NOSTALGIA le Blog qui fait oublier les tracas

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Jean-Lucien Miksa : La mine

Jean-Lucien Miksa est un fils d'immigrés polonais déportés, aujourd'hui disparus, venus en France, au sortir de la dernière guerre mondiale, chercher une terre d'accueil. La famille Miksa avec ses quatre garçons quittent la Ferme de Schoeneck en 1957 pour la cité minière de Behren-lès-Forbach, puis s'installent en 1967 à Stiring-Wendel dans la cité du Habsterdick,  rue de la... Ferme.

C'est dans cette cité que Jean-Lucien retrouve Claudia qu'il a dû croiser dans les rues de la Ferme de Schoeneck dans son enfance. Ils se marient en 1974 et Claudia lui donnera trois enfants. En 2000, Jean-Lucien se met à l'écriture, restituant dans ses récits les histoires racontées par ses parents pendant son enfance, auxquelles il mêle celles qu'il aimait inventer pour ses enfants. Sa fille Natacha s'associe à ce besoin de faire partager ses racines, en illustrant les contes de son père. Ils publient aux éditions L’Harmattan Le Ruisseau aux Larmes d'Amour, un conte pour enfants en 52 pages, et Le Lac des Invincibles, un conte bilingue franco-polonais en 24 pages couleurs.

J'ai également le plaisir de vous faire découvrir dans les pages qui suivent, une partie du vécu professionnel de Jean-Lucien au sein de la grande maison H.B.L. Ces récits d'une grande sensibilité sont des tranches de vie d'un être perfectionniste, toujours passionné par son travail. Merci Jean-Lucien d'avoir accepté de partager ces moments avec les lecteurs de NOSTALGIA. Clément Keller, juillet 2016. 

 

LES CONTES PUBLIES CHEZ L'HARMATTAN 

 

Le ruisseau aux larmes d'amour
En 1853, dans la chaîne montagneuse des Carpates en Pologne, habite un peuple dur où les hommes cultivent les versants peu fertiles des collines et y élèvent quelques bêtes. Jasio vit seul avec sa maman et ne se soucie de rien.

Il profite généreusement de tout, sans même s'apercevoir que sa maman se prive pour lui. Ce comportement lui vaudra de se faire enlever par Babajaga, la sorcière voleuse d'enfants… Il aura à subir beaucoup d'épreuves, plus difficiles les unes des autres, pour enfin arriver au ruisseau... Mais le ruisseau aux larmes d'amour sauvera-t-il Jasio ? Depuis, dans cette vallée, les sorcières voleuses d'enfants ont disparu. Du château, on dit que ses ruines sont enfouies quelque part dans les profondes forêts, et on ajoute même que certaines nuits de pleine lune, près de ces ruines, on peut entendre des hurlements atroces et des coups d'épée contre des grilles en fer. 

Le lac des invincibles-Jezioro Niezwycienzonych
La Pologne a subi de nombreuses invasions barbares, et si elle a toujours fait front, c'est grâce au courage et à la vaillance du peuple polonais.

Jacek, le héros de ce conte, n'échappe pas à cette règle, il doit sauver son village et sa contrée d'une nouvelle invasion. Il a entendu parler du roi Casimir le Grand et de ses vaillants soldats, aussi il n'écoute que son coeur et va à leur recherche vers un lac nommé "Morskie Oko", "L'Oeil de la Mer".

 

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LA MINE

 

Préambule.

Les chapitres qui suivent décrivent les années que Jean a passé aux HBL (Houillères de Bassin de Lorraine). Il nous raconte son vécu au travers de ce que sa mémoire a retenu, sans chercher à glorifier son entreprise, ni à noircir le tableau, mais pour ne pas oublier sa participation à cette page de l’histoire du charbon et la porter au grand jour.   

 

1) L’entrée de Jean dans la grande maison.

Jean est entré dans la vie active à 15 ans pour faire un apprentissage de dessinateur en bâtiments. Après l’obtention de son CAP il va rejoindre l’usine Michelin en Sarre pendant un semestre avant de retrouver un emploi comme dessinateur à Sarrebruck. Il travaillera quelques années en Allemagne et ira jusqu’à Düsseldorf dans la grande maison de Mannesmann,  mais il veut à tout prix rejoindre la France et grâce à une rencontre fortuite, il est encouragé à poser sa candidature d’embauche aux HBL (Houillères du Bassin de Lorraine). Après un essai, il y est accueilli en août 1974 alors qu’il a 21 ans. Il quittera l’entreprise en 2000 au titre du CCFC. (Congé Charbonnier de Fin de Carrière) à l’âge de 47 ans.

Durant cette longue période il a eu la chance de travailler dans différents services du jour. La plus grande partie à Freyming-Merlebach, une courte période de déplacement à la Défense à Paris et le restant dans l’UE (Unité d’Exploitation) du Siège de La Houve à Creutzwald.

A Merlebach, il débute sa carrière comme dessinateur de petites études à la DETN (Direction des Etudes et Travaux Neufs) qui comportait un service Architecture, un service Génie-Civil, et un service Thermique. Il intègre le service Architecture grâce à son CAP de dessinateur en bâtiment option architecture. Ce diplôme lui donne droit à l’échelle 8. Ce n’est pas une échelle qui donne droit à un salaire énorme, mais il vient de quitter un emploi dans le privé où il lui est arrivé de doubler son salaire en faisant ses preuves en une année. Il pense alors qu’il ne restera pas dans cette catégorie très longtemps et est confiant. En plus de son petit salaire il a droit à des avantages en natures et une perspective de déroulement de carrière qui semblait prometteuse au vu des anciens qui formaient l’équipe qu’il doit intégrer.

Les avantages en nature de Jean consistaient à bénéficier d’un logement de fonction, une quantité annuelle de charbon ou coke et du petit bois pour allumer le chauffage, un droit à une quantité d’eau et d’électricité.

Dans le logement qu’il a occupé à la cité du Creutzberg à Forbach, les avantages en eau et électricité étaient encore fournis directement par les HBL en 1974 et une régularisation était faite en fin d’année en fonction de sa consommation réelle. Ses droits au chauffage étaient excédentaires et l’entreprise lui remboursait le reliquat.

