NOSTALGIA, le Blog qui fait oublier les tracas

NOSTALGIA, le Blog qui fait oublier les tracas

Témoignages

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Les fameux Eierkohle, boulets de poussière de charbon compressés

 

Madeleine, trieuse à la mine

Madeleine prenait son poste à 5h jusqu’à 14h. Elle ne se souvient plus très bien, c’était si loin… et c’était si dur qu’elle a préféré oublier. Elle était fille et devait rentrer bien vite pour aider sa mère qui sans allocation devait élever les plus petits. Pour gagner quelques sous, elle lavait le linge aux lavoirs des villages alentours et devait souvent casser la glace pour rincer. Madeleine s’estimait privilégiée devant le tapis roulant, à l’abri, par rapport à sa pauvre mère.

Elle apportait sa gamelle, le plus souvent de la soupe au pain, qu’elle mangeait parfois devant son poste de travail, d’autres fois, au réfectoire où avec ses compagnes, elles pouvaient se réchauffer.

Lorsque les wagons se déversaient sur le tapis, cela faisait une poussière infernale et l’on ne se voyait plus.

Après avoir enlevé les pierres qu’elle faisait tomber dans un trou, le charbon était trié en gaillette, faraudet. Il y avait de grosses mottes.

Leur chef était vraiment gentil, peut-être simplement humain. Tout comme elle, il venait au travail à pied, il savait ce que c’était ces dures matinées et il n’hésitait pas à mettre la main à la pâte ou plutôt au charbon. Tandis que le grand chef disait, lorsqu’il les voyait bavarder : C’est le travail ici, c’est pas la parole !

Naturellement les femmes portaient galoches, foulards, vieux vêtements, et le soir elles étaient noires comme du charbon. Elles étaient environ une dizaine. Le midi, le tapis s’arrêtait une demie-heure pour leur permettre d’avaler le contenu de leur gamelle. Elles s’entendaient bien. Elles échangeaient des recettes comme : frottez vos cheveux avec du jus de cresson, ils seront plus forts et plus nombreux ou le choux est le médecin du pauvre, ses feuilles fraîches écrasées sur des plaies ou des contusions, un anthrax ou un phlegmon font merveille ou encore les bienfaits de l’herbe à verrue mais parfois d’autres bien moins inoffensives.

Madeleine est tombée amoureuse. Lui aussi travaillait à la mine. Il était divorcé aussi leur mariage a-t-il été civil et discret. Malheureusement ils ont vite été rattrapés par la maladie puis par l’arrivée des enfants. Peu de temps après leur union, son mari a souffert d’une spondylarthrite ankylosante; coincé au lit, c’était une voisine qui venait le faire manger pendant qu’elle travaillait.

En 1948, grève à la mine pendant deux mois. Madeleine et sa famille n’avaient que 30 Francs par mois pour vivre. Certains commerçants lui ont fait crédit mais après il fallait rembourser. Cela a été très dur. Après la fermeture du puits, les mineurs ont été travailler dans un autre puits, pas les femmes. Ultérieurement, le site a été transformé en décharge. Liliane Godat.

 

Une journée à la mine

La mine « tournait » vingt-quatre heures sur vingt-quatre grâce à trois postes de travail : le poste un, celui du matin, de six heures à quatorze heures ; le poste deux, celui du soir, de quatorze heures à vingt-deux heures ; et enfin le poste trois, la nuit, de vingt-deux heures du soir à six heures du matin. Au cours de ce dernier poste, les équipes de travail s’activaient essentiellement à l’entretien et à la réparation du chantier pour le lendemain.

Arrivés au puits, les mineurs se changeaient dans la salle dite des "pendus". Là, ils rangeaient leurs vêtements dans des paniers qui étaient ensuite hissés au plafond à l’aide de chaînes. A l’à pic, au-dessus de nos têtes, silencieux comme des pendus, les habits se trouvaient ainsi à l’abri de l’humidité, de la poussière... et des vols. Là-haut, dans ce plafond, se balançaient, comme des loques muettes, les derniers liens qui reliaient les mineurs à leur famille, à la lumière du jour, avant de descendre dans les abîmes de la terre. Ensuite, les hommes se rendaient à la lampisterie où, en échange d’un jeton de présence, ils se munissaient d’une lampe. Chaque jeton portait un numéro ; Celui-ci permettait d’identifier le propriétaire de chaque lampe.

Après la lampisterie, fardés de leurs outils, les mineurs s’embarquaient dans la « cage » et descendaient au cœur du puits. La descente s’exécutait par petits groupes ; chaque cordée s’arrêtant à son niveau de travail : au niveau 220, dans la première galerie, se trouvaient d’abord plusieurs pièces tout en maçonnerie, genre blockhaus, le bureau des ingénieurs, la recette, et parfois encore l’écurie, vestige du temps où les bennes étaient tirées par des chevaux. Arrivés à destination, les hommes se mettaient en place : les mineurs étaient là, en plein effort, avec leurs marteaux piqueurs qui faisaient tressaillir tout leur corps noirci. D’autres, avec pelles chargeaient les blocs de houille dans des bennes, pendant que leurs compagnons boiseurs s’acharnaient à « butter » pour empêcher les éboulements.

Tous n’étaient revêtus que d’un slip ou d’un pagne. Seuls deux yeux immenses brillaient sur les « gueules noires ». Chaleur et humidité étaient difficilement supportable. La dernière galerie, étroit tunnel n’ayant guère plus d’un mètre de haut, était parcourue par de gros tuyaux véhiculant l’air frais venant du jour. Les piqueurs étaient payés à la tâche ; plus ils abattaient de charbon et plus leur salaire était important (deux à trois fois celui d’un manœuvre).Tandis que les hommes travaillaient au fond du puits, des femmes, les clapeuses, triaient le charbon. Ce dernier était remonté de la mine dans des bennes puis vidé dans de grandes gaines. Une trappe le retenait. Pour commencer le triage, les clapeuses actionnaient cette trappe et faisaient tomber le charbon sur le « replat ».Les pierres d’un côté, les bois de l’autre, elles ne laissaient partir sur le tapis roulant que le précieux combustible. Parfois, celui-ci était encore brûlant. Ensuite, le charbon partait dans un concasseur puis tombait dans des wagons. Ce travail était pénible et mal rémunéré.

