussie : le bonheur est... dans la mare !
Nous avons huit ans toutes les deux et en cette journée ensoleillée de juin 1958, mon amie Marie-Thérèse et moi-même avons décidé d’aller jouer à la mare.
Souvenez-vous, cette place n’avait de mare que le nom car cela faisait bien longtemps qu’il n’y avait plus d’eau à cet endroit…
Notre ami Joe Surowiecki, qui était un des premiers habitants de la Ferme de Schoeneck, se souvient encore de cette flaque d’eau dans laquelle barbotaient occasionnellement quelques canards avant qu’elle ne devienne le terrain sur lequel les entreprises stockaient la terre venant du creusement des fondations ainsi que les différents matériaux destinés à la construction des baraques.
Une fois les travaux finis, le sol fut égalisé puis recouvert de sable rouge et une de ces entreprises oublia, pour une raison qui restera à tout jamais un mystère, un lourd rouleau en béton qui avait été posé au pied du grand saule pleureur.
Bref, de la mare de jadis il ne restait que le nom et l’endroit était devenu, grâce au sable rouge et au rouleau, le terrain de jeux favoris de tous les enfants de la Ferme…
Mais ceci est une autre histoire, revenons plutôt à notre excursion à la mare…
Dans un petit cageot nous avons entassé nos poupées en chiffons, de petites balles colorées en caoutchouc, un jeu d'osselets, quelques billes, nos casse-croûtes et deux gourdes remplies d'eau fraîche.
Arrivées à la mare nous décidons de préparer une maison pour nos poupées. Pour ce faire, nous commençons par arracher quelques branches du majestueux saule pleureur qui vont nous servir de balai afin de nettoyer, en bonnes petites mères de familles, l’endroit choisi pour notre future maison.
Dans le sable nous traçons un cercle, balayons l'intérieur et déposons les branches en suivant les contours du cercle. Pour matérialiser la porte d'entrée, un simple bâton posé à terre fait parfaitement l'affaire.
Nous couchons nos poupées sur de vieilles serviettes pour qu’elles fassent leur sieste et nous pouvons enfin commencer à jouer à l'extérieur de notre ‘maison de filles’.
A titre d'information, sachez qu'une 'maison de fille' n’a, par définition, rien de commun avec les cabanes à vocation bien plus ‘guerrière’ que construisaient les garçons.
S’il avait plu la veille, on prélevait délicatement de petites galettes de sable rouge desséchées du sol de la mare et on s'en servait d'assiettes qu'on remplissaient d'herbes et de plantes diverses. Lors de ces 'dînette entre mamans’, on poussait le réalisme jusqu’à manger parfois le contenu de nos assiettes... mais fort heureusement pas les assiettes !
Ce jour là, nous étions donc tranquillement en train de jouer, lorsqu'un grand garçon de 12 ou 13 ans vint se joindre à nous et se proposa de participer à nos jeux…
Il nous dit s'appeler Helmut, Helmut Jung. Notre nouveau copain commença par nous apprendre à jongler avec trois balles de couleurs différentes puis nous raconta avec force gestes plein de belles histoires et termina l’après-midi en notre compagnie en jouant à la marelle, aux osselets, et même à une mémorable partie de Colin-Maillard durant laquelle nous nous sommes follement amusées et avons ri aux éclats...
Se sentant accepté dans notre petit groupe et mis en confiance, Helmut s'ouvrit un peu plus à nous et nous parla de lui et de sa famille...
Il nous confia qu'il avait deux grand frères et que, lorsqu'il était petit, sa maman l'habillait souvent avec des robes et lui offrait même des poupées pour jouer.
J’avais par ailleurs remarqué que Helmut avait un timbre de voix particulier, mais à cette époque j'ignorais encore que la voix des garçons muait à l’âge de l’adolescence. Contrairement aux autres garçons que nous connaissions, notre ami Helmut avait des gestes doux, était gentil et prévenant et j'étais très fière de l'avoir comme compagnon de jeux.
Puis les années ont passé et nous avons déménagé à Behren, rue de la Liberté...
