Nadine Chaboussie : la sale guerre 39-45 (Récits 1 & 2)
Il n'y a pas d'arbres ni de plantes sans racines !
Il n'y a pas d'avenir sans passé. Victor Hugo.
La sale guerre (1)
Dans leur baraque, au 120b rue des Sapins à la Ferme de Schoeneck, très souvent mes parents recevaient des ami(e)s avec lesquels ils partageaient leurs repas, et ce, toujours dans une atmosphère très conviviale. Nos invités appréciaient les succulents plats cuisinés par ma mère, toujours servis copieusement avec la générosité du cœur.
Parmi tous ces ami(e)s, nombreux étaient ceux qui, comme mes parents, ont également subis les horreurs de cette terrible et sale guerre 1939-1945.
A la fin de ces repas toujours bien arrosés, mon père avait l’habitude de demander aux enfants de sortir de la maison et d'aller jouer dehors.
Bien sûr on obéissait, mais en été, une fois dehors, sans faire de bruit, je m'asseyais sous la fenêtre ouverte de la salle à manger dont les volets étaient coffrés et, là, je tendais mes deux oreilles afin de ne rien perdre des conversations qui se déroulaient à l'intérieur. Cette curiosité d'enfant me permet aujourd'hui de raconter une partie de leur terrible vécu durant ces années noires car mes parents n'en parlaient jamais devant nous.
Le plus souvent, le sujet de leurs conversations tournait autour de la guerre et des horreurs qu'ils ont vues et subies dans les camps de concentrations en Allemagne.
Mon père était le parrain de Henryk le fils à ma marraine et tous deux sont restés amis jusqu'à leur mort. Jeanne, qui est devenue plus tard ma marraine à la Ferme de Schoeneck, avaient été internés à Sachsenhausen et ma mère fut contrainte de travailler dans une fabrique de munitions à Lubeck.
Je ne me souviens plus des différents endroits où les autres invités avaient été faits prisonniers mais tous décrivaient de grandes souffrances, parlaient de la faim, des traumatismes physique et psychiques et de la peur quasi permanente d’avoir à subir toutes ces injustices.
Ce que j'ai retenu de leurs témoignages, c'est qu'ils s'accordaient et convergeaient sur de nombreux points car ils avaient tous vécus cette même douloureuse et dévastatrice guerre dans leur chair et dans leur âme.
Le fait d’avoir écouté leurs conversations m’a fait rapidement comprendre que leurs vies n’étaient qu’une suite de souffrances et d’humiliations subies durant cette triste et barbare période.
Mon père racontait qu'il était né à Jena en Allemagne car son père, conducteur de travaux sur des chantiers routiers, était en déplacement au moment de sa naissance.
En 1939, à l'âge de 19 ans, des policiers l'on arrêté à Jena. Après lui avoir demandé de présenter ces papiers, les policiers lui ont dit:
- Tu es né en Allemagne, donc tu vas porter l'uniforme !
Mon père refusa et répondit qu’il préférait plutôt crever que de porter cet uniforme qu'il haïssait.
Il fut arrêté sur le champ et emmené sans autre forme de procès dans un camp d'internement près de Sachsenhausen dont je ne me rappelle plus du nom.
Environ deux ans après son arrestation, il s'est évadé en compagnie d’une fille prénommée Anna, mais a vite été rattrapé.
C'est en sautant du train pour essayer d'échapper à ses poursuivants qu'il s'est ouvert la paume de la main et en a gardé une profonde cicatrice visible jusqu'à sa mort.
Il n'a plus jamais eu de nouvelles de son amie Anna et, après cette tentative de fuite, il a été emprisonné dans le terrible camp de Sachsenhausen d'où il ne fut libéré qu'en en 1945.
Dans ce camp, en hiver les prisonniers étaient chargés de casser des cailloux et en été, ils travaillaient dans les fours.
Tout ce programme avait été minutieusement mis au point pour mieux exterminer des êtres humains dans le cadre de la théorie nazie des 'vies indignes d'être vécues'.
Mon père disait qu'il avait tellement souffert de la faim que lorsqu'une personne passait un peu trop près et un peu trop vite près de lui, le seul déplacement d'air le déséquilibrait, tellement il était maigre et affaibli.
Il racontait qu'un jour un Kapo avait réuni 200 prisonniers et les avait alignés pour former deux groupes de 100. Mon père se trouvait avec deux autres camarades d’infortune vers le fond au bord d'un de ces groupes et le Kapo leur fit signe de la tête de changer de groupe. L'autre groupe est parti et il ne les a plus jamais revus.
