Clément Keller : Le beau coin (8)
Bientôt la rentrée !
La fin de l’été était douce et agréable en cette année de première rentrée des classes.
Je passais des heures à rouler avec mon vélo bleu Hirondelle commandé par papa chez Manufrance (1) dans le pré derrière la maison et Oma me prévenait régulièrement que la date fatidique de la rentrée approchait. Pendant des semaines, à intervalles réguliers, elle me répétait sur un ton prophétique qui semblait annoncer l'imminente fin du monde :
- Jetz Geschde ball in die Schoul Clémau… May aames Kind, do mouschdde awa imma scheen brav sinn unn gudd hoaysche wenn de léhra ebbes saat… Ich däd Dich jo soo Gèa dehäm behalle… (Tu vas bientôt aller à l’école Clémau… Mon pauvre enfant, tu devras être toujours très sage et bien écouter ce que dit le maître… J’aimerai tant pouvoir te garder à la maison)…
Malgré cette préparation psychologique plutôt désastreuse, j'étais impatient de participer à cette nouvelle aventure.
Je sentais vaguement que ce départ vers l’inconnu était une grande et incontournable étape dans ma jeune vie et je me concentrais tout particulièrement sur la promesse faite par maman d’aller en sa compagnie à Forbach, la ville voisine, pour acheter mon premier cartable, une ardoise et quelques autres accessoires apparemment nécessaires à ma nouvelle vie de jeune futur intellectuel.
Le conseil de famille, présidé comme d'habitude par grand-mère, avait également décidé qu'il fallait m’équiper des pieds à la tête avec de nouveaux vêtements ainsi que d’une robuste paire de chaussures ‘tous terrains’ destinée à m'aider à marcher dans de bonnes conditions sur les chemins cahoteux du savoir...
Les consignes avaient été données clairement, il incombait maintenant à maman d'exécuter la mission 'Rentrée des classe du Clémau' au mieux...
Lorsqu'il s'agissait d'achats qui sortaient de l'ordinaire, comme nous ne possédions pas de voiture, il ne restait qu'une seule alternative : prendre l'Autobus pour se rendre au bourg voisin.
Les autobus Federspiel (2) faisaient plusieurs fois par jour la navette entre le village et la ville de Forbach distante d'environ 4 km.
A l’époque, de nombreux petits commerces en tous genres fleurissaient à Forbach et les familles des villages environnants avaient toutes leurs magasins préférés dans lesquels elles faisaient leurs emplettes.
En ce qui nous concernait, notre préférence, lorsqu’il s’agissait de vêtements, était le Soldeur de Roubaix, un petit magasin situé à quelques mètres de l’arrêt du bus, dans la rue Sainte Croix, presqu’en face du photographe Halm.
Maman aimait faire ses achats dans ce magasin car il était proche de l’arrêt du bus et de ce fait, elle n’avait pas à trimbaler ses achats sur une longue distance.
Cerise sur le gâteau, à côté de ce magasin se trouvait la pâtisserie Ponczec dans laquelle elle s'offrait le luxe de prendre un café et de nous offrir par la même occasion un croissant ou un pain au chocolat que nous dégustions, ma sœur Anne-Marie et moi, en attendant l’Autobus du retour…
Ce jour-là, nous visitâmes en premier le magasin de chaussures Bour dans lequel nous fîmes l’emplette d’une paire de chaussures montantes à lacets munis d’une épaisse semelle en cuir. Le cuir était non seulement un gage de durée dans le temps, mais autorisait également de nombreux ressemelages chez Roger, notre cordonnier local et, si l'investissement était conséquent, il fallait absolument le rentabiliser...
Lors du passage à la caisse, la vendeuse nous proposa à titre préventif, avec un beau sourire commercial, une paire de lacet de rechange ainsi qu'un superbe boîte de cirage, accessoires que maman refusa poliment.