A la fin de leur journée de travail, les mineurs remontaient à la lampisterie. Là, ils posaient leur lampe et reprenaient leur jeton de présence. Ensuite, pour tous, direction les douches en commun. Il s’agissait d’une immense salle où le carrelage reflétait une certaine propreté. Une chaleur moite s’en dégageait. Les douches étaient alignées sur un côté sans aucune séparation et des bancs disposés perpendiculairement facilitaient le rangement. Sans gêne, les mineurs se déshabillaient. Dans leurs masques négroïdes, deux yeux brillaient et leurs dents paraissaient plus blanches à chaque mouvement de leurs mâchoires. Sur leurs corps maigres, le relief luisant des muscles se mouvait dans des restes de sueur où les poils et la crasse de charbon se confondaient. R. Arc., R. Largier

 

Une catastrophe

Au débarqué, j’ai retrouvé le conseiller général du canton Nord-Est dans lequel, justement est situé le lieu de l’explosion. Il y a couru l’un des premiers ; il a fait partie de cette « cordée » qui s’est jetée dans les « cages » à deux heures et quart, dès que la fumée a permis de descendre parmi l’atmosphère pestilentielle, les poussières de charbon, les miasmes cadavériques qu’exhalaient presque aussitôt  ceux qu’a frappé le grisou. Nul mieux que lui ne pourra donc me renseigner ; et je l’interroge, tandis qu’au grand trot la voiture nous emmène vers le Treuil.

C’est à midi treize minutes qu’a eu lieu la catastrophe, annoncée en ville par cette tressaillante détonation que connaissent trop, hélas, ceux qui ont habités en contrée minière. Alors, de tous les points de l’horizon, le troupeau lamentable des femmes est accouru. Les bras au ciel, les cheveux au vent, hurlant au soleil, elles se sont engouffrées dans l’enclos, se sont ruées sur le « plâtre ». Il a fallu que les hommes présents se colletassent avec elles, pour empêcher les pires malheurs. Puis les gendarmes ont dû, à leur tour, faire le vide pour enrayer la sublime et inutile folie coutumière qui empoigne les mineurs quand tout sinistre les jette au gouffre avant que l’accès en soit possible ; augmente le chiffre des victimes sans atténuer en rien le sort affreux des autres.

Puis un incident, atroce à l’impatience des assistants, s’est produit, quand on a commencé d’organiser les secours. Lors de la première tentative de descente, à vingt mètres de profondeur, il avait fallu s’arrêter ; faire remonter la cage sous peine d’asphyxie. Lors de la seconde, un des cordeaux s’est brisé, et  il a fallu une heure et demie – une heure et demie ! – avant que ce soit réparé. Double agonie pour les quelques malheureux qui exhalaient en bas leur dernier souffle, et pour les vivants, dont le cœur râlait à attendre ainsi !

Enfin, quand on croyait tout fini, il a fallu se mettre à allonger le câble qui, par suite d’un bouleversement souterrain, n’atteignait plus à la seconde « recette ». Alors, on a pu descendre. Tout à coup, de la première cage remontée, une espèce de singe atroce, saignant, glapissant, a jailli.

- Non, pas de remèdes ! Rien, rien, rien ! Je veux ma femme, ma femme !

C’est un nommé Jean Garnier, un élu du destin, qui doit la vie à ce miracle : une chute abominable faite dans le puisard. Tandis qu’il y barbotait, le grisou a fauché ses compagnons, demeurés dans la galerie. Il est à demi fou. Ses yeux roulent tout blancs dans sa face calcinée. Ses lèvres crevassées n’ont qu’un cri :

- Ma femme ! Je veux voir ma femme !

On le hisse en voiture et on l’emporte chez lui, tandis que commence la lugubre ascension des cadavres. Cinquante-six hommes, cinquante-six chevaux. On emporte les hommes à l’hôpital du Soleil ; on dépèce les chevaux que l’on remonte, quartier par quartier.

- Et la mine ? demandai-je à Colombet.

- La mine ? plus rien : c’est le chaos.

M’y voici : dans la boue, sous la pluie, de hautes piles d’énormes bûches s’entassent, fraîchement coupées, fraîchement dépouillées, toutes blanches parmi ces ténèbres. Sous le haut hangar de la recette, des lueurs flambent ; et, tout à coup, une ombre géante apparaît, comme un pendu fabuleux qui oscille lourdement après le harpon. C’est un grand cheval pommelé, un percheron puissant, qu’on a pu remonter d’un bloc. Sa crinière flotte dans l’âpre bise qui nous gèle tous ; ses yeux gardent une impression d’horreur ; ses membres retombent avec un geste presque humain … la lassitude de l’être fatigué qui, enfin, se détend ! Il demeure allongé sur le sol ; puis avec des cordes, on le hisse sur la charrette, pleine de débris de ses camarades de peine  et de délivrance. Le mouvement lui fait prendre des attitudes tragiques de coursier de champ de bataille, dont la mitraille a cassé les pattes et qui essaie de se relever. Tout à l’heure aussi, le poitrail soulevé, avec l’homme qui, debout, lui maintenait la tête, il a rappelé d’étonnante manière les chevaux de Marly qui gardent l’entrée des Champs-Élysées.

Un mineur, à côté de moi, avait les larmes aux yeux :

- C’est-il pas dommage ! Une si belle bête ! Et puis si avenante ; et puis si courageuse ! Un ami, quoi !

Lentement, l’animal a semblé s’étendre sur l’amas de charognes, comme sur une bonne litière.

- Après tout, pauvre vieux, il se repose ! a repris l’ouvrier, paraphrasant sans le savoir, avec une envie mélancolique, le mot de Luther au cimetière de Worms.

Ils se reposent aussi les cinquante-six malheureux que je viens de voir étendus dans les salles de l’hôpital ; en ce faubourg du Soleil, qui est comme le Belleville de St Etienne. Mais de quel repos ! Ils sont allongés à la file, tout habillés, leur numéro d’ordre épinglé sur la poitrine, sur une couche de paille. Tous ont les poings tendus en avant, dans un geste uniforme de défense ou de menace : les uns supplient la mort, d’autres l’injuriant.

C’est là qu’on vient les chercher, un par un, pour procéder à la mise en bière. Tels quels, avec leurs vêtements, ils sont roulés dans un drap ; puis posés sur une couche de son, de cette sciure de bois, phéniquée à outrance, dont le tas s’élève dans la cour à hauteur d’homme.

Alors, le cercueil refermé s’en va rejoindre les autres, dans l’humble chapelle où, sur des civières, les premiers prêts attendent. Une lampe à reflets de phare éclaire ce terrifiant spectacle ; ce naufrage de tant d’existences ; cette flotte de barques à couvercle, en route pour l’éternité ! Nous sortons de là le cœur chaviré. Contre la grille, sous la pluie, dans l’ombre, des femmes se tiennent le front appuyé, ombres entrevues à peine, mais dont on entend les sanglots, quand les porteurs traversent le préau, pliant sous le poids  de leur funèbre colis, chacun interroge les ténèbres. Est-ce le mien ? Extrait : Les pages rouges, Séverine.

 

Journée type d’un mineur

Ma journée type de mineur était la suivante : je me levais à cinq heures du matin, je déjeunais, ensuite je faisais mon casse-croûte. Après, je partais au lavabo, je descendais mon panier et je me changeais. Après, j’allais à la lampisterie, je donnais mon jeton et je prenais ma lampe. Et j’attendais les cordées. Il y avait plusieurs cordées, une quinzaine, 14 à chaque étage, 28 à descendre. Arrivés à fond de puits, nous avions de grandes marches à faire pour  arriver au chantier, ensuite nous nous mettions en slip et bottes. Nous transpirions car il faisait trente degrés et je vidais mes bottes trois ou quatre fois  par jour. Les piqueurs n’avaient pas de graisse en trop.