Dans ces moments-là, il était certain qu'un ange veillait sur lui.
Au début de la guerre mon père avait 19 ans et ma mère 14 ans.
Lorsque les Allemands sont venus 'rafler' les enfants dans le collège en Pologne où ma mère était interne avec sa sœur Christine et ses deux grands frères Casimir et Henryk, on les chargea dans des Bus qui partirent pour Lubeck en Allemagne où on les força à travailler dans une usine de munitions.
Arrivés sur place ils furent séparés et c'est en 1976 qu'ils se retrouvèrent en Pologne grâce aux recherches faites par la Croix Rouge internationale.
De cette rafle d'enfants, ma mère était la plus jeune des filles et disait qu'elle s'est toujours sentie protégée par les plus grandes.
Pour la majorité de ces rescapés, contrairement à ce qui se passe de nos jours, aucune cellule psychologique n’avait été mise en place pour les aider à surmonter les traumatismes liés à toutes les maltraitances subies. Malgré tout, plein d'espoir et de courage ils ont rapidement surmonté toutes ces épreuves et sont venus en France pour exercer le dur métier de mineur de fond et se construire un avenir dans ce pays qui allait devenir leur nouvelle patrie…
Aujourd'hui, parfois pour un simple « pet de travers », j'en connais qui consultent un psy !
Que voulez-vous, autre époque, autres mœurs !
La sale guerre (2)
Ma mère a eu un accident grave lors de l'explosion de la machine sur laquelle elle travaillait à la fabrique de munitions de Lubeck. Elle fut projetée contre un vasistas et ne doit sa vie que grâce sa petite taille.
Très gravement brulée, elle s'est retrouvée éjectée à l'extérieur du bâtiment dans un pré, et fut soignée uniquement à la pommade noire, cette préparation apaisante pour l’inflammation de la peau encore utilisée de nos jours par certains éleveurs pour soigner leur bétail…
Je me souviens également avoir entendu, lors des réunions d'ami(e)s chez mes parents, que dans les camps, les bébés étaient amenés aux mamans le matin pour qu’elles puissent les allaiter et, qu’à la tétée suivante on leurs disait que leur bébé était mort…
Il est possible que ces enfants aient servis de cobayes pour faire des expériences dites « médicales » ou qu’ils aient été confiés à des familles nazies afin de les élever dans des « Lebensborn », ces associations allemandes gérées par la SS dont le but était d’accélérer la création et le développement d’une « race Aryenne » pure et dominante…
A Sachsenhausen, dans ce camp de malheurs, mon père a été opéré à vif d'un énorme fibrome sous l'aisselle dont il a gardé une cicatrice de 15 cm. La seule chose dont il s’est souvenu c’était d’avoir senti comme un trait glacé qui le transperçait avant de perdre connaissance.
A la fin de la guerre, avec comme seul moyen de transport un vieux vélo, il s'est improvisé vendeur ambulant et parcourait les camps avec dans sa valise des chaussettes, des bas, des savons, du maquillage, des crèmes, des boites de conserves et tous ces menus objets qui manquaient au quotidien...
C'est là qu'il fit connaissance de ma mère, laquelle, n'ayant plus de nouvelles de sa famille en Pologne, s'apprêtait à émigrer en Angleterre avec des collègues qui avaient également travaillés dans cette fabrique de munitions.
Suite à la rencontre avec mon père, elle est restée en Allemagne avec lui et leur mariage a eu lieu à Lubeck.
Peu de temps après, mon père est venu seul pour travailler à la mine aux Houillères du Bassin de Lorraine et a obtenu un logement à la caserne de Guise à Forbach.
Quelques mois plus tard, ma mère est venue le rejoindre car on leur avait attribué un logement tout neuf, dans une des baraques de la Ferme de Schoeneck où ils ont fondé leur famille.
La maman de Nadine (au centre) à 19 ans en compagnie de ses ex. compagnes de l'usine de munitions. On aperçoit à l'arrière-plan les bâtiments du camp de prisonniers
En 1960 nous avons déménagé à Behren-cité et, en 1962, mes parents reçurent une lettre recommandée d'un avocat belge, Maître Roger Van Der Beck contenant un formulaire de demande de dédommagement de guerre.
Une fois ce dossier rempli en français par un ami de mes parents, ces derniers se sont rendus à Koln (Cologne) en Allemagne pour une expertise médicale afin de pouvoir prétendre à l’obtention d'une pension de guerre.