Quelques années plus tard, les HBL avaient cédé les réseaux électriques et eau à des opérateurs privés, et il percevait alors une indemnité compensatoire qui malheureusement ne couvrait plus le coût des consommations.

Jean était heureux, jeune marié, la vie lui souriait, son travail lui plaisait.

Au bureau dans lequel il se rendait désormais tous les jours, ses collègues de travail étaient tous plus âgés que lui d’au moins vingt ans. Cette différence d’âge n’entraînait cependant aucun conflit générationnel, les anciens avaient bien acceptés ce sang neuf. Les HBL n’avaient plus embauché depuis très longtemps et, grâce au premier choc pétrolier qui entraîne une hausse de la production charbonnière, de nouvelles embauches sont faites. D’ailleurs, quelques autres jeunes de son âge l’ont rapidement suivi dans ce service.

Leur bureau d’étude comptait une équipe d’une dizaine de dessinateurs, quelques métreurs et surveillants de travaux. Ce service avait réalisé les plans de toutes les cités récentes, les commerces et les hôpitaux des HBL. Le bureau d’étude avait également réalisé la plus part des bâtiments industriels des différentes Unités d’Exploitation dans les différent Sièges. La variété des domaines d’activité de ce groupe était sans limite, ce service avait un savoir faire unique.

Tous ceux qui connaissent les HBL savent que c’est un monde à part avec ses codes qu’un quidam comme Jean, qui vient du privé, ne connait pas et qui plus est, ne comprenait pas. Jean qui avait su s'affirmer dans le privé, trouvait que les rapports entre lui, les anciens et les chefs (très nombreux), étaient compliqués et les ordres qui émanaient d"eux avaient valeur d’obligation. La contradiction n’était plus au goût du jour !

Très vite il a refusé de se laisser marcher sur les pieds car il avait une bonne expérience du monde du travail dans le privé et il a dû batailler pour se faire une place parmi les anciens qui s’en amusaient beaucoup.

Le vendredi était la journée de l’apéritif et chacun devait l'offrir à tour de rôle.  C’était le « jaune » qui était à l’ordre du jour. Jean ne voulait pas y participer car il pratiquait encore la lutte, un sport qui demande une très bonne condition physique, d’autant plus que son club évoluait en Sarre au plus haut niveau. Mais pour l’obliger à faire une coupure dans son travail lorsque tous se réunissent autour du « bar », l’un des anciens vient sur sa planche à dessin et demande en posant son doigt sur l’encre : c’est déjà sec ?  Et de poursuivre son geste, provocant de ce fait une tâche qui s’étale sur plusieurs centimètres. Jean est contraint de s’arrêter et, dans un fou rire général, accepte un verre. Il comprendra le soir à l’entrainement que ce n’était pas une bonne idée et se dit qu’il évitera à l’avenir de recommencer. 

Voilà une carrière qui semblait mal engagée, car si dans le privé ce refus eût été un compliment, ici ce n’était malheureusement pas le cas, il ne fallait surtout pas bousculer l’ordre établi !

2) La direction générale

Avant la construction de la DG (nouvelle direction générale) des HBL, celle-ci était située rue Emile Huchet à Freyming-Merlebach et devint l’ancienne direction. La DG où se trouvait son service était appelée « Schloffhaus » (dortoir en francique), parce que les gens disaient que ceux qui y pénétraient y allaient pour dormir et non pour travailler, par opposition au mineur qui lui « allait au charbon » au fond de la mine. Ce bâtiment était aussi appelé « l’aquarium », peut être à cause de son architecture innovante qui laissait en alternance filer fenêtres et bandeau carrelés sur toute la largeur de la façade sur les dix étages qui la composaient, ou comme disait un commerçant qui avait son échoppe en face : il est quatre heure, l’aquarium se vide, et lorsque je lui demandais comment ça l’aquarium ? il répondait : ben qu’est ce qu’ils font les poissons dans l’aquarium, ils dorment, non ?

Les employés étaient considérés comme improductifs, des parasites qui coûtaient cher à l’entreprise.

Environ sept cents personnes y travaillaient et cinq cents autres dans l’ancienne DG. L’effectif des HBL était d’environ 10 000 personnes en ce temps là. 

3) Les premières missions et rebellions

En 1974 le plus important travail de son service consistait à la « modernisation » des cités minières. En effet si au milieu des années 50 avait débutée la construction de nombreuses cité disposant d’un confort moderne pour l’époque : chauffage central, salle de bain, wc et eau chaude grâce à un chauffe-eau au gaz, d’autres cités construites avant 1900 et vers 1930 en étaient dépourvues. Leurs habitants se chauffaient à l’aide d’un poêle à charbon.

Leur salle de bains était réduite, pour les plus débrouillards, à une baignoire située dans une cave du sous-sol et l’eau chaude pour le bain produite dans une grande marmite sur un fourneau à charbon ou au gaz. Le WC constitué d’une ouverture dans une planche posée au-dessus d’une fosse était dans une baraque du jardin.

 

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Seule la cuisine disposait d’un point d’eau froide. Les bâtiments n’étaient pas isolés et les hivers rudes que connaissait la région de Jean étaient difficiles à supporter. Il se souvient, pour avoir occupé lorsqu’il était encore chez ses parents une de ses maisons, que l’hiver la glace se formait sur les fenêtres de la chambre à coucher qu’il partageait avec ses deux frères. Il n’avait pas oublié non plus que la grande marmite d’eau chaude pour le bain hebdomadaire servait à toute la famille. L’eau de la baignoire n’était pas vidée entre le bain de chacun, un peu d’eau chaude était simplement rajoutée pour le suivant. En hiver il y avait sous les marches de l’escalier de la cave un pot de chambre dont il fallait enlever le couvercle pour y faire ses commodités dans un froid glacial. Lorsque le seau était rempli, il devait être vidé dans la cabane du jardin. Mais Jean y avait vécu heureux car lorsqu’on est adolescent et qu’on est entouré de sa famille et de ses amis qui pour la plus part vivaient dans les mêmes conditions, on ne se posait pas de question.

Maintenant il était dans ce bureau qui veillait à apporter le confort à toutes ces personnes qui en manquaient jusque là. Les programmes de modernisation consistaient aussi à mettre aux normes l’électricité, à refaire les couvertures, parfois la toiture, à isoler les combles, à remplacer les fenêtres par de nouvelles au double vitrage, parfois à isoler l’extérieur des bâtiments en même temps que la mise en peinture des façades pour égailler un peu ces cités aux alignements de bâtiment si monotones. Ah qu’ils étaient beaux ses bâtiments ainsi repeints, et quel plaisir il avait à choisir les teintes des murs, des volets avec barres et écharpes aux tons différents.  