Avec les copains, avant d’attaquer, nous mangions une portion (c’est ainsi que l’on appelait le casse-croûte dans les exploitations de la Loire). Nous étions quatre copains, chacun tapait dans le sac de l’autre pendant un quart d’heure puis nous attaquions le charbon. Lorsque nous n’avions plus rien à boire, un porteur d’eau allait chercher de l’eau et nous ajoutions de l’antésite. Ce dernier passait vers chaque piqueur et nous remplissions la gourde mais pour lui c’était son travail, il ne faisait que cela. A force d’avancer, nous aurions passé deux heures avant d’arriver au chantier.

Pour rejoindre notre lieu de travail, nous faisions bien cinq kilomètres mais là nous avions mis un trolley, dans le grand niveau qui était dans la pierre  et qui allait du puits Grüner au puits Charles. Il y avait aussi un tire-fesses qui n’a pas fonctionné longtemps car c’était difficile : le plan faisait un dos d’âne et quand on y arrivait, il fallait sortir. Quand on partait au chantier, on mangeait dans la benne qui nous emmenait.

Quand nous étions à l’avancement et que le charbon était dur, nous faisions vingt trous d’un mètre cinquante. Alors on nous donnait un plan de tir. Il fallait compter les trous, la poudre, respecter le plan Avant de charger, il fallait « prendre le grisou » à la lampe. Nous mettions une lampe par terre doucement puis nous montions : si la flamme était bleue et filée, il fallait faire vite pour évacuer le chantier et aérer. A un demi degré, cela  allait, mais à huit degrés il explosait… J. Sagnard & J. Berthet.

 

La maladie

Outre les rhumatismes et autres maladies articulaires dues à l'humidité régnant dans les galeries, il est un mal sournois, un fantôme invisible, une faucheuse implacable qui traîne dans les galeries : la silicose.

Ce mal a tué, tue encore et tuera encore bon nombre de mineurs.  La silicose est une maladie pulmonaire provoquée par l'inhalation de particules de poussières de silice dans les mines, les carrières, les percements de tunnel. 

Cette maladie professionnelle irréversible entraîne une inflammation chronique et une fibrose pulmonaire progressive. 

Elle se traduit par une réduction progressive et irréversible de la capacité respiratoire (insuffisance respiratoire) même après l'arrêt de l'exposition aux poussières. Elle se complique quelquefois d'une tuberculose.  Elle peut être aggravée par l'inhalation concomitante de poussière de charbon (anthracosilicose).

C'est une histoire de morts, de vivants et de morts vivants, tous mineurs en plein bassin houiller, gueules noires, cernes de suie autour des yeux. Au-delà de ce cliché, il y a la Faucheuse qui traîne au-dessus des têtes.

Il y avait Bob.  Il vivait dans le coron à deux pas de chez moi.  La soixantaine, marchant courbé en avant comme un bossu… faire deux pas puis respirer, chercher l’oxygène et refaire deux pas… savoir doser son effort.  Maigre comme un clou… un mort vivant.  Il restait cloîtré chez lui, dormait assis dans son fauteuil de peur de s'étouffer.  Quand il lui prenait la fantaisie d’aller se promener un peu, on l’entendait souffler, siffler, grincer, chuinter, comme s’il avait une nichée d’oisillons affamés dans la poitrine.  Puis il s’arrêtait, toussait, et crachait de la poussière noire mêlée à du mucus et à du sang. 

Il parlait doucement, respirait entre chaque mot et quand on lui parlait de sa vie au fond, c’était toujours pareil :

- Ça fait partie du train-train et du métier. On se protège plus ou moins avec un mouchoir. De toute façon, on n'a pas le choix. C'est ça ou on est muté au jour. Si vous voulez gagner de l'argent, il faut aller au fond, il faut aller au charbon. Un mineur, il est fier, il va gratter, il sait pourquoi, malgré qu'il y laisse sa santé. Aussi longtemps que la bourrique elle tire, on l'utilise. Après, c'est comme le citron, on peut jeter la peau. Et puis, de toute manière, la silicose, c'était une maladie d'ouvrier, tout le monde s'en foutait. »

Le rapport qu'entretiennent les mineurs avec cette maladie est complexe. Bob savait que c’est l’environnement poussiéreux qui l’a tué, car il va en mourir, il le sait… en fait c’est le contraire… il est déjà mort mais il ne le sait pas encore alors il continue à vivre.  Et pourtant il dit aussi :

- «Le gars qui n'a pas de silicose, c'est un fainéant. Cela veut dire qu'il n'a jamais bien travaillé.»

Comme si la silicose était une blessure de guerre, une décoration funeste qui faisait de lui un mineur de fond. Ben oui, c’est ça aussi un mineur… (fossiliraptor)

 

La catastrophe de Courrières

Le 10 mars 1906, une explosion secoue les houillères de Courrières, près de Lens. Plus de mille hommes vont trouver la mort dans ce qui reste la plus grande catastrophe minière survenue en France.

Le samedi 10 mars 1906, vers 6h30 du matin, juste après la relève des équipes de nuit aux fosses 2 Billy-Montigny, 3 Méricourt et 4 Sallaumines des mines de Courrières, situées dans l'arrondissement de Lens, une explosion terrible retentit. La déflagration a projeté à l'extérieur du puits de la fosse 3 la cage d'entretien ; le chevalement est détruit : l'entrée du puits est bouchée.

La France subit sa plus épouvantable catastrophe minière : 110 kilomètres de galeries sont balayés par le souffle de l'explosion et par les gaz; 1 100 mineurs y trouvent la mort. L'incompréhension, l'angoisse et la détresse s'emparent du monde de la mine.

Femmes, vieillards, enfants se sont rués hors de leurs corons, cependant que les secours, improvisés, affluent. Dans des conditions périlleuses, sans équipement ni méthode, les hommes du jour s'élancent dans les puits et les galeries pour tenter de dégager des survivants. Avec un rare courage, à l'image de l'ingénieur principal, René Petitjean, ou du délégué mineur de la fosse 3, Pierre Simon, dit "Ricq" , qui seront traités en héros par la presse de l'époque. En fin de journée, à peine plus de 550 mineurs sur 1 664 sont remontés, certains grièvement blessés.

Pendant ce temps, les carreaux sont submergés par une foule où se mêlent gendarmes et hommes de troupe appelés en renfort des gardes de la compagnie débordés, familles apeurées, responsables inquiets des houillères voisines, médecins et infirmiers affairés, journalistes régionaux et parisiens traquant l'information, le préfet Jules Duréault renseignant élus et bientôt ministres arrivés en hâte, Dubief à l'Intérieur et Gauthier pour les Travaux publics.

