NOSTALGIA le Blog qui fait oublier les tracas

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Clément Keller : Schoeneck, le beau coin (7)

Être ou ne pas être...

Les Noëls, Pâques, anniversaires et autres jours de fêtes se succédaient et je m’épanouissais lentement mais sûrement entre l’amour discret d’une maman soucieuse de notre bien-être, un papa qui travaillait chaque jour à la mine pour subvenir à nos besoins, une petite sœur qui n’arrêtait pas de grandir et de m'embêter, une grand-mère omniprésente, un grand-père espiègle, une marraine dévouée et mon vélo bleu ‘Hirondelle’ qui avait, entre temps, perdu ses deux roues stabilisatrices et dont le rayon d’action s’élargissait au fil des mois et des années…

Tel un explorateur débarquant en terre inconnue, je découvrais petit à petit mon environnement et apprenais à connaître les personnes qui en faisaient partie et qui allaient peupler au fil des années mon quotidien.

Il y avait d'abord les voisins immédiats : Roger Daniel, le cordonnier qui exerçait son métier dans un baraquement situé à quelques dizaines de mètres de chez nous, la famille Thoma et leur fils Marcel, un gamin qui se promenait à longueur de journées en tirant une petite charrette à bras confectionnée par son grand-père, puis, de l'autre coté de la rue, dans la maison accolée à celle de grand-père, vivait la famille Kiefer et leurs enfants Gérard et Sylvie, et, un peu plus loin, les Philippe, parents d'un petit Daniel qui avait mon âge...

Il y avait également les épiceries et autres échoppes où nous allions faire nos 'courses' ainsi que l'église et les dimanches ponctués de matines, de grand-messes et de ces fichues vêpres qui avaient le don de nous gâcher certaines après-midi dominicales ensoleillées.

Nous aurons encore largement l'occasion de parler de tout cela au fil des futurs récits et je ne m'attarderai pour l'instant que sur quelques points strictement existentiels, dont il me reste des souvenirs que je qualifierai, pour les uns, de douces et tendres ‘Madeleines de Proust’, pour les autres, d’horribles ‘Cauchemars culinaires’

Toutes les bonnes choses ayant non seulement une fin mais également un début, je commencerai par ce qui m’était agréable…

Comme je l’ai rappelé maintes fois dans les épisodes précédents, ma nourriture de base était, pendant de longs mois composée exclusivement de lait de chèvre, de flocons d’avoine, de bananes écrasées avec des biscuits ‘Cuillères’ et de quelques insipides légumes moulinés et protéinés grâce à l’apport d’une demi-tranche de jambon…

Vers l’âge de 5-6 ans je passais à des choses plus consistantes et un de mes plus grands plaisirs était de manger des crêpes avec de la soupe 'pois aux lard', des 'Geheirate Kneedel', des 'râpés de pommes de terre' ou tout simplement un morceau de ‘Lyoner’, cette charcuterie bon marché, spécialité de nos voisins sarrois, qui était largement consommée dans le milieu ouvrier minier de l’est de notre beau pays de France.

 

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 Une saucisse 'Lyoner' dans toute sa splendeur... 

 

Quant aux ‘Cauchemars culinaires’, s’il en est un qui continue à hanter mes nuits c’était ce que grand-mère appelait le Guelling, un truc dont la prononciation du nom me faisait déjà l’effet d’un vomitif !

Papa, maman et surtout grand-mère, cuisinière attitrée de cet infâme ragoût, appréciaient cette ‘spécialité’ réalisée à partir d’abats, en l’occurrence les poumons et le cœur de gentils animaux qui n’avaient rien demandé à personne… (1)

Je ne m’arrêterai pas sur les détails de la découpe et de la préparation de ces morceaux spongieux et sanguinolents qui faisaient ressembler la table de la cuisine à la table d'autopsie de l’institut médico-légal d’un pays sous-développé, ni sur l’odeur pestilentielle qui se dégageait de ce plat mijotant pendant des heures dans une sauce blanchâtre en dégageant des bouffées de vapeur qui me soulevaient le cœur et me faisaient regretter que mon joli minois cerné de boucles blondes (2) était également équipé d’un nez en parfait état de marche... 