Seuls les logements des anciennes cités étaient touchés par la « modernisation ». C’étaient soit des bâtiments à deux, quatre ou rarement six familles, soit des bâtiments avec des logements collectifs, soit des bâtiments de type chalets ou Mig pour une seule famille.

Il y avait deux, trois et même quatre catégories de logements.

La première était celle des logements ouvriers mineurs qui étaient logés sans le même confort existant dans les cités récentes. Ceux-là allaient enfin pouvoir connaître les joies d’un bain bien chaud dans une salle de bains confortable et pouvoir se rendre aux toilettes sans sortir du bâtiment.

La deuxième catégorie concernait les logements des Etam et agents de maîtrise qui en plus du confort précédent disposerons d’un chauffage central avec chaudière au coke et radiateurs en fonte.

La troisième catégorie concernait les ingénieurs dont les maisons devaient offrir une modernité et confort digne de leur rang…

Et puis il y avait les maisons des ingénieurs chefs, alors là, tout dépendait de leurs épouses. Epouses pas toujours très décidées, parfois assoiffées de goûts très, très, luxueux !  

Lorsque les travaux étaient de peu d’importance, les logements pouvaient rester occupés. Lorsque les travaux étaient très conséquents, ils devaient être libres de tous occupants. Ceci conduisait parfois à des complications car certains ne voulaient pas quitter leur logement, mais des solutions étaient presque toujours trouvées ce qui évitait tout conflit.   

Pour faire les plans des travaux à réaliser d’après une liste établie en accord avec le service immobilier, il fallait dans un premier temps rechercher les plans des bâtiments existants. Pour cela Jean se rendait aux archives qui étaient au sous-sol de la DG. Ces archives étaient tenues par du personnel ouvrier, retiré du fond pour raisons médicales, sous l’autorité d’un chef d’équipe qui dirigeait ces homme avec poigne. Les plans des cités comportaient plusieurs types de logements et beaucoup étaient archivés dans ces murs. On y trouvait mêmes certains plans de bâtiments qui étaient annotés en allemand.

Une fois les plans trouvés sous forme de papier calque, il en demandait ensuite un tirage papier et il ne restait plus qu’à se rendre sur place pour effectuer un relevé contradictoire. Avant de se déplacer, il faisait une demande au service immobilier des HBL afin qu’un préposé prévienne l’occupant du prochain passage d’un équipe de dessinateurs dans sa maison.

Les relevés dans les logements se faisaient toujours à deux, d’une part pour relever les grandes dimensions au décamètre, mais aussi pour rassurer les épouses dont le mari pouvait être au travail. Pour se rendre dans les cités ils réservaient une voiture avec son chauffeur à disposition pour la matinée. Cette réservation se faisait au service transport qui facturait la prestation. Quelques années plus tard ils devaient réserver une voiture sans chauffeur pour réduire les coûts des études.

Le relevé dans les logements se passait toujours très bien, les mineurs et leur famille étaient très accueillants. Certains avaient déjà procédé à des aménagements sans autorisation du service immobilier. Jean ne devait pas tenir compte de l’investissement réalisé, les occupants devaient remettre le logement dans son état initial de sorte que la « modernisation » puisse se faire.

Il y a connu parfois des tensions parce que certains refusaient de démolir ce qu’ils avaient fait, mais l’assurance d’un meilleur confort et la nécessité d’une mise aux normes les y obligeait. Pour ceux qui avaient reçu l’autorisation du service immobilier de réaliser des transformations, le chargé du projet de modernisation s’adaptait à l’existant.

Les situations les plus délicates étaient celle des logements dont les occupants venaient de réaliser à grands frais l’installation d’une nouvelle cuisine. Dans ces cas, la recherche d’une solution pour limiter les modifications de l’existant et conserver le mobilier était une priorité pour la réalisation de l’aménagement futur.

Jean avait eu la chance de réaliser son apprentissage chez un ingénieur conseil expert auprès des tribunaux, ce qui lui avait permis d’apprendre qu’une conciliation était toujours la meilleure des voies pour éviter ou sortir d’un conflit. Ceci l’avait aidé à convaincre parfois l’occupant et parfois aussi sa hiérarchie, pour arriver à mettre en œuvre une solution finale  donnant  satisfaction à chacun.

Un jour d’ailleurs, son ingénieur chef est venu le voir pour lui demander d’aller personnellement s’assurer que dans un logement occupé, la conduite d’évacuation des eaux usées du dessus pouvait être posée sans dégâts dans le logement du dessous. Jean est arrivé à l’adresse indiquée et fut très surpris de constater que la dame qui habitait les lieux refusait de le laisser entrer. Après une courte négociation il avait cependant réussi à convaincre cette dernière de le laisser voir les lieux en lui expliquant en quoi consistaient les travaux de passage de cette canalisation dans sa salle de bains. Rassurée elle a accepté et autorisé une entreprise à venir faire les travaux.

Lorsqu’il est arrivé au bureau après cette démarche, il a été immédiatement questionné par son ingénieur chef qui lui a demandé comment s’était déroulée sa visite chez cette dame. Jean lui a dit que les travaux pouvaient être débutés et qu’ils ne posaient aucun problème. Son ingénieur semblait tomber des nues en apprenant cette nouvelle. Comment dit-il , elle accepte les travaux ? Alors ça, c’est la meilleure ! Elle qui refusait de laisser entrer qui que ce soit dans son logement, qui a claqué la porte au nez de tous, elle accepte enfin ? Mais comment avez-vous fait pour la persuader ?

Jean avait compris qu’on l’avait envoyé au casse pipe et était heureux du résultat obtenu, mais il n’avait pas apprécié qu’on lui ait caché la réalité.