Dans les jours qui suivent, la compagnie reçoit l'aide de mineurs belges de la région de Mons, de sapeurs-pompiers de Paris puis de sauveteurs allemands venus de la Ruhr, équipés d'appareils respiratoires. A défaut de découvrir encore des survivants, ces secouristes aident à explorer les galeries, éteindre les incendies, remonter les cadavres tout en instruisant à l'emploi de leur matériel.

Côte à côte, français et étrangers travaillent dans des conditions abominables : équipés de gants et de masques imprégnés d'une solution antiseptique et entourés d'un fin grillage pour se protéger des mouches qui pullulent, ils aspergent les cadavres, disputés aux rongeurs, de lait de chaux puis les enrobent de draps imprégnés de sublimé ou de phénol et les déposent dans des cercueils avant de les remonter. Les corps brûlés et déchirés par l'explosion sont difficilement identifiables. En revanche, les dépouilles d'asphyxiés, bien conservées, feront croire, à tort selon les médecins placés sous l'autorité du docteur Calmette, directeur de l'Institut Pasteur de Lille, à de longues survies et à des morts récentes.

Conformément à la loi du 3 janvier 1813, les ingénieurs de l'État prennent en main les opérations de sauvetage. L'inspecteur général du service des Mines responsable de la région, Jean-Marie Delafond, puis un autre polytechnicien du corps des Mines détaché par le ministère des Travaux publics, Paul-Louis Weiss, viennent encadrer Gustave Léon, l'ingénieur en chef de l'arrondissement minéralogique d'Arras. Nombre de sauveteurs sont déjà morts ; des fumées et des gaz compromettent les accès vers un fond que l'on imagine sans survivants ; on redoute les risques d'épidémies.

Dans ces conditions, les secours sont rapidement réorganisés. Or, après une épopée hallucinante, treize miraculés refont surface le 30 mars, au nombre desquels Henry Nény, le rescapé hâbleur qui s'attribuera injustement un rôle majeur dans la survie du groupe 1, César Danglot, le rescapé écrivain qui écrira un récit de la catastrophe, et un quatorzième enfin, le 4 avril. Ils ont survécu en mangeant les briquets casse-croûte que le mineur emporte avec lui au fond trouvés sur les cadavres, l'avoine destinée aux chevaux, des carottes, de l'écorce de bois et la chair crue et décomposée d'Écuyer, le cheval abattu du ­conducteur Honoré Couplet - et en tentant d'apaiser leur soif brûlante avec leur propre urine.

Au total, selon le décompte officiel, 1 099 mineurs, dont 242 galibots, parmi lesquels bien des pupilles de l'Oise, sont tombés déchiquetés par l'explosion et son souffle, brûlés vifs, écrasés par les effondrements, asphyxiés par les gaz. Ils laissent 562 veuves la plupart étaient trop jeunes pour être mariés et 1133 orphelins, bilan alourdi d'au moins 16 sauveteurs fauchés dans l'action.

Relayé par la presse, un élan de compassion et de générosité gagne la France et le monde. Plus de 8 millions de francs sont récoltés et distribués aux familles endeuillées. Louis Barthou, nommé ministre des Travaux Publics dans le ministère Sarrien formé le 13 mars, se rend à Billy-Montigny décorer les rescapés, qui connaissent leur heure de gloire. Nény et le père Pruvost le plus âgé et le plus expérimenté des rescapés, qui prit une part essentielle dans la remontée au jour des survivants, invités à Paris par le quotidien Le Matin, assistent notamment aux manifestations hippiques d'Auteuil organisées en faveur des victimes. L'Avenir d'Arras et du Pas-de-Calais blâme l'initiative :"Insulte déconcertante au deuil de la France, et le plus lamentable avilissement de ces hommes, qui avaient mieux mérité, que de recevoir dans le décor d'un paddock, les félicitations d'une assemblée de snobs, de jockeys, de courtisanes."

Le désastre alimente aussi un violent mouvement social. En dépit du télégramme consolateur de Pie X lu ce jour-là, la colère née de la souffrance éclate le 13 mars, lorsque la région se drape d'un linceul de neige pour les premiers enterrements.

Émile Basly, député-maire socialiste de Lens, prend la parole : "Je le jure sur cette tombe qui nous glace d'horreur, sur ces cercueils que des mains tremblantes viennent de retirer d'une fosse pour les descendre dans une autre [...], justice sera rendue aux morts, justice sera rendue aux vivants, justice sera rendue à l'humanité !" Les compagnies minières sont accusées de rechercher le profit et les dividendes, au mépris de la sécurité. La grève éclate.

Le lendemain, 14 mars, lors de la séance d'investiture du gouvernement Sarrien, Basly se lève : "Mes chers collègues, ce matin, la grève a éclaté dans la mine de Dourges, dans celle d'Ostricourt et dans les puits encore en exploitation de Courrières. Elle sera générale dans quelques jours si le gouvernement n'y prend garde. Je lui demande de ne pas envoyer de troupes là-bas."

Entretenu par mille rumeurs sur les responsabilités et les mensonges de la compagnie concessionnaire - les ingénieurs des Mines seront inculpés d'homicide par imprudence, avant d'être mis hors de cause -, le courroux est encore attisé par les anarcho-syndicalistes. Ceux-ci, fort minoritaires mais très actifs, se regroupent au sein du Jeune Syndicat, adhérent à la CGT, dirigé par Benoît Broutchoux, renforcé par des camarades venus de Saône-et-Loire et du dirigeant cégétiste Pierre Monatte. Broutchoux a exercé à Montceau-les-Mines ses talents de meneur, écopé de plusieurs condamnations et fait de la prison, avant de venir s'employer dans le Pas-de-Calais, où il s'oppose d'emblée au leader du syndicat des mineurs, Basly.

Le Vieux Syndicat de Basly, l'ancien "mineur indomptable" du Germinal de Zola devenu député-mineur réformiste de Lens, qui n'entend pas se laisser déborder, donne parfois dans la surenchère verbale tout en restant fondamentalement attaché à des revendications modérées. Son journal, Le Réveil du Nord - qui sera condamné pour injures et diffamation en juin 1908 -, invective les administrateurs de la compagnie, les "vautours de Courrières" , ainsi que les dirigeants et soutiens du Jeune Syndicat, des "gibiers de bagne, repris de justice, vautours de l'anarchie" renforcés par des "étrangers au bassin" . En retour, L'Action syndicale de Broutchoux réplique par des écrits outranciers contre "Basly-la-Jaunisse". Des rangs socialistes s'élèvent en vain des appels à l'"union nécessaire" Jaurès entre baslicots et broutchoutards.

Dans le bassin minier, les réunions locales animées en patois et les congrès des délégués du bassin organisés à Lens se multiplient. La nuit venue, les grévistes lancent des "patrouilles", qui harcèlent les"jaunes", ou "rouffions".

