NOSTALGIA, le Blog qui fait oublier les tracas

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Clément Keller : Schoeneck, le beau coin (10)

Beaucoup des souvenirs de ces premiers jours d’école sont encore aujourd’hui très présents dans ma mémoire.

L’entrée en classe des écoliers avait lieu à 8 heures 30. Cela se passait toujours dans l’ordre et la discipline  et le cérémonial était immuablement le même :

 

1) Dire bonjour à l’instituteur

2) Se mettre en rang par deux pour entrer dans le bâtiment au coup de sifflet

3) Accrocher nos vêtements aux patères dans le petit couloir

4) Chausser nos patins puis regagner nos places 

 

Ensuite, et c'était devenu un rituel quasi quotidien, le 'maître' venait inspecter nos cheveux pour s'assurer que nous n’avions pas de poux, puis examinait rapidement le cou, les oreilles et les mains pour voir si notre hygiène était suffisante.

La salle de classe, les pupitres, les bûchettes avec lesquelles il nous apprenait à compter, les images de pommes et de poires que nous mettions dans un panier, les premières lettres tracées sur nos ardoises à l’aide des stylets qui émettaient des cris plaintifs lors de l’écriture maladroite, je revois tout cela comme dans un rêve et il m'arrive encore aujourd'hui de sentir l’odeur de la poussière de craie qui flottait dans l’air…

Un immense tableau noir était disposé contre le mur à côté de l’estrade de l’instituteur. 

C'est sur ce tableau que Monsieur Thil traçait les premières lettres que nous essayions de reproduire malhabilement...

Il y avait d'abord les i, o, u, assez faciles à tracer, puis, et un peu plus tard, les a, n, b qui demandaient déjà plus d'application.

Heureusement, nous avions une petite éponge et un chiffon accrochés par une ficelle à l'ardoise et, lorsque le résultat n'était pas satisfaisant, un petit coup d'éponge suivi d'un essuyage à sec permettait de 'remettre notre ardoise à zéro' et de recommencer jusqu'à obtention d'un résultat acceptable... 

Autre élément incontournable de la salle de classe, le fameux poêle qui trônait, bien en vue avec son tuyau muni de plusieurs coudes permettant de diriger la fumée vers le trou d'évacuation dans la cheminée.

En hiver, il était chargé le matin par l'instituteur avant l'heure de classe et sa douce chaleur nous enveloppait pendant qu'à l'extérieur la neige tombait...

Sur le coté gauche de la grande salle, se trouvaient les deux rangées de pupitres des élèves du cours préparatoire, à droite ceux du cours élémentaire 1 et 2. 

Sur le dessus de chaque pupitre il y avait un emplacement pour les crayons d'ardoise, les craies et, plus tard, pour les plumes et les porte-plumes.

A droite, sur le côté, un trou rond était destiné à recevoir le petit encrier en porcelaine qui allait nous servir quelques mois plus tard lorsque nous saurions écrire et manier la plume...

 

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Comme l’instituteur enseignait le savoir à plusieurs classes en même temps, il y avait également aux murs, des affiches avec les tables de multiplication, une carte de France avec les départements et même une étonnante affiche représentant un corps humain dont on pouvait voir l’intérieur et qui, pour être tout à fait honnête, me faisait un peu peur…

Le maître m’avait placé au premier rang, à côté d’un gamin des baraques de la Ferme, cette cité d’ouvriers mineurs venus s’installer au village durant les années après-guerre.

Je ne sais plus s’il était russe ou polonais mais je me rappelle que pendant quelques semaines nos échanges se limitaient à des gestes et des mimiques qui nous permettaient de nous comprendre tant bien que mal et de jouer ensemble pendant la récréation dans la cour qui me semblait immense.

Vers 10 heures du matin, nous sortions pour la première récréation et je dégustais mon goûter, une belle tartine faite de 2 tranches de pain blanc entre lesquelles maman avait étalé une épaisse couche de beurre et de confiture.

Les matinées dans ce nouvel environnement passaient très vite et, à peine la récréation terminée, j’avais l’impression que l’heure de rentrer à la maison pour déjeuner en famille sonnait déjà.

Durant les premiers mois de ma nouvelle affectation, maman, toujours aux ordres de grand-mère (Oma), était chargée de me récupérer, si possible sain et sauf, et de me rapatrier dans les meilleurs délais 'afin que ce pauvre petit' (Oma dixit…) puisse se restaurer et reprendre les forces nécessaires pour tenir le coup dans cette épuisante course à la culture et à l’éducation républicaine et laïque.