La vendeuse hocha la tête sans insister, prit un ballon sous le comptoir et le gonfla à l'aide d'une pompe posée derrière elle sur une étagère croulant sous le poids de dizaines de cartons à chaussures.
Une fois gonflé, elle attacha le ballon sur une tige en laiton et me le tendit avec un grand sourire. Je saisis l'objet publicitaire vantant l'enseigne du magasin à bout de bras, et me dirigeais fièrement vers la sortie.
Je dois avouer que c'était la première fois que quelqu'un que je ne connaissais pas m'offrait quelque chose et je marchais la tête haute et le bras tendu à travers les rues de la ville, désireux de montrer au monde entier mon merveilleux ballon Chaussures Bour rouge...
Nous nous dirigeâmes ensuite en direction de la librairie Meyer dans laquelle nous achetâmes l’équipement complet du futur écolier, à savoir, le cartable, une superbe ardoise, ancêtre de nos tablettes actuelles, un porte-plume, une boîte de plumes Sergent-Major et quelques autres accessoires tels, gommes, crayons de papier etc…
Notre périple se termina finalement chez le Soldeur de Roubaix où maman choisit un robuste pantalon, un pull en laine avec des motifs d’écureuils, une jolie veste fourrée en prévision de l’hiver ainsi qu’une splendide casquette d’aviateur en cuir brun équipée de protège-oreilles rabattables qui me faisait ressembler à un Cosmonaute russe se préparant à escalader l’échelle menant vers son vaisseau spatial sur le pas de tir de Baïkonour...
Maintenant, plus rien ne pouvait m'arriver, j’étais fin prêt !
Le 13 septembre 1954, est un lundi à marquer d’une pierre blanche car ce fut mon premier jour de classe à l’école primaire des garçons de Schoeneck sous la houlette de l'excellent instituteur Félix Thil.
Le bâtiment d'école qui allait m'accueillir se situait en haut du village, pas loin de l’ancienne mairie qui faisait également office d’école de filles.
Encore aujourd’hui, je reste persuadé que ma grand-mère, la Oma était plus inquiète que moi et qu’elle a dû passer une nuit blanche en imaginant son petit-fils adoré, la tête sanglée dans sa casquette d’aviateur, voguant vers l’inconnu à la distance respectable de 800 mètres de notre maisonnée.
Pour parer à toute éventualité, maman avait, une fois de plus, eu des consignes précises à respecter impérativement :
- Geh mit dem Kind bis in die Schoul, unn pass noua gudd ouff dasem nix passiat…
Jesses Gott, is mir heit moaje soo schlecht… Vegess nit eme lehra se soohn das dea Clémau so E ämfiddlisches Kind is unn dassa gudd ouffne ouffpasse soll. Ich Glab Ich muss mich jetz E bissie hinlèhe, mia isses gah nit gudd… Das aahme kind… So klän unn schunn so wait weg voun sayna Oma… Wenn das alles noua gudd geht… (Tu accompagneras cet enfant jusqu’à l’école et tu feras bien attention qu’il ne lui arrive rien… Mon Dieu, comme je me sens mal ce matin… N’oublie pas de dire au maître que le Clémau est un enfant si sensible et qu’il prenne bien garde à lui. Je crois que je vais être obligée de m’allonger un peu maintenant, je ne me sens pas bien du tout… Pauvre enfant, si jeune et déjà si loin de sa grand-mère… Pourvu que tout cela se termine bien)...
Aléa Jacta est, comme aurait dit le grand Jules César juste avant de franchir le Rubicon, le grand jour était enfin arrivé ! A suivre.
('1) Lire le récit Opa Adolphe & mon Premier vélo
('2) Lire le récit Les autobus Federspiel
Tous les récits de la série "Schoeneck, le beau coin" :
(3) Alléluia ! Il marche et il parle...
(4) Je vais ’recevoir’ une petite sœur
(6) Opa Adolphe - Mon premier vélo
(10) Independence day
(11) La pâte à modeler
(12) Vive les vacances !
(13) Billes, Roudoudous et Carambars
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