Clemenceau, ministre de l'Intérieur dans le même gouvernement que Barthou, se rend à Lens le 17 mars pour exiger le calme et le respect de la liberté du travail. Il assure aux syndicalistes que le droit de grève n'est pas remis en cause tant que la loi est respectée. Il promet l'ouverture de négociations tout en se contentant d'un cantonnement de la troupe sur les carreaux des fosses. Il fait également remettre au procureur général de Douai, chargé de l'instruction du dossier, le registre original des délégués mineurs, qui contient des remarques sensiblement éloignées de leurs déclarations alarmistes tenues devant la presse et les juges. En l'occurrence, le geste permet de couvrir la compagnie de Courrières et de discréditer les syndicalistes qui souhaitent en découdre.

Ainsi, le 20 mars, alors que Broutchoux et les siens, avec à leurs côtés Antoinette Cauvin, dite la "citoyenne Sorgue", la "Louise Michel aveyronnaise", marchent résolument sur la mairie de Lens où se réunit le Vieux Syndicat, Broutchoux est arrêté puis condamné par le tribunal de Béthune à deux mois de prison pour Violences à agent et rébellion. L'ordre public troublé, Eugène Étienne, ministre de la Guerre, ordonne le soir même l'envoi de renforts dans le bassin. Alors que le Vieux Syndicat apparaît "sur le point d'être désarmé par la masse gréviste" Albert Thomas, dans L'Humanité, Basly peut jubiler du brusque renversement de situation : "Impossible de fusionner avec le néant."

Entamée aux mines d'Ostricourt et de Dourges, la grève concerne près de 60 000 mineurs, s'étend au Nord, déborde sur la Belgique, touche la Loire, le Gard et le Centre. Dans ce mouvement de la dignité plus que de la misère, les aspects familiaux et carnavalesques font place à une radicalisation des attitudes. L'inflexibilité du patronat conduit par Élie Reumaux, le directeur des mines de Lens, durcit en retour le mouvement de grève.

A Billy-Montigny, les femmes, furieuses, réclament "des culottes et des barrettes" pour descendre chercher d'autres survivants. Des grilles des corons sont renversées, des maisons de non-grévistes et d'ingénieurs ainsi que quelques lieux de culte sont attaqués. Certaines destructions du réseau de communication des houillères font même craindre une réapparition du luddisme.

A Hénin-Liétard, Jules Caron, mineur dont la maison est caillassée, abat au fusil un jeune assaillant, Georges Bottel, et le lieutenant de dragons Lautour tombe mortellement blessé à Lens. Du 17 au 20 avril, à Lens, Liévin et Denain, les événements prennent un tour insurrectionnel aux airs de "Petite Commune". L'envoi massif de l'armée un soldat pour trois mineurs, le quadrillage du bassin et l'arrestation des syndicalistes les plus actifs brisent le mouvement.

La presse fait largement écho au drame, des journaux dénoncent la grève et ses répercussions ; importation de charbon anglais, fermeture d'usines, s'inquiètent du laxisme du pouvoir "l'armée condamnée par Clemenceau à se laisser tuer", selon Le Gaulois, voire de "la révolution en marche" La Croix d'Arras.

Jaurès s'inquiète : "Il n'y a plus que les généraux qui parlent, il n'y a plus de place, dans cette région du Nord, que pour la force armée ! Comme l'entend Clemenceau, qui a agité le spectre d'un complot antirépublicain réunissant l'extrême gauche et l'extrême droite pour arrêter les responsables syndicaux, le 1er mai 1906 est calme dans le bassin minier. Un compromis est imposé, et le travail reprend dans la morosité au cours de la quinzaine qui suit.

Des augmentations salariales modérées, l'absence de discrimination lors des recrutements et de l'attribution de logement sur des critères confessionnels, syndicaux ou politiques, ainsi que la fixation de l'âge minimal de l'embauche à douze ans ont été obtenues, mais les licenciements s'abattent sur les grévistes les plus engagés.

Toutefois, entre solidarité, unanimité et divisions, la catastrophe puis ce puissant mouvement revendicatif ont contribué à l'émergence d'une identité fondée sur l'image héroïque du "soldat-mineur" et de la "gueule noire".

Plus largement, la catastrophe de Courrières conduit les pouvoirs publics à réformer sans délai le code minier : les lampes à feu nu sont interdites, la ventilation est améliorée, obligation est désormais faite d'employer des explosifs de sécurité, etc. Les changements imposés sonnent comme autant de condamnations d'une société où, au nom de la "nécessité", du "progrès" et de l'"innovation", compagnies, ingénieurs et mineurs acceptaient le risque quotidien.

La grève de Courrières a aussi des répercussions politiques au plan national. A plusieurs reprises, des députés socialistes réclament la nationalisation. Dès le 14 mars, Alexandre Zévaes, déclare : "Tant que les mines continueront, en vertu de lois monarchiques, à être concédées à des compagnies financières; tant que la République n'aura pas repris à la spéculation une propriété d'un caractère aussi national que le sous-sol minier; tant que les mines, en un mot, n'auront pas été nationalisées, nous pourrons, étant donné l'âpreté aux dividendes des compagnies minières, avoir à déplorer d'aussi effroyables catastrophes dues à la négligence et à la cupidité de leurs administrations."

Le 3 avril 1906, lors d'un important débat sur la catastrophe, Jaurès revient sur la question : "Si vous voulez la véritable responsabilité, si vous voulez donner à tous ceux qui ont la propriété des mines un nécessaire avertissement, ce n'est pas la responsabilité secondaire et dérivée des seuls ingénieurs qui doit être mise en cause, c'est surtout la responsabilité collective, impersonnelle, de ces vastes assemblées d'actionnaires, qui ne demandent à leurs représentants à la mine que le maximum de dividende, sans se préoccuper de la sécurité." Conclusion : "C'est la nation elle-même qui doit reprendre en main la gestion, l'administration de ce domaine."

Violemment prise à partie, la compagnie de Courrières se défend en arguant que ses fosses sont réputées d'extraction aisée, peu dangereuses et qu'elle ne connaît qu'un nombre limité - et en diminution - d'accidents mortels. N'a-t-elle pas été récompensée lors de nombreuses expositions nationales et internationales pour la qualité de son exploitation et les mesures assurant la sécurité de son personnel ?

La nationalisation des houillères n'aura lieu qu'après la Seconde Guerre Mondiale. Pour l'heure, c'est le mouvement syndical qui a été fouetté par la catastrophe de Courrières et la grève qui a suivi. En avril, les arrêts de travail se multiplient dans divers corps de métier. L'Écho de Paris publie une série d'articles sous le titre : "Vers la révolution", où le journal conservateur s'alarme des progrès de la CGT, des actions antimilitaristes, et dénonce l'État et les municipalités qui subventionnent les bourses du travail. Tandis que Le Temps fustige "la dictature cachée de la CGT sur la masse des travailleurs". L'annonce du 1er mai fait peur comme le "grand soir" qui se profile : Paris est menacé de pillage, de massacre et d'incendie...