Malheureusement pour lui, ce n’était pas la dernière fois qu’il allait surprendre sa hiérarchie… Dans certaines cités il fallait aménager une salle de bains et un WC, mais aussi y placer un cumulus électrique pour produire l’eau chaude sanitaire. C’était généralement la plus grande chambre qui était amputée en partie pour y aménager la salle de bains, et le séjour ou la cuisine pour y disposer le WC qui devait obligatoirement se trouver près de l’entrée du bâtiment. L’étude n’était pas toujours facile pour éviter un coût trop important des travaux et pour ne pas trop réduire les pièces concernées par les modifications.

Une fois les plans réalisés, Jean devait encore faire le chiffrage des travaux à l’aide d’un bordereau interne, et établir le descriptif détaillé des travaux.

C’est au bout de quelques plans réalisés d’après les directives de son chef de bureau qu’il s’était rendu compte que sur les chantiers les ouvriers n’étaient pas en possession du descriptif et qu’ils réalisaient les travaux uniquement à l’aide dudit plan. Ce plan était fait à l’échelle de 1/100e (un centimètre représente un mètre) et ne comportait que les dimensions et emplacements des appareils sanitaires à mettre en place. Il a alors dessiné les plans à l’échelle de 1/20e (5 centimètres pour un mètre). Sur ce plan cinq fois plus grand il pouvait dessiner tous les détails qui ne pouvaient pas figurer sur un plan au 1/100e, mais il y a aussi intégré le descriptif succinct des matériaux et appareils mis en œuvre.

Les détails des canalisations d’évacuations et d’alimentation étaient bien lisibles, comme les carreaux de carrelage au-dessus des lavabos et les interrupteurs et prises de courant. Il était fier d’avoir réuni dans le seul document qui doit être à disposition du maçon, du menuisier, de l’installateur sanitaire et de l’électricien, le plan qui leur évite de suivre des consignes verbales ou qui les oblige à la lecture d’un texte qui, la plupart du temps n’était pas sur place car il était en possession de leur chef de chantier.

Mais son chef de bureau ne l’entendit pas de cette oreille et lorsqu’il avait terminé son premier plan, celui-ci vint jusqu’à sa planche à dessiner et lui demanda pourquoi perdre son temps à faire un si grand plan ? Pourquoi changer le format habituel qui était d’usage ? 

Jean n’était pas content, il répondit qu’il mettait autant de temps à dessiner un plan à l’échelle du centième qu’au vingtième, et surtout que sur son plan il avait pu y faire figurer tous les détails qu’il jugeait important pour les intervenants sur les chantiers.

Cette explication n’avait pas satisfait son chef de bureau et ni d’une ni de deux, Jean prit son plan et est alla voir son ingénieur.

- Regardez ce plan s’il vous plait, dit-il !

- Oui, répondit l’ingénieur en scrutant le document, et alors ?

- Et alors ? Avez-vous remarqué que les ouvriers des entreprises qui travaillent sur nos chantiers n’ont en leur possession qu’un plan à l’échelle du centième et qu’ils n’ont jamais le volumineux descriptif des travaux qui va avec, ce qui pose souvent des problèmes. Eh bien avec ce plan tout est réuni et n’importe quel ouvrier peut travailler sans se poser de question ou d’être obligé de faire des calculs savants.

- Oui, en effet, mais pourquoi me posez vous cette question ? demanda-t-il encore. Jean lui avoua que son chef de bureau venait de l’enguirlander car il avait transgressé les règles établies en lui disant qu’un plan se faisait au centième et non à une autre échelle !

A ces mots son ingénieur se leva brusquement de sa chaise, tenant le plan en main il pria Jean de le suivre et ils se rendirent auprès du chef de bureau où l’ingénieur expliqua avec beaucoup de persuasion que le document qu’il venait de découvrir était une très bonne initiative qui avait toute sa raison d’être ! 

Jean avait réussi à se faire un ennemi au sein de cette grande entreprise, et pas n’importe lequel, son chef de bureau...

Cela ne le gênait pas, et, même s’il n’aimait pas les conflits, il n’en avait pas peur et il poursuivit son travail sur sa lancée.

Sa rébellion lui valu de la part de l’architecte du service le surnom de « révolutionnaire » ! Il en était fier. Si dans la bouche de l’architecte c’était un compliment, pour son chef de bureau cela ne l’était pas, même si plus tard les autres dessinateurs réalisaient eux aussi des plans à grande échelle !   

Les mois filaient et les plans des modernisations des logements ouvriers, employés et ingénieurs sortaient les uns après les autres, chacun semblait avoir oublié cette petite histoire quand une nouvelle fois quelque chose venait le déranger. Il vivait très mal la différence qui était faite entre les classes sociales de l’entreprise. L’ouvrier n’avait le droit qu’au strict nécessaire, alors que les employés et ingénieurs bénéficiaient d’un peu plus de moyens pour leur assurer un confort plus élevé. Sans ne rien demander à personne, il jugea bon de dessiner un lave-mains dans un WC d’un logement ouvrier. Bien entendu ceci fut très vite remarqué par son chef de bureau qui vint aussitôt lui demander des explications.

- Pourquoi avez-vous placé un lave-mains dans ce type de logements ouvriers ? Savez-vous quel sera le surcoût  d'une telle initiative pour les centaines de logements que nous avons à moderniser ? Allez, rectifiez moi tout de suite ce plan ! Mais Jean faisait de la résistance et répondit qu’il était inconcevable de devoir se laver les mains dans la cuisine d'un logement. La joute verbale dura et Jean dû céder aux injonctions de son chef et c’est à contre cœur qu’il a gratté de son plan le lave-main qu’il avait dessiné.

Mais la partie n’était pas finie car quelques semaines avant le lancement des travaux son chef revint à la charge. Il était très en colère qu’on lui fit découvrir dans une réunion avec les services des marchés que sur un descriptif des travaux de logements ouvriers figurait un lave-mains dans un WC.

- C’est encore vous qui en faites à votre tête ? Vous retirez le lave-mains du plan mais vous le laissez dans le descriptif des travaux ? Vous allez rectifier tout de suite votre document. Mais Jean était tenace et répondit :

- Vous accepteriez que vos invités viennent se laver leurs mains dans votre cuisine au sortir du WC ?  Long silence… et Jean de poursuivre :

- Oui ce sont des ouvriers, comme mon père, de quel droit leur refuse-t-on ce minimum d’hygiène ? Et là, miracle, après une brève discussion le chef finit par accepter qu’on pose au moins une alimentation d’eau froide et une évacuation pour un lave-mains et qu’on laisse à l’occupant le soin d’acheter ce dernier. Jean rajouta les détails voulus sur son plan et la bataille du lave-mains était définitivement terminée !  