Cette pension de guerre leur fut accordée à tous deux et ils eurent même droit à un rappel, ce qui fit immanquablement quelques jaloux parmi d'autres personnes qui, elles, travaillaient dans des fermes en Allemagne pendant cette « sale guerre » et n'avait de ce fait aucun droit car cette commission jugeai qu’ils n’avaient pas soufferts de la faim.
Je terminerai ce récit par une anecdote qui démontre jusqu’où la jalousie et la cupidité peut pousser certaines personnes :
Comme la nouvelle situation financière de mes parents a subitement fait des jaloux, les calomnies, médisances, rumeurs etc. furent propagées, essentiellement par la communauté polonaise.
Un beau jour monsieur Stanislas H..., homme fier et hautain qui ne se mélangeait pas à la communauté polonaise vint un jour frapper à notre porte. Mes parents qui le connaissait juste de vue et de réputation l'on bien reçu et le trouvèrent même fort sympathique.
M. H., juste avant de s'en aller invita mon père à venir lui rendre visite quelques jours plus tard.
Après cette visite chez M. H., mon père, (qui ne suçait pas que de la glace !) est rentré, imbibé d'alcool au point qu’il ne tenait pratiquement plus debout, et ma mère lui a bien évidemment fermement « remonté les bretelles »…
Quelques temps après, une lettre recommandée du même Maître Roger Van Der Beck arrive à la maison et cette lettre avertissait mon père qu'il pourrait être privé de sa pension de guerre pour faux témoignage.
En réalité il s’était passé la chose suivante :
M. H. avait invité mon père chez lui afin de lui faire signer tout un dossier mensonger qu'il avait soigneusement préparé pour toucher une pension.
M. H. a ainsi confirmé sa mauvaise réputation par son attitude malhonnête, et, suite à cette mésaventure, mon père s’est juré qu’on ne l'y reprendra plus...
Cette sale guerre a également laissé des séquelles physiques et psychologiques indéniables. On parle de la Shoah, cette terrible période vécue par le peuple juif, et, suite à ce drame de l'histoire, on évoque souvent du syndrome de la deuxième génération qui concerne les enfants des parents qui ont subi toutes ces horreurs. J'aimerai apporter ici 2 modestes témoignages à ce sujet.
C'était un soir en 1956 à la Ferme de Schoeneck, nous les enfants étions déjà endormis lorsque ma mère nous réveilla soudain.
Apparemment très nerveuse, elle nous habilla avec le maximum de vêtements mis en couches superposées les uns par-dessus les autres. Nous étions très inquiets car nous ne comprenions pas ce qui se passait.
Fort heureusement, à ce moment-là, mon père rentrait du poste d'après-midi et, voyant cette scène insolite demanda ce qui se passait.
Ma mère lui dit que tout près de la Ferme elle aurait entendu des détonations et qu'il fallait partir très vite car c'était à nouveau la guerre…
Mon père lui répondit alors calmement que non, qu’il s’agissait tout simplement de la célébration de la fête nationale en Allemagne et que c'étaient les explosions des feux d'artifices qu'elle avait entendu...
Ouf ! Heureusement que mon père est arrivé à temps ce jour-là, sinon, je ne sais pas où ma mère aurait pu nous emmener pendant un tel moment de panique…
Une autre fois, bien des années plus tard, mon père débarque chez moi à l’improviste pour prendre des pommes de terre. Comme il était près de midi, je l’invitais dans la foulée à partager notre repas et là, me voyant en train d’éplucher les tubercules, il me tend le bébé qu'il tenait dans ses bras et me demande le couteau pour éplucher lui-même les pommes de terre…
Ses épluchures étaient si fines quelles semblaient transparentes ! Encore aujourd'hui, chaque fois que j'épluche des patates (toujours aussi grossièrement d’ailleurs !) je pense que s'il me voyait faire il ne serait certainement pas content.
Il a toujours respecté la nourriture car il a souffert de la faim, et, s'il voyait aujourd'hui le gâchis et la quantité de nourriture encore mangeable jetée dans les containers des grandes surfaces il deviendrait certainement fou... ! A suivre.
→ Pour en savoir plus sur le camp de Sachsenhausen CLIQUEZ ICI
Un goût d'ailleurs - Polonia, des polonais en Lorraine
Un superbe documentaire réalisé par le cinéaste Christophe Rémy (c) France 3
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