Il nous fallait une petite dizaine de minutes à Maman et à moi pour retrouver la table familiale, qu’entre temps, Oma avait dressée et sur laquelle trônait, suivant les disponibilités et les saisons de nombreux plats d’inspiration locale dont les fumets venaient chatouiller agréablement mes jeunes narines déjà remarquablement affinées dans la reconnaissance des différents effluves émis par ces plats relativement rustiques…

Cette cuisine familiale n’était en rien comparable avec la haute cuisine, fleuron de notre beau pays de France, mais elle offrait en revanche des plats simples et économiques dont la fonction première était de rassasier les ventres affamés des membres de la famille.

Le seul salaire de mineur de jour (1) et la maigre pension de veuve de grand-mère ne permettaient pas de faire de folies mais les plats mijotés amoureusement par grand-mère n’en étaient pas moins des régals et maman, pour l’instant simple aide cuisinière, apprenait chaque jour un autre tour de main et une nouvelle astuce afin qu’elle puisse un jour préparer elle-même ces mêmes succulents repas.

 

Wenn Ich E mool nimmé dooh bin Résie, mouschde dorh selva goutt Esse Korhe fa de Jorhoon, de Clémau unn fa’s Ami… Louh Goutt tsou, dassde genaou wèscht wimmas marrhe mouss… !

(Lorsque je ne serais plus là Rose, il faudra que tu saches bien cuisiner toi-même pour ton mari Jean, le Clémau et sa sœur Ami… Alors, regarde bien pour que tu saches exactement comment tu devras faire… !).

 

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Les grands classiques culinaires de l’époque se déclinaient ainsi en des plats simples, bien souvent d’inspiration allemande car les racines de grand-mère se situaient dans le Palatinat, cette région vinicole de l’ouest de l’Allemagne jouxtant notre voisine la Sarre.

Sauerbroode, Maultasche, Grumbakischele, Geling, Rindfläsch Soup, (2) et plein d’autres variantes toutes aussi goûteuses et rassasiantes.

Mon assiette était déjà prête lorsque j’ouvrais la porte donnant sur la petite cuisine et je n’avais plus qu’à prendre place à table pour déguster le 'plat du jour' pendant que grand-mère faisait le point avec maman, laquelle, tel un soldat obéissant, faisait son rapport matinal quotidien avec sérieux et précision…

Pour l’instant en tous cas, tout semblait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes et j'apprenais à compter non seulement des bûchettes, des pommes et des poires, mais également les jours, les semaines puis les mois.

 

* * * * * * * * * * 

Avril 1955.

Il semblait déjà loin mon premier hiver d'écolier et, depuis quelques jours, un ciel bleu et limpide confirmait l'arrivée d'un printemps doux et ensoleillé.

Le soleil, qu'on avait presque oublié pendant le rude hiver 1954, réchauffait la bise légère qui faisait frisonner les pétales des premières fleurs dans le jardinet de grand-mère et une multitude d'oiseaux gazouillaient tôt le matin dans les buissons et les arbustes.

Les champs, les prés et les premiers arbustes de la forêt reverdissaient.

Les blés plantés dans les champs derrière l'école s'allongeaient et s'épaississaient et, tôt le matin, une brume légère s'échappait parfois du sol des nombreux jardins fraîchement bêchés...

 

- Ich Glaab ma kinne jétz de Clémau Elèn in Die Schoul gehn loosse, ess iss Jo moajens schoun scheen hell unn èa kènnt Jo jetz de wèsch, suggèra Oma un matin... 

(Je crois qu'on peut laisser le Clémau aller tout seul à l'école, il fait déjà bien clair le matin et il connait le chemin maintenant).

 

Ce matin là, je bombais fièrement le torse, arrimais d'un geste nonchalant de vieil habitué mon cartable sur le dos et pris pour la première fois, seul, le chemin du savoir...

Un immense boulevard menant vers la liberté et vers de nouvelles aventures s'ouvrait désormais devant moi... à suivre

 

(1)  Le salaire d'un ouvrier travaillant à la mine au 'jour' correspondait en gros à un SMIC actuel.

(2)  Pour voir quelques-unes de ces recettes  CLIQUEZ ICI

 

Tous les récits de la série "Schoeneck, le beau coin" :

(1) Présentation

(2) 5 Fruits & légumes

(3) Alléluia ! Il marche et il parle...

(4) Je vais ’recevoir’ une petite sœur

(5) A la découverte du monde

(6) Opa Adolphe - Mon premier vélo

(7) Être ou ne pas être... 

(8) Bientôt la rentrée ! 

(9) Premier jour de classe

(10) Independence day

(11) La pâte à modeler

(12) Vive les vacances !

(13) Billes, Roudoudous et Carambars

 

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29/03/2019
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