 

 * * * * *  

 

S’il s’était engagé dans cette bataille, c’est parce qu’il avait été choqué après ce qu’il venait de vivre lors des travaux réalisés dans le logement d’un ingénieur principal.

La tradition voulait qu’un type de maison haut de gamme soit réservé aux ingénieurs supérieurs et, en cas de libération d’une de ces maisons, le nouvel occupant avait droit à un rafraîchissement de ce dernier. Mais alors qu’il avait été avec son ami et collègue de bureau faire des relevés sur place, il n’en revenait pas de voir naître un plan de transformation de la cuisine et de la salle de bains qui lui avaient pourtant semblé être en de très bonnes dispositions et rien ne justifiait selon lui de tels travaux.

Son ami en plus des nouveaux aménagements dessinait également une superbe cheminée en tôle dans l’immense séjour de cette coquette maison. C’était déjà très dur à supporter pour Jean de voir un tel gaspillage, mais en plus, en retournant reprendre des mesures après les travaux, il apprenait que l’épouse de cet ingénieur n’était pas satisfaite du résultat, malgré que ce soit elle qui avait imposé ses choix. Il fallait démolir la toute nouvelle douche et en refaire une autre !

Jean était d’autant plus désabusé que les heures de son travail et celui de son ami dessinateur, ainsi que l’ensemble des travaux étaient mis sur le compte de la modernisation des logements ouvriers. L’architecte chef du service de Jean lui avait demandé de rester discret sur la facturation de ce projet et en bon soldat il n’en a jamais fait état.

Voilà en partie pourquoi il n’avait pas voulu céder sur l’installation du lave-mains dans les WC des logements ouvriers.

Peu de temps après, son architecte vint le voir après avoir questionné les autres personnes du bureau d’étude. Il lui a posé la même question :

- Avez-vous une explication sur la lourde facture téléphonique du service ?

D’abord surpris par cette question, Jean se souvint en avoir donné beaucoup et répondit :

- Vous savez le projet que vous m’avez confié à la centrale Emile Huchet pour y implanter un local de stockage de produits chimiques,  oui répondit-il,

- Eh bien j’ai été voir, comme vous me l’aviez suggéré, les chimistes de la plateforme de Marienau. Ils n’avaient en tout et pour tout qu’un abri grillagé recouvert d’une toiture légère, et personne n’était capable de me sortir une quelconque norme conditionnant un tel stockage. J’ai alors dû effectuer des recherches auprès de chimistes reconnus que j’ai trouvé au fil des mes différents interlocuteurs dans des universités et usines chimiques françaises. Tout ce que j’ai pu obtenir de leur part c’était une liste de produits à ne pas stocker ensemble, des consignes pour des fûts qui devaient rester debout, d’autres allongés, mais personne n’a pu me dire comment stocker les produits que nous utilisons, la seule information disait que deux ou trois produits ne devaient jamais se trouver à proximité immédiate. Tous m’ont affirmés qu’il n’existait aucune norme qui recensait les produits chimiques en précisant leur mode de stockage. J’ai donc fait le plan que vous avez approuvé tout comme les chimistes de la centrale. Et voilà, ais-je répondu à votre question ?

- Oui, très bien cela explique la facture salée que nous avons reçue, mais ces coups de fil étaient nécessaires !

Là encore, Jean se demandait si ses chefs n’avaient pas d’autres chats à fouetter que de suspecter quelques employés à abuser du téléphone, alors que des dépenses faramineuses sont détournées pour les lubies de femmes de chefs.

Parmi les dépenses en heures du personnel figuraient d’autres petits services rendus par un projeteur du bureau d’étude pour la hiérarchie. Il avait vu son collègue dessiner sur la planche en dessin en face de lui les plans de transformation de l'appartement parisien d’un directeur, de réaliser les plans de transformation d’une maison dans le sud de la France pour un autre directeur, et même de faire l’ensemble des plans de demande de permis de construire pour un chef de service.

Jean avait lui aussi dû un jour après le changement de chef de service, faire un plan de situation qu’il était chargé de transmettre aux entreprises qui travaillaient avec son service. Son supérieur ne s’était pas caché de lui dire que c’était pour qu’elles sachent où apporter les étrennes de fin d’années !

Il avait aussi eu droit à une demande très particulière qui émanait du président de la société des mineurs de Forbach. Ce dernier souhaitait qu’il leur dessine le futur drapeau de la société des mineurs et sidérurgistes de Lorraine. Jean lui a expliqué que ce n’était pas possible de le faire chez lui car il fallait avoir une planche à dessin. Le président lui confia avoir demandé au directeur du bassin l’autorisation pour que Jean le dessine sur son lieu de travail pendant ses heures de bureau.

Confiant, il se met au travail et voit après quelques heures son chef de bureau s’inquiéter de son projet « privé ». Jean lui explique qu’il a l’autorisation du directeur général, mais le chef de bureau va trouver le chef de service qui à son tour vient le voir en lui demandant de cesser aussitôt son travail. Jean est en colère contre le président de la société des mineurs et l’appelle pour lui relater sa mésaventure. Ce dernier, fou de rage, lui dit que le directeur général était à Paris et qu’il ne le verrait que dans trois ou quatre jours pour le prévenir de cet incident.

Et en effet, quatre jours après, Jean trouve un billet posé sur sa planche à dessin où il lit : pour le drapeau c’est OK, signé le chef de service ! Jean poursuivit ses dessins, tout en sachant que ses supérieurs lui en voulaient pour ce revers qu’ils avaient subis.    

Il était jeune et révolté mais n’acceptait pas ces situations qui profitaient toujours aux mêmes. Il avait songé à quitter l’entreprise car son ami architecte allemand pour lequel il avait travaillé avant de venir aux Houillères voulait à tout prix l’embaucher. Il voulait se séparer de la jeune architecte qui travaillait pour lui mais qui, selon ses dires, avait moins de compétences que Jean. Cela le rendait fier mais il avait refusé la proposition pensant encore obtenir la même reconnaissance dans l’entreprise HBL.