Finalement, le 1er mai est un semi-échec pour la CGT révolutionnaire. Clemenceau, qui se dira bientôt le "premier flic de France" , administre son sens de l'autorité. Il ordonne des perquisitions aussi bien à la CGT qu'au journal La Croix, fait arrêter Griffuelhes, le secrétaire général de la confédération syndicale, et Lévy, son trésorier... pour les libérer le 8 mai. Le préfet de police Lépine met en oeuvre une protection musclée de la statue de la République où doivent converger les militants. Il y a bien quelques bagarres, mais, somme toute, plus de peur que de mal.

Cependant, lorsqu'en octobre 1906 Clemenceau remplace Sarrien à la tête du gouvernement, l'une des premières innovations de son cabinet est la création d'un ministère du Travail et de la Prévoyance sociale, aux fins de "coordonner tous les efforts dispersés pour préparer, pour faciliter, pour réaliser progressivement les solutions si complexes des problèmes sociaux aggravés par l'état inorganique des masses ouvrières et par l'état d'esprit qui en est trop souvent la ­conséquence" .

La révolution n'a pas eu lieu, mais l'esprit de réforme sociale commence à pénétrer une classe politique qui, jusque-là, s'est trouvée accaparée par le conflit religieux, par les conséquences de la loi de séparation des Églises et de l'État. Cette entrée en force du "social" dans les préoccupations du Parlement et du gouvernement, la catastrophe de Courrières y aura tragiquement contribué. Denis Varaschi.

 

L'art du commandement

Les agents de maîtrise ne se contentent pas de marqueurs statutaires, ils multiplient les rituels politiques (Foucault 1993) pour mettre en scène leur différence.

Emprunter une cage et un wagon spécifiques pour rejoindre le fond, manier ostensiblement son carnet et son crayon, rester à l’écart de l’action, parader avec son pic et son foulard de porion sont autant de façons de porter son titre. Les ordres sont donnés de la façon la plus abrupte et une extrême obéissance est de mise. Les incidents de production suscitent des volées de reproches, voire d’injures. Des amendes sont distribuées ou des primes sont supprimées à titre de sanction. La souveraineté hiérarchique se heurte cependant à ces chantiers qui livrent d’aussi mauvaise grâce leur charbon. Les hommes qui manient outils et engins ne peuvent être maintenus dans le strict rôle d’exécutant et la réussite des programmes de production doit beaucoup à leurs inventions au fil des aléas techniques. Leur bonne volonté est d’autant plus nécessaire qu’ils savent se jouer des difficultés de contrôle pour « tenir les chefs » à leur façon. Des alliances se jouent alors de personne à personne. Ouvriers et porions se livrent à des échanges, les uns monnayant les résultats de production, les informations et les bonnes idées, les coups de collier et les heures supplémentaires, les autres négociant les places dans les bons chantiers, les facilités de congé et de pointage, voire quelques verres après le poste. A la stricte comptabilité de ces dons et contre-dons se substituent parfois des poches régies par des rapports moins dissymétriques. Toutes ces transactions interindividuelles restent cependant secrètes et, parallèlement à ces aménagements de coulisse, le théâtre hiérarchique se perpétue.

« L’art du commandement », comme le nomment souvent les agents de maîtrise, est un double jeu engageant les hommes dans une succession de manœuvres périlleuses. Un porion se souvient d’un collègue qui distribuait des amendes à des ouvriers, puis leur versait en catimini les sommes retirées, c’est dire combien se comporter en chef tyrannique est à la fois impérieux et difficile. Il faut énormément de talents sociaux pour interpréter ce rôle complexe, savoir observer les personnes, jauger les situations, jouer la comédie, inventer des histoires, etc. Les aptitudes techniques ne sont pas en reste. C’est en apportant la preuve de leurs compétences que les agents de maîtrise peuvent tirer leur épingle de cet embrouillamini.

« Quand un porion avait des capacités et qu’il pouvait le prouver par A + B, il en imposait », explique un ouvrier retraité. Le pouvoir conféré par le titre est nié au profit de l’autorité gagnée par les talents techniques (Dodier 1995). Sans la démonstration régulière de cette excellence professionnelle, les responsables hiérarchiques sont sourdement méprisés, voire ouvertement contestés. Pour réussir en tant que chef, il faut pouvoir exceller en tant que mineur, tout en restant extérieur à l’action technique. Il s’agit vraiment de grand art…

 

* * * * * * * * 

 

Privés de ces savoirs pratiques, les ingénieurs ne peuvent pas s’affirmer face aux ouvriers : « Un chef qui a travaillé sur le tas, ça passe, mais tous ces gratte-papier, ils ne connaissent pas le métier. » Ils sont considérés comme des hommes prétentieux, qui « ne savent rien et veulent toujours commander ». On refuse le plus souvent de leur accorder le titre de mineur et on les taxe couramment de lâcheté. Quant aux connaissances sur la base desquelles ils ont acquis leur titre, leur utilité est farouchement réfutée. « Au point de vue des gaz, l’ingénieur l’a fait à l’école, mais qu’est-ce que l’ouvrier peut raconter sur les gaz !

Il faut être honnête, ils savent que c’est dangereux à un certain pourcentage, mais le mélange, comment ça se produit, ils ne peuvent pas répondre. Seulement, les ouvriers n’admettaient pas ça, pour eux, c’était la pratique, et le reste ils s’en foutaient », constate un ancien chef porion. Les agents de maîtrise partagent largement le point de vue de leurs ouvriers. Mais, jour après jour, les activités de rapports et de statistiques les placent face à ces ingénieurs qui écrivent et calculent si bien. Même s’ils contestent l’intérêt de ces travaux de rédaction et de comptabilité, ils éprouvent les limites de leur instruction relativement à ces hommes si cultivés.

Les ingénieurs imposent en outre souvent l’usage de la langue française, contraignant les porions à un parler et à une écriture malhabiles. C’est pourquoi un sentiment d’infériorité teinte le regard méprisant que portent les chefs de terrain sur les ingénieurs.
Ces derniers ne sont guère plus enclins à reconnaître les compétences de leurs subordonnés. S’ils peuvent écrire dans une revue professionnelle – qui ne sera jamais lue que par des pairs – qu’un vieux mineur, un vieux porion en savent long sur la mine ou que « la science de l’ingénieur est pour une large part dans l’expérience de ses cadres » (Bihl 1946), ils se gardent de montrer au grand jour l’importance de ces savoirs construits sur le terrain. Ces connaissances leur semblent de toute façon très secondaires, eu égard à la vision acquise par leur formation, sinon déjà par leur origine bourgeoise. « La mentalité de l’ouvrier est très différente de l’ingénieur, parce qu’il a reçu une éducation et des connaissances différentes. La grossièreté va de pair avec la rudesse d’un travail et leur valeur est souvent basse. Je ne fus pas choqué par cet état de choses parce que je m’y attendais », explique un étudiant de Polytechnique dans son rapport de stage dans les mines lorraines. Puisque les uns et les autres ne parviennent pas à s’entendre sur la valeur de leurs savoirs, les échanges ne peuvent pas s’opérer comme plus bas sur l’édifice hiérarchique. Un profond fossé empêche hommes de terrain et hommes de bureaux de collaborer. La situation est explosive, même si ces tensions s’expriment sous la forme d’un épais mur de silence et de distance. Les savoirs construits par l’expérience sont aussi essentiels à la mine que les connaissances acquises par l’instruction, mais leurs détenteurs refusent de reconnaître leurs compétences respectives. 
(c) Catherine Roth

 

 

Galibot dans les mines du Nord 

Pour ses l3 ans il est bien frêle... Galibot à la fosse Lemay, les mineurs sont étonnés de sa résistance au travail. Le galibot roule les berlines de charbon dans les voies à l’étage 286. Chaque berline remplie porte le numéro de la taille ou il roule (action de charger les berlines de charbon).

