Nadine Chaboussie : à bicyclette...
J'avais 8 ans et je me souviens très bien de pas mal d'histoires de la vie quotidienne à la Ferme de Schoeneck.
A l’époque, le salaire des ouvriers mineurs était versé en deux fois, une partie vers le 10 du mois, le jour de l’acompte et le solde à la fin du mois.
A chacune de ces « étapes » mon père nous rapportait une grande tablette de chocolat au lait Suchard de 600 grammes qu'il achetait à la buvette épicerie du puits Simon.
Un jour il est rentré à la maison et nous dit d’un air désolé qu'il avait complètement oublié d'en acheter, mais moi je savais qu'il plaisantait car, de son blouson de moto, au niveau du cou, je voyais dépasser un bout de papier de couleur mauve, couleur de l'emballage de ce délicieux chocolat de l'époque lequel, comme beaucoup d’autres produits de l’époque, n’a malheureusement plus le même goût aujourd’hui ce qui est bien dommage…
Un autre jour, je vois arriver mon père toujours sur sa moto avec, attaché dans son dos, un truc en fer rouillé qui se révéla être un cadre de vélo dame.
En l’espace de quelques jours les différentes pièces détachées furent assemblées, le tout peint en couleur jaune et, sous les mains expertes de mon père, un vélo prêt à rouler vit le jour. C'est un collègue de travail de mon père qui lui avait vendu l’ensemble pour la modique somme de 5 francs de l’époque.
Ce vélo était destiné au départ à ma grande sœur Barbara, mais, comme elle n'était absolument pas intéressée, c’est donc finalement moi qui devins l'heureuse propriétaire et surtout l’heureuse utilisatrice de cette jolie mécanique jaune.
Nous étions en 1958 et ce vélo a été le plus beau cadeau que je pouvais imaginer, non seulement il remplissait mon cœur de joie et de fierté mais m’offrait surtout des sensations de liberté insoupçonnées…
Que de kilomètres parcourus à travers les ruelles de la cité avec mon amie Marie-Thérèse assise à l’arrière derrière sur le porte bagage !
Très souvent nous descendions la longue côte dans la forêt de sapins du côté allemand et, une fois sur deux, à cause des épines sèches qui jonchaient le sol, nous tombions du vélo. Les chutes, amorties par le matelas d’épines, n’avaient aucune conséquence et nous nous relevions à chaque fois indemnes, riant aux éclats et reprenions de plus belle la longue descente dont la vitesse nous grisait…
Ce jour-là, en pleine action, je freine net car devant nous je vois, assis sur une grosse pierre, un soldat en uniforme qui pleurait.
Sur le moment j'ai vraiment eu très peur car je n'avais encore jamais vu un soldat « pour de vrai », sauf peut-être sur l’écran de la télé « noir et blanc » que nous avions la chance de posséder et que j'adorais regarder en rentrant de l'école vers 17 heures pour suivre les exploits des héros de l'époque Rintintin, Ivanhoe, Guillaume Tell ou rire aux les facéties de l'inséparable duo Laurel et Hardy...
Je m’arrêtais donc à quelques mètres de l’individu et nous sommes descendus du vélo pour nous diriger avec précaution vers lui…
Le jeune soldat, qui ne parlait qu’en allemand, semblait s’être égaré dans cette forêt et n’avait apparemment aucune intention belliqueuse.
Il nous a gentiment demandé, gestes à l’appui et en esquissant un sourire, de lui indiquer le chemin pour aller à Forbach et si je pouvais lui prêter mon vélo car il était très fatigué et avait mal aux pieds.
Après une petite discussion et force gestes pour nous faire comprendre, nous sommes remontés en sa compagnie et c’est lui qui poussait mon vélo.
Pendant qu’on grimpait le sentier dans la forêt, j’essayai tant bien que mal de lui expliquer, dans mon allemand plus qu’approximatif, qu'il fallait qu'il s'arrête là où la rue de la Ferme et la départementale se rejoignaient car mes parents m'avaient interdit d'aller au-delà de ce périmètre.
Une fois arrivés à la hauteur de la rue des sapins où Marie Thérèse et moi habitions, le jeune soldat allemand est monté sur mon vélo et s’est engouffré sans plus attendre dans la rue de la frontière qui débouchait une centaine de mètres plus loin sur la rue de la Ferme en direction de Forbach.
Pendant qu’il pédalait avec un plaisir évident, Marie-Thérèse et moi courions toutes essoufflées derrière lui et je dois dire que malgré la confiance dont j’avais fait preuve, j’ai tout de même eu peur qu’il me « pique » finalement mon vélo pour aller jusqu’à Forbach, voire bien plus loin, et que je ne le reverrai peut-être plus jamais…
Mais non, il a tenu parole et non seulement il nous l'a rendu mais nous a en plus chaleureusement remerciées !
Il m’arrive encore aujourd’hui, comme dans le « Happy End » d’un film, de revoir l’image de ce jeune soldat dont j’ai oublié les traits du visage, d’abord assis sur la pierre, puis s’éloigner en marchant lentement en direction de Forbach et se retourner une dernière fois pour nous saluer de loin…
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