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Clément Keller : De la Ferme à la mine

Les nuits d'hiver étaient vraiment très froides dans ce vieux baraquement en bois de la cité de la Ferme de Schoeneck. Le fourneau s'était certainement éteint tôt dans la soirée et il ne devait plus rester le moindre  morceau de charbon dans la maison...

- Ca va encore être à moi de me débrouiller pour aller en voler cet après-midi le long de la voie ferrée, marmonna André tout en se redressant  péniblement dans le lit.

Il était encore  engourdi par le froid et les mouvements qu'ils fit pour se réchauffer firent grincer plaintivement le sommier. On était lundi. Une nouvelle semaine venait de commencer et il fallait se lever de bon matin  pour  rejoindre l'équipe du poste du matin au fond de la mine de charbon du puits Gargan...

La lassitude qu'il ressentait dans tous ses membres était également due en partie à  la  mauvaise nuit qu'il venait de passer.

Tout d'abord, vers onze heures du soir, des pleurs et des cris d'enfants l'avaient réveillé et il s'était levé une première fois pour regarder à travers la fenêtre ce qui pouvait bien se passer devant chez lui à une heure aussi inhabituelle.

Il avait vu à travers les carreaux couverts de givre, la ribambelle des cinq enfants Gautier, un des habitants d'une baraque située un peu plus bas, traîner au cœur de la nuit sur la route enneigée et verglacée qui traversait la cité.

Déchaussés et vêtus de leurs seules chemises de nuit, les cinq gamins défilaient en pleurant et en gémissant sous les rafales de neige. Ils se dirigeaient en une procession étrange et sonore vers le haut de la cité. Ils allaient, une fois de plus, se réfugier pour la nuit chez une famille amie.

Debout, l'air songeur derrière les carreaux de sa fenêtre, André avait longuement hoché la tête en regardant ce cortège bouleversant. Il avait conclu en voyant la scène que le père Gautier était de nouveau ivre, et qu'il avait battu comme d'habitude sa femme et fait fuir ses enfants apeurés hors de la maison. C'était la seule explication plausible de cet étrange et désolant ballet nocturne.

Décidément, se dit-il, dans cette cité en pleine décadence, plus rien n'était normal depuis quelque temps et les choses allaient en s'aggravant...

André frissonna. Une étape de plus avait été franchie et on était déjà arrivé au stade où les enfants en bas âge payaient les conneries et l'inconscience de certains adultes. L'adolescent de dix sept ans qu'il était se sentait totalement impuissant devant cette situation et un sentiment de dégoût et d’écœurement se manifestait en lui.

Dehors, le plus jeune des gamins, un bambin âgé d'environ trois ans, trottait à petits pas, pieds nus dans la neige, et pleurait à fendre l'âme. Il avait certainement froid et peur...

André entrouvrit la fenêtre et sortit la tête pour suivre la procession du regard. Un souffle glacé lui caressa le visage. Il recommençait à neiger...

Il vit au loin que la grande sœur qui les devançait venait d'arriver devant la baraque où ils allaient pouvoir se réfugier.

Elle entra par la petite porte dans le jardin et frappa au volet de la chambre jusqu'à ce que la porte s'ouvre sur la silhouette massive de Madame Savrin. Elle n'avait pas besoin d'explications, ce n'était pas la première fois que les enfants Gautier s'enfuyaient de chez eux et la réveillaient en pleine nuit. Elle était quasiment habituée à ce genre de situation et les fit entrer sans dire un mot...   

André se demanda avec un haut-le cœur, dans quel monde de folie il vivait.

Qui étaient ces adultes irresponsables qui acceptaient que  leurs enfants traînent la nuit dans le froid et la tempête au fond de ces ruelles désertes et glacées... Il hocha la tête, poussa un soupir d'impuissance puis referma la fenêtre. Il faisait de plus en plus froid dans la chambre et il se dépêcha de regagner son lit pour s'enfouir sous les couvertures et s'endormir.

Il se réveilla une deuxième fois, vers une heure du matin, lorsque le gros Fritz, son père, était rentré au bercail. Ce dernier annonçait de  loin et en titubant son arrivée car il chantait à pleins poumons une chanson qui allait une fois de plus réveiller tout le quartier. Fritz allait certainement finir la nuit en vidant ses dernières canettes de bière avec l'ami de rencontre qui l'accompagnait. C'était à chaque fois pareil et André savait à l'avance que la soirée tournerait mal.