Un préposé à I’accrochage relève et compte toutes les balles (dans le Nord une berline pleine) portant le même numéro, remplies par les rouleurs dans les différents chantiers d’exploitation.

La course entre les tapis roulants et les machines pour l’attraper est une tradition. Entouré de toutes parts, ne connaissant pas les lieux, il se fait prendre rapidement. Maintenu par les bras solides il est déculotté, sous les rires des trieuses. Il essaie bien de se débattre mais c’est peine perdue. C’est à la plus ancienne de toutes que revient l’honneur de badigeonner, une fois le pantalon baissé, la partie intime du galibot. Le pot de graisse à barous (berline) d’une main, le pinceau à graisser les essieux de l’autre, elle attendait. Trop forte, elle ne peut plus courir. 

La farce consommée, le jeune est relâché. Un éclat de rire général fuse. Vexé, il remet tant bien que mal son pantalon, qui s’auréole aussitôt de graisse. La matrone, les poings sur les hanches, s’écarte avec ses complices pour le laisser passer, en riant aux éclats. Le responsable du triage, comme d’habitude, a laissé faire. Il se souvient, il y a bien longtemps, que pareille mésaventure lui était arrivée.

Les jetons ou taillettes, coincés sur le côté de chaque berline, sont récupérés par un autre galibot dans un panier, pour un deuxième contrôle au jour. Parfois des mineurs tricheurs remplissent de cailloux la berline aux trois-quarts et la complètent ensuite de belles gaillettes. Le procédé est connu de tous, surtout des contrôleurs. Les fautifs sont vite repérés et bien souvent l’amende qu’ils doivent payer ne les incite pas à recommencer.

Comme rouleur, il est champion, toujours à la recherche de charbon à hercher (à charger) et ne perd guère de temps à attendre que celui-ci arrive tout seul dans la berline, il va le chercher là où il se trouve dans les différentes voies où des chantiers d’exploitation sont ouverts.  Le galibot remplit les berlines et les ramène au modèle (lieu de stockage des trains) pour que le "méneu d’quévaux" (Le meneur de chevaux) les emmène à l’accrochage (lieu de recette du puits). Et surtout, il n’oublie pas de signer mon travail à l’aide de la taillette.

Le chantier auquel il est affecté comporte une descenderie. Ce système est employé lorsqu’une veine de charbon est exploitée alors que le puits n’a pas encore été aménagé pour la remonte des produits à cette profondeur. C’est un montage (galerie large de 2,5 mètres creusée dans le charbon du point le plus bas vers le point le plus haut) renforcé par un bon boisage creusé jusque dans la voie inférieure, où se fait l’exploitation du chantier, à la voie supérieure vers l’accrochage. Il comporte sur le côté droit pour le personnel un petit escalier, chemin obligatoire pour se rendre d’un étage à un autre. À proximité, deux doubles rails sont installés en permanence.  L’un est réservé à la remonte des balles pleines et l’autre à la descente des berlines vides par des mouvements de va-et-vient. Un treuil à air comprimé,  dans la voie supérieure est actionné d’après un signal convenu.

Un câble entoure une immense poulie placée contre le toit, dans une niche de la galerie supérieure, tout à côté du moteur. II rejoint à chaque extrémité les crochets des berlines. Dans chaque voie, supérieure ou inférieure, deux doubles rails sont placés au sol. L’une reçoit les balles (Dans le Nord une berline pleine) et l’autre les barous (berline vide). Elles débouchent sur une grande plaque de fer de la largeur de la voie.

Cette plaque est mouillée de temps en temps pour faciliter le guidage et le glissement des roues de la berline vers les rails de la voie choisie, soit en versant un peu du contenu du boutelot (gourde en aluminium, Kaffeeblesch dans les mines de lorraine) ou encore en se soulageant la vessie dessus.

Un jeune est employé à accrocher les balles à l’étage supérieur et à décrocher les berlines vides lorsqu’elles arrivent afin de les diriger vers le modèle. Les allers-retours vont bon train. La sueur me remplit les yeux. Ce n’est pas une mince affaire que de pousser les balles pleines, inertes, de la descenderie vers le modèle. Lorsque les rails sont encombrés de charbon, il s’arque boute, la force décuplée par le besoin de bien faire. La lampe benzine accrochée à la poignée de la berline éclaire un peu de sa lumière jaune et il peut juste voir à ses pieds les flaques d’eau, qu’il essaie d’éviter.

Certains mineurs savent qu’il n’est pas franc dans le noir. D’ailleurs qui peut se vanter de rester la lampe éteinte plusieurs minutes d’affilée sans être saisi d’angoisse. Le scénario est toujours le même ; ils s’approchent doucement dans le noir absolu pour mieux surprendre le pauvre galibot absorbé par son travail, et  profitant de leur force, ils le portent dans une berline vide, prête à la descente. Il se retrouve sans lumière, la tête rentrée au maximum de peur d’accrocher une bille (nom donné au chapeau d’un cadre de galerie) dans la berline, en direction de la voie inférieure. Il ne reste plus qu’à s’asseoir dans le fond en attendant la délivrance.

Sa barrette en cuir est tombée, il ne sait où.  Il ne lui reste plus qu’à attendre et penser à la petite trieuse qui lui l’avait souri avant sa descente, il cherche un moyen pour se faire remarquer et lui donner rendez-vous dans le bois derrière la fosse.

Avec cette idée en tête, les l00 mètres de descente lui semblent rapides. Le mineur à la réception est étonné de voir sa tête émerger de la berline. Il le sort de là, riant de la plaisanterie. II va falloir regagner son “ poste “ (aussi désigné comme l’endroit où l’on travaille) seul dans le noir. Il hésite avant de remonter par le trou béant, noir de la cheminée. À tâtons, il grimpe s’aidant des mains. Le noir l’enveloppe, l’avale. La sensation ne peut s’expliquer, un mélange de peur et d’une hargne à rejoindre la voie supérieure. De temps en temps il entend le roulement d’une berline ou d’une balle il peut les reconnaître au bruit différent qu’elles font sur les rails. À quatre pattes, il faut un long moment avant d’apercevoir la faible lueur qui indique que le but n’est plus loin. L’idée d’une vengeance germe alors dans son esprit. Il connaît les farceurs. Le meneur de chevaux est dans le coup.