Il l’espérait d’autant qu’il avait vu les limites de l’enseignement supérieur, qu’il n’avait d’ailleurs pas suivi, auprès des stagiaires en fin d’étude qui passaient par son bureau d’étude.

Il savoura de plus belle son acquis du terrain lorsqu’un jeune ingénieur fraîchement embauché ne pût répondre sur le champ à ses questions. Il lui demanda un jour quelle hauteur de poutre en béton armé devait-il prévoir pour supporter une dalle entre deux poteau séparés de 6 mètres. Le jeune ingénieur lui répondit qu’il allait faire le calcul dans son bureau et vint lui apporter la réponse quelques longues heures plus tard. Jean le remercia pour le résultat de son calcul et lui montra la poutre qu’il avait déjà dessinée et dont les dimensions étaient similaires. Le jeune ingénieur était surpris et un peu gêné, Jean l’a remarqué et dévoila sa méthode "empirique" à ce dernier qui en était ravi. Ils eurent de bonnes relations professionnelles par la suite et cet ingénieur n’a jamais essayé de jouer les grands chefs avec Jean.         

 

* * * * *

 

4) L’arrêt de travail

Tout allait pour le mieux pour Jean quand malheureusement il a été victime d’un accident sur le chantier de sa future maison. Cela lui a valu une absence de plusieurs mois, dix huit longs mois pour soigner une blessure à la colonne vertébrale avec ses lourdes conséquences.

De plus, cet accident était intervenu alors qu’il devait emménager dans cette maison et il n’a pas pu faire les travaux qu’il envisageait. Son épouse a dû accepter de vivre dans une cuisine provisoire avec de nombreux équipements manquants. Après de longs soins il a fini par se sentir apte a reprendre le travail, et la reprise s’est faite comme si de rien ne s’était passé. Sauf que, malheureusement, l’avancement en grade qu’il attendait a été stoppé par son directeur.

C’est à l’occasion d’un pot de départ à la retraite d’un agent du service qui a eu lieu quelques jours après l’annonce de cette nouvelle, qu’il a pu approcher son directeur pour lui demander la raison d'un tel traitement. Ce dernier a prétexté qu’il ne répondrait pas en public à sa question, malgré l’insistance de Jean qui lui avouait être prêt à tout entendre même devant ses collègues de travail. Rien n’y fit et le directeur tourna les talons pour rejoindre son bureau. Jean lui emboîta le pas et sortit du restaurant d’entreprise derrière lui, traversa le parc à voiture derrière lui, pénétra dans la DG toujours derrière lui et réussit à rentrer dans le même ascenseur, toujours dans le plus parfait silence.

Le directeur semblait ignorer sa présence. Jean sortit derrière son directeur au 10e étage et le suivit jusqu’à son bureau dans lequel son directeur entrait et refermait la porte, mais, Jean avait, d’un geste sans équivoque, évité la fermeture de la porte et dit au directeur qu’il voulait poursuivre leur discussion. Ce dernier, devant l’insistance du regard de Jean, accepta et il prit place sur la chaise en face de son bureau. Il lui a expliqué qu’il venait de traverser une période difficile due non seulement à son accident, sa maison au confort spartiate, mais aussi à la grande douleur qu’il venait de vivre suite au décès de son père, et que maintenant de retour dans l’entreprise où il fournissait le meilleur de lui-même il était sanctionné et il trouvait cela injuste. Son directeur disait ne pas avoir été informé de cette situation et promit de diviser par deux le temps d’attente pour la promotion.

5) L’année de transition

Quelques années après son entrée dans ce bureau d’étude Jean n’était pas à l’aise. Certes son travail et ses amis et collègues de travail étaient intéressants, mais il se sentait étouffer, pris dans les sables mouvants, il s’enfonçait. Les apéritifs du vendredi avaient lieu pour n’importe quelle occasion et depuis peu, à n’importe quel jour de la semaine. Son avancement se faisait attendre, il avait compris que la qualité du travail qui était fourni ne comptait pas tant que ça, mais qu’il y avait des passe-droit réservés à certains et que malheureusement, il n’en faisait pas partie.

Après les élections présidentielles qui valurent à François Mitterrand d’être élu, Jean était devenu la cible d’un socialiste au sein de son bureau d’étude qui n’admettait pas que Jean soit de droite, et que, d'après lui, qu’il soit le laquais de la bourgeoisie ! S’il était vrai que Jean a été sollicité par un ami pour devenir le garde du corps d’un député de droite, il n’avait cependant accepté qu’à la condition de ne pas être obligé de prendre une carte au parti en question. Malgré cela, c’était de trop pour le socialiste de son bureau qui n’admettait pas qu’un fils d’ouvrier s'investisse dans un parti de droite.

Pourtant Jean savait que lui, le socialiste du bureau, avait été le premier de sa ville à avoir une télévision en couleur, à posséder deux voitures, une pour aller à la pêche et une autre pour la ville, à une époque où il était difficile d’en entretenir une seule, et voilà que poussé par cet élan de victoire de la gauche il tirait à boulet rouge sur Jean. Sa hargne grandissait lorsque les mauvais résultats du gouvernant étaient dénoncés par la presse et Jean en subissait les conséquences et s’efforçait tant bien que mal à riposter.

Il continuait son travail sans faire remarquer les blessures occasionnées et pensait à sa promotion qui n’arrivait pas. Il prit son courage à deux mains et alla rencontrer son ingénieur chef de service pour lui demander l’avancement auquel il pensait avoir droit compte tenu de son acquit professionnel. Quelle ne fut sa déception en voyant son supérieur prendre la convention collective et lui demander :

- Mais quel est donc votre emploi ?

- Je suis dessinateur petites études embauché en échelle 8.

- Eh bien je vois que votre emploi va jusqu’à l’échelle 10 mais que le temps de passage est de 8 ans, donc tout va bien, avait-il dit en refermant la convention collective en signe d’au revoir. 

Jean venait de comprendre une autre chose, il n‘aurait jamais dû entrer par la petite porte dans cette entreprise, maintenant il savait qu’il n’était qu’un sans grade coincé sur une liste d’avancement qui n’allait pas être bousculée pour lui.

C’est à partir de là qu’il s’est dit qu’il devait  trouver une solution pour s’épanouir. Il refusait de baisser les bras et de se laisser bercer par le train-train du quotidien.