Le choc était rude et mon aversion pour tout ce qui est cuisiné à partir d'abats provient certainement de cette période de ma vie.  

On était loin de la haute gastronomie, mais, mis à part ce ragoût que je trouvais infect, et, comparé à la bouillie de flocons d’avoine de mes débuts, il y avait une réelle progression dans l'éducation de mes papilles gustatives et ces dernières se développèrent à la vitesse Grand V.

Les repas étaient simples, les ingrédients toujours frais et les plats mijotaient longuement sur les plaques de la cuisinière à charbon qui ronflait été comme hiver dans un coin de la cuisine.

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Le salaire modeste d'ouvrier au jour (3) de mon père ne permettait d'ailleurs pas beaucoup de folies sur le plan alimentaire et maman, toujours sous le regard critique de grand-mère, faisait de son mieux pour nourrir tout son petit monde.

J’ai gardé quelques-unes des recettes de cuisine de mon enfance bien au chaud dans un coin de ma mémoire et si cela vous intéresse, vous pourrez même les consulter sur ce Blog (4).

Quant à moi, bien nourri, logé et blanchi, je prenais du poids, de la taille et même un peu d’assurance…

Mais les choses sérieuses ne faisaient que commencer, car ma vie n’allait pas se résumer à des balades avec mon vélo bleu, à la cueillette de mûres, de framboises et de fraises sauvages avec grand-père dans la forêt, non, une nouvelle épreuve allait me tirer de ma torpeur d’enfant presque gâté et cette épreuve s'appelait l'école...

Ce mot encore inconnu m'impressionnait autant que l’immense bâtiment que maman m’avait souvent montré lors de nos promenades à travers le village :

Das iss die Schuul, dort geschdde ball hin, unn donn muschdde awa scheen brav sin ! (5)

 

* * * * * * * * * *

  

Je suis entré au cours préparatoire de l’école primaire de Schoeneck en septembre 1954.

Grand-mère n’a pas voulu que j’aille à l’école maternelle car, jusqu’à un âge avancé, j’étais un enfant couvé, dorloté, nourri et protégé par une aïeule plus que possessive refusant obstinément qu'on puisse me soustraire au milieu familial et à sa surveillance avant l'âge légal et obligatoire d'entrer à l'école.

Vers le milieu de l’année, un soir alors que j’étais déjà couché, l’instituteur du village de l’époque, Monsieur Félix Thil s’était rendu chez nous pour procéder à mon inscription dans les registres scolaires, et, sentant qu’il se passait quelque chose d’important car j'entendais une voix au timbre inconnu venant de la cuisine, je manifestais mes craintes en appelant plusieurs fois ma mère à mon chevet…

Après 2 ou 3 tentatives, excédée, cette dernière entra soudain dans la chambre et me dit :

- Wenn de jetz nit schloofscht, ruff Ich de Schullehra inn’s schloorftsima unn donn werschdde mool sihnn… (6)

- Ne lui dites pas cela Madame Keller, rétorqua mon futur instituteur, ce serait le meilleur moyen de le dégoûter de l'école pour toujours...

Maman acquiesça, revint me border et me demanda calmement de m’endormir.

J’entendis encore l’instituteur parler à voix basse avec mes parents et finalement, un peu plus rassuré sur mon sort, je sombrais dans un sommeil peuplé de cartables, d'ardoises, de porte-plumes et de gentils instituteurs en blouse grise...

Arrivé à ce point du récit il est nécessaire que je vous redonne quelques précisions sur notre famille et sur notre quotidien.