Le ton n'avait pas tardé à monter entre les deux acolytes et quelques minutes plus tard il entendit le copain de beuverie hurler d'une voix menaçante qu'il exigeait le remboursement immédiat d'une certaine somme d'argent qu'il avait prêtée à Fritz il y a quelques mois…

La discussion entre les deux ivrognes, haute en éclats de voix et en cris, dura encore une bonne dizaine de minutes mais André s'était endormi entre-temps sans savoir si son père avait oui ou non réglé ses dettes...    

A présent, c'était la sonnerie du réveil qui le faisait sursauter et il repoussa d'un geste nerveux la couverture de laine qui le protégeait tant bien que mal du froid. Il appuya sur le bouton de la sonnerie pour arrêter le bruit qui lui martyrisait les tympans. André claquait des dents et frissonnait de tout son corps, mais comme il s'était habitué depuis des années aux températures glaciales de la chambre à coucher il ne s'en rendait même plus compte. Il se leva silencieusement en bâillant, prit le réveil posé sur la table de nuit, et se dirigea lentement en longeant les murs de sa chambre vers la cuisine.

Tout était sombre dans la pièce exiguë. Seule la lumière blafarde d'un des lampadaires de la rue traversait la couche de givre des carreaux  et jetait des ombres fantomatiques sur les murs. Il posa au jugé le réveil sur le rebord du buffet puis chercha en tâtonnant la grosse boite d'allumettes et le bougeoir qui devaient normalement se trouver sur la table. Le commutateur électrique fixé à coté de la porte ne servait plus à rien depuis qu'on leur avait coupé le courant, et c'est à la lueur vacillante de la flamme projetant son ombre sur les planches disjointes des murs qu'il se dirigea vers l'autre coté de la pièce.

Un rapide coup d’œil sur la cuisinière confirma ce que la température ambiante laissait présager. Le feu était éteint depuis des heures et, à coté du poêle glacé, trônait un seau à charbon désespérément vide. Il ne put s'empêcher d'envoyer un grand coup de pied rageur dans le récipient métallique qui résonna d'un long  bruit métallique dans le silence feutré et glacé de la nuit.

Un vague grommellement venant de l'autre chambre à coucher lui rappela soudain que ses parents et sa grand-mère dormaient encore et qu'il valait mieux ne pas les réveiller. Il savait que, lorsque son père cuvait son alcool, il ne se levait jamais  avant l'heure de l'apéritif, et que sa mère n'avait jamais été de celles qui se lèvent au chant du coq. Heureusement qu'il restait sa grand-mère, pensa-t-il en souriant, c'était la seule dans la maison à avoir un semblant d'ordre dans la tête, et malgré son apparence quelque peu folklorique, elle se chargeait de temps en temps de souffler dans les bronches de son alcoolique de fils...

Il s'approcha du buffet en formica, seul meuble de luxe dans la maison, et regarda l'heure. Les aiguilles du réveil indiquaient quatre heures du matin. André poussa un nouveau juron lorsqu'il trébucha sur une des bouteilles de bière vide que son père avait laissé traîner dans la pièce pendant sa nuit de beuverie. Plus d'une fois il avait failli se casser la figure à cause de ces cadavres de bouteilles qui parsemaient le sol et qu'il ne voyait pas à cause de la lumière tremblotante de la bougie.

Il va falloir se dépêcher,  se dit-il en bâillant, sinon je vais  rater le train...

Il ouvrit largement les portes branlantes du buffet, fouilla à l'intérieur pendant quelques instants et en extirpa victorieusement un quignon de pain rassis. Puis il chercha  dans les autres niches quelque chose de plus consistant ressemblant à de la nourriture afin de se confectionner le casse-croûte de la journée... Tiens, se dit-il, jour de chance aujourd'hui, d'habitude il n'y a que des bouteilles de bière !

Il trouva tout au fond du garde-manger un reste de fromage et une petite boite de sardine à la tomate.

Un sourire forcé éclairait son visage d'adolescent pendant qu'il emballait les victuailles dans une des pages de journaux qui traînaient sur la table. Il sortit encore la gourde en aluminium toute cabossée de sous l'évier, y fit tomber six morceaux de sucre, puis la remplit consciencieusement avec le reste du breuvage froid contenu dans la cafetière posée au coin du fourneau.

Voilà une bonne chose de faite, se dit-il en enfouissant le tout dans la musette en toile qu'il décrocha du clou planté à coté de la porte, j'aurai au moins de quoi boire et manger pendant le poste aujourd'hui !

Il frissonna une dernière fois, jeta un ultime coup d’œil sur le réveil, empoigna le bougeoir et se dirigea vers le fond du couloir qui séparait la cuisine des trois chambres à coucher...

 



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17/11/2016
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