Malheureusement, cette rue n'avait de Liberté que le nom et je regrettais longtemps d’avoir dû quitter les baraques de ma chère Ferme de Schoeneck…
Au fil des mois et des années j’essayais tant bien que mal de m’habituer à cette nouvelle vie dans ce nouvel endroit et, en 1962, par le plus grand des hasards, toujours à Behren, j'ai croisé Helmut qui se promenait main dans la main avec son ami qui habitait à Gersweiler en Allemagne. Ils étaient déjà amis à la Ferme, j'avais grandi, Helmut ne m'a pas reconnue et moi, par timidité, je n'ai pas osé lui parler ce qui était bien dommage…
Nous ne nous sommes malheureusement plus jamais revus depuis et j’ai appris, il n’y a pas très longtemps d'ailleurs, que mon copain d'enfance Helmut était décédé depuis quelques années. Personnellement, j’ai gardé un très bon souvenir de sa personne et je n'oublierai jamais sa gentillesse, sa disponibilité et les intenses moments de jeux et de rigolades passés en sa compagnie…
Un autre jour, toujours à la mare je vois arriver Jean-Pierre Steigner. Jean-Pierre était, je crois, fils unique ce qui était rare à la Ferme. Ses parents distribuaient les journaux et dans notre langage d’enfants, nous appelions pompeusement son père le ‘journaliste’.
Il existait à l’époque deux journaux locaux, le Républicain Lorrain et sa version en allemand France-Journal ainsi qu’un hebdomadaire catholique également bilingue qui s’appelait L’ami des Foyers Chrétiens. Les familles d'origine polonaises, dont je faisait partie, lisaient également un journal polonais très connu durant ces années là, le Narodewiec…
Je me souviens également de la mère de Jean-Pierre appelant, avec un fort accent germanique, son rejeton depuis la fenêtre largement ouverte de leur baraque :
- CHOMMMMPIA...!
Et le Chommmmpia arrivait en courant, sortant je ne sais d'où...
Moi, je pensais naïvement que c'était son vrai prénom et je trouvais ce prénom non seulement très moche mais en plus, complètement ridicule…
Ce matin là, Jean-Pierre arriva à la mare où nous étions plusieurs enfants en train de jouer à Tarzan. Ce jeu de notre invention, consistait à monter sur le rouleau, à s'accrocher à une branche du saule, à se balancer, à crier et à se lancer finalement le plus loin possible pour retomber à terre dans le sable qui amortissait notre chute.
Nous étions en train de jouer, tous en file indienne à ce jeu assez ‘physique’ et Chommmmpia était juste devant moi. Comme je trouvais qu’il hésitait un peu trop et qu'il n’avançait pas assez vite, je le poussais en bas du rouleau. Chommmmpia rata bien sûr la branche à laquelle il devait s’accrocher, tomba et heurta violemment le sol. Sous le choc il hurla si fort de douleur que j’étais certaine qu’il venait de se casser le bras et que c’était moi la responsable de son accident…
Prise de panique, je filais comme une flèche vers la maison et j’allais vite me cacher dans la porcherie, l’endroit où je me réfugiais chaque fois que je pensais avoir fait une grosse bêtise…
En général on ne me trouvait pas dans cette ‘planque’ et, après ce qui me semblait un long moment, ne voyant toujours rien venir, je décidais de sortir de ma cachette.
Bien sûr, je n’étais pas très fière de mon comportement. Le pire, c’est que pour me rendre à l'école du village, je n'avais pas le choix, je devais obligatoirement passer, quatre fois par jour, devant la baraque du Chommmmpia qui était située rue de la Ferme, la rue principale de la cité…
Chaque fois que j’arrivais à la hauteur de cette baraque, je fonçais, tête baissée de peur que ses parents ne m'attrapent pour me flanquer une correction.
Il m’arrive encore aujourd’hui de me poser la question si je lui est vraiment cassé un bras… Hélas, à ce jour je n’ai pas trouvé la réponse et, si par le plus grand des hasards il devait lire ses lignes, qu’il sache que j’en suis sincèrement désolée !
La mare... Cet endroit magique où les enfants de la Ferme se retrouvaient pour jouer reste quant à elle, à jamais gravée dans nos mémoires et fera pour toujours partie de nos plus merveilleux souvenirs d'enfance... Ça au moins, c’est une certitude !
Pour illustrer en musique nos jeux d'enfants, voici ci-dessous la chanson Le grand Blek écrit et interprété par Clément Keller :
Pour lire les récits de Nadine, cliquez sur les titres :
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