Comme je l'ai déjà souligné dans les récits précédents, la plupart des habitants de notre village, situé à cheval sur la frontière franco-allemande, avaient des origines qui se confondaient depuis des générations entre l'Allemagne et la France. 

Les conflits et les soubresauts liés à l’histoire de notre Lorraine faisaient en sorte que mon oncle paternel habitait en Sarre, mes parents et grand parents maternels en France et que le vocabulaire français de ma grand-mère paternelle, originaire du Palatinat, se limitait à : Trottwa, Baraplé, Boudel, Ôdschawel, Bôschoua, Ôrwa, Méassi, Zilvoublé et Ädé… (7)

Jusqu'à l'âge de six ans, ma langue quotidienne était le Platt, ce dialecte ressemblant vaguement à l'allemand, et, le jour de cette mémorable rentrée des classes, je me retrouvais, tel un extra-terrestre envoyé par erreur sur la planète terre, dans un monde où tous mes repères avaient disparus et dans lequel je ne comprenais pas un traître mot car on y parlait une langue qui m'était totalement inconnue et qui s'appelait le français ! (8)

Fort heureusement, je n’étais pas le seul à ignorer la langue de Molière car beaucoup d'enfants du village étaient logés à la même enseigne.

Pour couronner le tout, la plupart des enfants de la cité de baraques de la Ferme de Schoeneck étaient d’origine étrangère et de ce fait, l’école du village ressemblait à une tour de Babel sur deux étages dans laquelle les enfants et les instituteurs communiquaient tant bien que mal entre-eux dans une dizaine de langues et de dialectes...

On était loin de l'idéal académique d'une institution chargée de promouvoir le savoir dans la langue officielle de notre pays…

A priori, cette école que je redoutais tant n'était pas destinée à me faciliter la vie... 

 

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Au CP avec Monsieur Thil (Je suis dans la rangée du haut, au milieu avec un cache-nez)

 

Contrairement à mes craintes, ce fut tout le contraire et j'ai gardé de merveilleux souvenirs de ces premières années d'école et de mes 'maîtres'.

Aujourd’hui, je ne peux qu’admirer le travail des instituteurs et institutrices de l’époque et de la patience dont ils ont fait preuve pour harmoniser ces classes hétérogènes, instaurer une langue commune et nous inculquer, avec beaucoup de dévouement et d'abnégation, les bases du savoir et de la connaissance.

En ce qui me concerne, je sais que je leur dois tout et leur en serai reconnaissant jusqu’à la fin de mes jours. à suivre...

 

(1) Je sais, ça a l'air dégoûtant et pourtant ça ce mange ! Voir ICI

(2) Maman m'a toujours dit que j'étais beau et modeste !

(3) L'écart de salaire entre un ouvrier 'fond' et un ouvrier 'jour' pouvait (dans des cas extrêmes) varier du simple au double

(4) Vous trouverez quelques-unes de ces recettes ICI

(5) Voici l'école, tu y entreras bientôt, et il faudra être sage !

(6) Si tu ne dors pas de suite, je fais entrer l'instituteur dans la chambre et là tu vas voir...

(7) Trottoir, Parapluie, Bouteille, Eau de Javel, Bonjour, Au-revoir, Merci, S'il vous plaît, Adieu.

(8) Pour en savoir plus sur cette 'Langue' cliquez ICI

 

Tous les récits de la série "Schoeneck, le beau coin" :

(1) Présentation

(2) 5 Fruits & légumes

(3) Alléluia ! Il marche et il parle...

(4) Je vais ’recevoir’ une petite sœur

(5) A la découverte du monde

(6) Opa Adolphe - Mon premier vélo

(7) Être ou ne pas être... 

(8) Bientôt la rentrée ! 

(9) Premier jour de classe

(10) Independence day

(11) La pâte à modeler

(12) Vive les vacances !

(13) Billes, Roudoudous et Carambars 

 

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21/07/2018

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