Peu de temps après il a eu la chance de rencontrer son ancien patron d’apprentissage qui lui avait proposé de l’assister dans ses missions d’expertises en bâtiments. Il avait accepté sans hésiter sachant qu’il lui était possible de faire une coupure nette après le temps passé dans l’entreprise afin de satisfaire à des obligations extérieures.

Cela lui permis de retrouver le monde réel des particuliers et entreprises qui luttent pour avancer dans leurs projets et affaires. Il a été invité à des repas d’hommes d’affaires qui avaient lieu une fois par mois et où les rencontres étaient variées et enrichissantes à tous points de vue. Il pouvait discuter et débattre, tantôt avec un professeur maître de conférence, un avocat, un banquier, un notaire ou encore un chef de grande entreprise, et même parfois avec des ingénieurs des HBL.

Mais là c’était une autre histoire. Autant il était accepté par les gens extérieurs à l’entreprise grâce à son patron qui l’avait présenté comme son adjoint, autant il était rejeté par certains petits ingénieurs prétentieux de son entreprise, qui lui récitaient sur le bout des doigts l'éternelle leçon hors du temps sur la séparation des classes aux HBL.

Son patron, qui venait d'un autre département, l’invitait souvent à midi car il n’aimait pas rester seul à déjeuner. Parfois se joignaient à ces repas des invités notables et un jour arriva ce qui ne devait pas arriver...

A la table de ce repas de midi il y avait son patron, un entrepreneur avec son fils, un ingénieur chef, son ingénieur subalterne et Jean. Si l’ingénieur chef connaissait Jean et avait déjà partagé des repas avec lui, il n’en était pas de même avec son subalterne qui n’arrêtait pas de faire des politesses à l’entrepreneur, l’assurant de son soutien pour faire avancer des dossiers coincés, le tout à la grande surprise de son supérieur qui n’arrivait pas à le freiner dans son envie de rendre service. Jean s’en amusait jusqu’à ce que le fils de l’entrepreneur dise à Jean : avec ton service on n’a pas ce genre de problèmes. L’ingénieur subalterne afficha aussitôt un visage trahissant une grande angoisse et demanda : vous êtes des HBL ?

Et là son supérieur s’écria sur un ton vif :

- Mais oui qu’il est des HBL !

Comme le repas avait duré et que la tablée était au digestif, le subalterne regardant sa montre et balbutia :

- Un employé à la table d’ingénieurs… Mais ne devriez vous pas être au travail à cette heure-ci ? Et Jean de répliquer dans la foulée :

- Sachez que je suis en congé cet après-midi ce qui ne devrait pas être votre cas j’en suis sûr ! Et l’autre ne sachant plus quoi dire osa :

- Ne vous attendez pas à de grands saluts si nous devrions nous croiser à la DG !

Et Jean enchaîna par :

- Sachez encore que je vous ignore, que je ne vous saluerais ni aujourd’hui, ni jamais !

Après un grand silence l’entrepreneur détendit l’atmosphère par une pirouette dont il avait le secret et le groupe se sépara.

Jean tint sa parole, il croisa cet ingénieur prétentieux et ne l’a jamais salué. Puis vint le jour d’une importante inauguration organisée par le même entrepreneur et à laquelle il était invité. Le fils de ce dernier vint jusqu’à Jean en le suppliant de ne pas créer d’incident diplomatique, car Jean était dans un rang que venaient saluer les autres personnalités, dont notre petit ingénieur. Lorsque l’ingénieur arriva à la hauteur de Jean et qu’il lui tendit la main, Jean le regarda froidement dans les yeux et compris sa honte. Il saisit alors la main tendue et la pressa très fort pendant assez de temps pour faire passer son message de fermeté à son égard... 

 

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Dans le bureau des dessinateurs :

Jean-Lucien à droite, Jean-Marie à sa droite 

 

6) Le changement de bureau

Au bureau d’étude le travail ne manquait pas, il était très varié et Jean en était ravi. Certains de ses collègues de travail étaient sympathiques, de temps en temps ils se fréquentaient en dehors de l’entreprise en se rendant les uns chez les autres ou encore en faisant des excursions en fin de semaine. Jean avait intégré l’équipe corporative de football des travaux neufs et jouait comme arrière. Il n’était pas footballeur mais avait été un champion de lutte et avait en conséquence une très bonne condition physique. Tout allait presque bien, mais il savait que s’il restait dans ce service il n’aurait pas l’occasion de grimper les échelons aussi vite qu’il le souhaitait.

C’est à ce moment là qu’un ingénieur du service thermique fit appel à ses connaissances en architecture pour étoffer son équipe de thermiciens. Les compétences de sa nouvelle équipe en matière de thermique était incontestable, mais l’œil d’un technicien en architecture évitait de confier beaucoup de réalisations au service architecture. Jean participait avec plaisir à la découverte de ce nouveau métier d’architecture / thermique. Sa curiosité était telle qu’il adorait relever les nouveaux défis qui se présentaient à lui. Son ingénieur lui confiait des études de plus en plus pointues et il avait gagné la confiance de ce dernier qui avait compris ses capacités en lui avouant un jour qu’il avait une intelligence au-dessus de la moyenne, et son caractère entier faisait qu'il aimait travailler seul ce qui le rendait performant et aller très vite en besogne.

Au sein de cette nouvelle équipe tous l’avaient accepté. Enfin presque tous, car l’un deux s’était plaint auprès de son ingénieur en disant que Jean s’accordait des pauses un peu plus longues que celles autorisées. L’ingénieur l’avait convoqué pour lui dire que ce n’est pas parce qu'il travaillait deux fois plus vite que les autres qu’il ne fallait être présent la moitié du temps ! Jean avait tenté de se défendre en avouant quelques légers dépassements d’horaires, mais pas aussi importants que ce qu'on lui avait rapporté, qu’il faisait souvent des déplacements à Paris pour un gros projet et qu’il rentrait tard le soir de ses déplacement à Paris alors que ces collègues rentraient à l’heure habituelle.

Rien n’y faisait l’ingénieur ne voulait pas ce genre de trouble dans son service.