Caché sur un bois du boisage anglé (boisage de renforcement dans les voies), armé d’une queue de troussage, (bâton de 1,20 mètre et de 4 à 5 cm de diamètre) il attend son passage. Arrivé à sa hauteur, il lui flanque un bon coup sur sa barrette en cuir. Celle-ci tombe par terre. Le mineur, par réflexe, se jette au sol imaginant la chute d’une pierre. Dans le noir, le jeune s’éclipse en  vitesse.  Durant un court moment, il savoure cette vengeance bien personnelle. JP Mongaudon

 

L'histoire de Sainte Barbe

Barbe vivait au milieu du IIIe siècle à  Nicomédie en Asie Mineure, aujourd'hui Izmit, un port de Turquie. Son père était un riche commerçant païen du nom de Dioscore lequel pour la protéger de ses prétendants, l'enferma dans une tour.

Au retour d'un de ses voyages, sa fille lui apprit qu'elle s'était convertie au Christianisme durant son absence. Furieux, le père mit le feu à  la tour mais Barbe réussit à  s'enfuir et se réfugia dans les montagnes des environs. Malheureusement pour elle, un berger découvrit la cachette et courut aussitôt avertir son père. Ce dernier la traîna alors devant le gouverneur romain de la province qui la condamna à d'affreux supplices. Comme la pieuse jeune fille continuait à  invoquer le Christ, le gouverneur ordonna au père de trancher lui-même la tête de sa fille. Dioscore obéit au gouverneur mais subit aussitôt le châtiment céleste et la foudre le tua sur place.

Depuis ce jour, Barbe protège contre la foudre, donc contre le tristement célèbre coup de grisou qui est la hantise des mineurs. Elle est la patronne des mineurs mais également des pompiers, des artificiers, des artilleurs et des carriers qui utilisent des explosifs pour entamer la roche. Dans le Forez, on inscrit son nom sur les cloches et on les fait sonner à  Courreau (St Bonnet-le-Courreau) pour qu'elle éloigne la foudre. 0n retrouve cette tradition avec Saint Aubrin à  Montbrison. Elle donna aussi son nom aux cales des navires où la poudre et les munitions étaient gardées. Et bien sûr à  une multitude de chapelles, la plus grande d'entre elles étant celle de Bourges.  Elle est fêtée le 4 décembre mais Barbe a été rayée du calendrier catholique et romain en 1979, pour être remplacée par Barbara, son vrai nom en latin et en grec, utilisé partout sauf en France. Allez savoir pourquoi, les poilus gaulois ont préféré Barbe. 

Son culte fut particulièrement fervent à  partir du XVe siècle. Elle est représentée sur une fresque au prieuré de Saint-Romain-le-Puy. La statuaire la représente le plus souvent à  côté d'une tour. Parfois, cette dernière comporte trois fenêtres symbolisant la Sainte Trinité. C'est le cas, en particulier, sur la sculpture du puits Couriot à  Saint-Etienne, restée fidèle à  son poste, au fond. La tour sur laquelle s'appuie la jeune fille de la chapelle de Grézolles est presque aussi haute qu'elle. Sur le retable de Saint-Galmier, la jeune martyre est à  gauche de la Vierge ! Elle est aussi figurée sur la fresque de l'église Saint-Ennemond à  Saint-Etienne. 

D'autres statues se trouvent à  l'église de la Ricamarie, dans la chapelle des Pères (sur la colline Sainte-Barbe à  Saint-Etienne), à  Notre-Dame de Rive-de-Gier. La popularité de la Sainte fut telle qu'une demoiselle de Saint-Chamond se fit représenter sous ses traits vers 1830. Son buste est conservé à  l'église Saint-Pierre de Saint-Chamond. 

 

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Nos amis et visiteurs nous ont envoyé à ce jour de nombreux témoignages sur le travail quotidien des mineurs oeuvrant au fond des puits. Jean René Béguier nous parle aujourd’hui d’un sujet qui a été rarement abordé. Au fond de ces galeries, à des centaines de mètres sous terre, même les actes les plus simples et les plus naturels peuvent poser problème dans l’environnement hostile du monde de la mine. 

 

Les tinettes au fond des mines afin d’éviter l’ankylostomiase.

L’ankylostomiase (ou ankylostomasie chez les animaux) est une maladie parasitaire due à un ver nématode, l’ankylostome. Les vers adultes vivent dans les intestins où ils pondent des œufs. L’éclosion des œufs donne naissance à des larves qui sont éliminées par les selles. Ceux-ci contaminent l’homme en pénétrant par la peau puis passent dans la circulation sanguine. Ces contaminations sont parfois mortelles. 

Dans les mines, la contamination s’effectue généralement par les matières fécales du mineur qui fait ses besoins suivant l’opportunité de l’endroit où il laissera ces matières naturellement évacuées, soit sous formes liquides ou solides. En fonction d’un chantier plus ou moins long, les latrines naturelles sont au même endroit.

La promiscuité des ouvriers et le manque d’hygiène, (il n’y a pas toujours de possibilité de se laver les mains après avoir fait ses besoins), favorise de ce fait la contamination.

Pour contenir ces infections, des tinettes ont été introduites dans les chantiers du fond. Prévention dérisoire parce que le mineur est au contact de la lunette en bois avec les risques de contamination.

La tinette est un seau cylindrique muni d’un couvercle. L’ensemble est en en acier galvanisé et le siège est constitué d’une lunette en bois.

Un ancien mineur avec qui j’ai eu l’occasion d’en parler et qui a connu l’époque des tinettes, m’a dit que ces dernières, même régulièrement vidées n’étaient que rarement nettoyées. Les mineurs les ont peu à peu oubliées mais en 1980 je suis encore tombé sur un ‘code emploi’ qui était toujours d’actualité, celui d’employé aux tinettes. 

 

Tinettes du mineurcomp.jpg

 

En 1990 à l’étage 440 du Puits Simon il y avait encore 2 tinettes stockées dans un coin d’une galerie inutilisée. A l’époque, j’en avais parlé à des responsables du musée de Petite-Rosselle pour qu’ils les récupèrent, mais ils ont fait la fine bouche… Cela ne les intéressait pas vraiment !.

En 1952, mon frère avait 14 ans et travaillait au criblage à Petite-Rosselle. Il me racontait qu’il arrivait que des morceaux de charbon ou des pierres ramenées sur le tapis de triage fussent souillés par des matières fécales. Après les tinettes, je vous laisse imaginer comment et où, les mineurs faisaient leurs besoins, A part le fait que de petits plaisantins le faisaient en amont aérage pour faire profiter leurs collègues du délicat parfum que pouvait exhaler leurs précieux dépôts, d’autres anecdotes tout aussi peu avouables sommeillent sûrement encore dans certains esprits. C’était aussi cela la mine.

P.S. : Tiens, cela me vient maintenant à l’esprit, je n’ai jamais entendu le CHSCT (Comité d' hygiène, de sécurité et de conditions de  travail) évoquer le problème des latrines au fond, ou alors j’ai raté le train en marche... J-R Béguier.

 

 


 

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28/06/2016
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