NOSTALGIA, le Blog qui fait oublier les tracas

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Nadine Chaboussie : le jardin de mon père

Les enfants grandissant, le jardin attenant à notre baraque ne suffisait plus à nourrir la famille toute l'année. Mon père,  qui avait été prisonnier durant cinq ans dans un camp de concentration en Allemagne et avait de ce fait souffert de malnutrition et de privations en tous genres, s'était juré que s'il s'en sortait un jour et aurait la chance de fonder une famille, cette dernière ne manquerait jamais de nourriture.

C’est la raison pour laquelle il avait loué à Klarenthal un champ situé sur la frontière, juste après l’échoppe de la Laynche (*) à l'endroit où coulait un ruisselet sous un petit pont.

A l'époque, les réfugiés polonais n'avaient pas le droit de circuler en Allemagne, pourtant ce champ se situait bien de l'autre côté de la frontière du coté allemand…

Pour mener à bien son projet, mon père a commencé tout d’abord par coucher sur le papier le croquis du prototype de ce qui allait devenir son futur ‘tracteur-motoculteur’ de type et de modèle garanti unique au monde. Une fois le croquis terminé, il se mit à la recherche des différentes pièces détachées lui permettant de réaliser ce splendide engin motorisé fruit de son imaginaire créatif.

En prévision de ce projet, papa avait déjà stocké pas mal de pièces dans la petite grange située derrière notre baraque. C’est d’ailleurs dans cet ‘atelier’ de fortune que la construction de l’engin agricole universel était prévue.

Bien que mon père, excellent bricoleur au demeurant, possédait de bonnes connaissances en mécanique, il se mit en quête d’un aide extérieure en la personne du ‘Fritz’ dont la réputation de super mécano mais surtout de super alcoolo était notoire dans la cité et même dans un périmètre assez large autour de la Ferme de Schoeneck…

Les travaux avançaient lentement mais sûrement. Mon père, mineur de fond, consacrait énormément de temps après son poste à ce projet qui lui tenait à cœur. Je me souviens qu'un jour, pour faire souder une grosse pièce, mon père avait arrimé cette dernière sur sa moto et m’avait emmené avec lui à Forbach, la ville voisine. A l'angle de la rue Nationale et de la rue du Schlossberg, en face de l'ancienne sécurité sociale, dans le sous-sol d'une bijouterie je crois, se trouvait un atelier de soudure.

Je me souviens qu’au retour à la maison, comme il n'avait pas utilisé de masque ou de lunettes de protection contre les étincelles, il avait pris ce que l’on appelle communément ‘un coup d'arc’ et eut très mal aux yeux.

Un vieux ‘remède de grand-mère’ sous forme de pommes de terre râpées, posées en compresse sur les yeux l'ont fort heureusement  rapidement soulagé.

Ma mère commençait à trouver que ces travaux s'éternisaient et elle n'appréciait pas du tout le ‘Fritz’. Elle disait de lui que c'était un fainéant et un égoïste qui ne pensait qu’à son petit bien-être et qui ne s'occupait ni de sa femme, ni de son fils Richard, lequel par des hivers glacés se rendait à l'école du village avec aux pieds de légères baskets en toile et en guise de pantalon un simple short…

Le voir ainsi fendait le cœur de ma mère et un jour elle partit même lui acheter un pantalon en velours brun au marché à Forbach.

Les semaines passèrent et un soir, les travaux de fabrication de l’engin agricole arrivèrent à leur terme. Pour marquer l’événement ma mère me demanda alors d'aller inviter Madame Fritz et son fils Richard à partager notre repas. Je partis en direction de leur baraque qui était située un peu plus haut, rue de la Fontaine et, en arrivant en haut du petit escalier, je vis à travers la porte vitrée de la cuisine  Madame Fritz et Richard assis à table à la lueur d'une bougie. La Jeanne, immobile sur sa chaise regardait dans le vide et Richard lisait dans un livre d'école ouvert posé devant lui sur la table. Arrivés chez nous, nous avons partagé avec eux notre repas dans une ambiance relativement agréable.

Une fois tous les essais effectués, ce tracteur-motoculteur a vraiment soulagé le dur travail de la terre que mon père effectuait au quotidien.

Des amis à mes parent venaient régulièrement l’aider à entretenir cette parcelle  qui, au bout de l'an, rapporta bien plus de légumes qu’au début.

Quelques fois, à la sortie de l'école, avec ma sœur nous nous rendions au champ pour arracher les mauvaises herbes. Sur le chemin du retour, nous passions obligatoirement devant la baraque à Clément et remontions ensuite la rue de la Ferme jusqu’au 120b rue des sapins. Mon père conduisait l’engin et ma sœur et moi étions assises dans la petite remorque entourés de tous les légumes de saison que nous allions mettre en bocaux.

La mise en conserve des légumes et de la viande de notre petit élevage de poulets, lapins et de deux cochons, représentait beaucoup de travail pour mes parents.

Mais quelle satisfaction de voir les grandes étagères du cagibi et de la petite cave crouler sous le poids des bocaux de légumes, de viandes confites, de pâtés, qui jouxtaient un tutti frutti de fruits au sirop et de pots de confitures ! Ces pots colorés en verre fumé étaient non seulement beaux à voir, mais rassurants car ils écartaient par leur seule présence un éventuel manque de nourriture durant la saison hivernale.

En parlant de nourriture, je me souviens avec gourmandise que les dimanches maman nous préparait souvent le même dessert, un pudding à la vanille qu’elle nappait d’un succulent coulis de framboises…

Il faut dire qu’à cette époque tout avait encore du goût car on n’utilisait ni additifs ni conservateurs ni antioxydants d’aucune sorte.

Quand à mon père et à Fritz, ils étaient tout deux fiers de l’engin qu’ils avaient élaboré et qui a fonctionné à merveille pendant de longues années…

Le Fritz, lui, était surtout heureux d'avoir pu s’empiffrer pendant des semaines des succulents repas que cuisinait ma mère, d’étancher quotidiennement et gratuitement sa soif inextinguible et d’être en plus, grassement rémunéré, le tout au noir bien entendu !

Je crois que celle qui a été la plus heureuse de voir la fin des travaux était ma mère. A son grand soulagement elle a enfin arrêté de compter les innombrables caisses de bière Becker Bier (à prononcer "Békabia") commandées chez Moy-Bug le marchand de boissons du village…

A partir du jour où le Fritz n’est plus venu, le défilé de canettes de bière c'est comme par magie arrêté net. Quand à nous les enfants, nous étions ravis de récupérer les capsules des bouteilles pour jouer à un jeu consistant à tracer sur le sol ou dans le sable deux lignes parallèles, d’abord droites puis sinueuses et, en s’aidant du pouce et de l’index, à faire avancer les capsules sans toucher le tracé… La capsule qui touchait malencontreusement le bord de la ligne était aussitôt gagnée par l'adversaire du moment.

Je ne me souviens plus du nom qu’on donnait à ce jeu, mais ce dont je me rappelle c’est que c’étaient de bons moments d’une enfance heureuse à la Ferme de Schoeneck…

 

(*) La Laynsche (prononcez Léncheu) était une petite échoppe située à la sortie du village juste après la frontière allemande. Elle était tenue par une dame qu’on qualifierait aujourd’hui de ‘personne de petite taille’. On pouvait y acheter du tabac et des friandises. Les enfants du village et de la Ferme y dépensaient une grande partie de leur maigre argent de poche. 

 

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Pour ceux qui ne l'auraient pas connue,

Clément vous chante ci-dessous la 'Ferme de Schoeneck'...

 



26/03/2017
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