Jean continua à travailler comme à son habitude en donnant le meilleur de lui-même sur les projets qui se présentaient, et, dans ce service il eut aussi un accrochage avec son chef de bureau. L'incident était arrivé lorsqu’il avait dessiné le plan d’une installation de compresseurs dans un bâtiment industriel. Comme toujours il signait son plan en temps que dessinateur projeteur et avait remarqué que son chef de bureau avait signé sur le même plan en temps que vérificateur. Il est aussitôt allé le trouver en lui demandant de retirer cette signature de son plan dont il assumait l’entière responsabilité.

Le chef n’avait pas vraiment apprécié cette mise au point mais Jean en était ravi. Un peu plus tard dans l’après midi, Jean fut appelé par son chef pour assister à une réunion au cours de laquelle on lui demanda des explications au sujet de son installation. Arrivé dans la salle, on lui demanda pourquoi il avait fait une telle installation hors du commun, Jean s’approcha alors de son plan suspendu à un tableau mural et a commenca à développer son argumentaire lorsqu’il aperçut soudain la signature de son chef sur le tirage papier de son plan. Son sang ne fit qu’un tour, il voulut quitter la salle en demandant au « vérificateur » de poursuivre les explications, mais il savait qu’il sortirait grandi en se taisant sur ce fait que personne n’avait dû remarquer, et en donnant les explications attendues. La réunion se termina bien et tous avaient acceptés son travail innovant. Mais de retour au bureau il n’a pas manqué de dire à son chef que son attitude était mesquine et que la prochaine fois il ne s’en tirerait pas à si bon compte. Et voilà un ennemi de plus… et encore un chef.

Jean poursuivait ses activités dans et hors de l’entreprise comme si rien ne s’était passé.

Il se vit confier une nouvelle mission dans le cadre de la construction d’un lavoir au puits De Vernejoul à Porcelette. Jean connaissait bien ce puits pour en avoir projeté son chevalement dont il était très fier. Il avait recherché dans le service documentation de la DG à quoi ressemblaient les puits de mine un peu partout dans la monde et voulut en faire un qui sortait de l’ordinaire. C'est ainsi que naquit dans sa tête un chevalement innovant en forme de 7 que la mise en peinture de l’ensemble devait rendre évident. Mais aujourd’hui, il devait dessiner, entre autres études, les plans des réseaux incendie et des évacuations des fumées en toiture. Il devait fournir au chef de projet du service mécanique ces plans élaborés d'après les informations techniques fournies par ce dernier. Une fois de plus, il s’aperçut dans un rapport qu’il avait obtenu par hasard, que ce chef le rendait responsable du retard qui s’accumulait sur le planning des travaux en s’appuyant sur le retard des plans que Jean devait réaliser. Jean compris très vite que la mauvaise foi de son interlocuteur pouvait lui nuire et prit la décision de faire toutes les demandes de renseignements non plus oralement, mais par note de service avec copie à la hiérarchie, du style :

Monsieur en date du… je vous demandais les informations suivantes… qui me sont indispensables pour vous fournir les documents d’exécution pour la date prévue. N’ayant rien à ce jour malgré mes relances téléphoniques, je vous informe que la date arrêtée ne pourra être respectée….

Le chef de projet mécanique vint personnellement à sa rencontre, le suppliant de ne plus lui envoyer ce genre de note de service et qu’il ferait tout pour lui fournir les documents voulus à temps. Sur l’insistance de Jean il promit qu’il lui fournirait également les comptes rendus des réunions dans lesquelles il s’engageait à ne plus le charger. Et un ennemi de plus…

Comme il les attirait et que certains en redemandaient, il poursuivit ses petits accrochages avec son chef de bureau qui lui demanda comment calculer la vitesse ascensionnelle de l’air dans une trémie d’un bâtiment industriel, le fameux lavoir en l’occurrence. Son chef lui demanda de poser les plans sur son bureau et revint deux jours plus tard avec le résultat. Jean se fâcha et dit à son chef qu’il voulait avoir la formule et les explications nécessaires pour pouvoir faire ce genre de calculs par lui-même. La bataille fut rude mais son chef accepta de lui livrer, comme si on lui arrachait un bras, cette formule qu’il gardait jalousement dans un tiroir de son bureau fermé à clef. Jean lui rappela un vieil adage chinois qu’il aimait et qui disait : si tu donnes à manger à un homme tu le nourriras un jour, si tu lui apprends à pêcher tu le nourriras toute sa vie. Pas sûr qu’il ait bien compris !

Mais Jean avait une grande qualité, il n’était pas rancunier et trouvait que c’était gaspiller de la place dans sa mémoire en informations superflues.

Parallèlement à ce projet, Jean travaillait sur d’autres projets dont celui de l’installation d’une chaudière, la HP4, produisant 100 tonnes de vapeur par heure à 47 bars de pression pour la centrale de production de chauffage, de froid et d’électricité à la Défense à Paris. Son ingénieur avait besoin d’une personne ayant la capacité d’intégrer un projet dans sa globalité et il avait choisi Jean. Il était fier de cette reconnaissance et fier d’apporter sa contribution à ce projet et, très vite, il devint un élément incontournable dans sa réalisation.

Il se déplaçait très souvent pour faire des relevés sur place et assister à des réunions de travail. Il voyageait en train en deuxième classe, son ingénieur avait droit à la première, mais comme il voulait mettre à profit les 4 heures de voyage, ce dernier venait en deuxième classe chez Jean pour poursuivre ses cogitations et donner des éléments que Jean devait, dès le lendemain, intégrer à ses plans d’exécution.

Son ingénieur était très travailleur, même de trop. Les réunions à Paris qu’il tirait en longueur jusqu’à la dernière seconde les obligeaient ensuite à une course effrénée dans le RER puis le métro pour ne pas rater le dernier train du soir. Une fois dans le train il déballait ses documents et donnait ses directives à Jean qui observait de temps en temps les autres voyageurs qui se moquaient de la situation. Jean supportait tout cela et se sacrifiait volontiers à ce jeu par respect vis à vis de son ingénieur dont il appréciait l’immense savoir au sens noble du terme.

Mais un jour c’en fut de trop ! Par un beau, ou plutôt pas beau matin, son ingénieur vint le voir devant sa planche à dessin et lui donna des informations en contradiction avec celles reçues la veille au soir dans le train. Jean ne cacha pas sa colère et lui dit :

- Alors là vous allez trop loin... Non seulement vous me faites bosser jusqu’à dix heures du soir dans le train, ici je bosse depuis sept heures ce matin pour apporter vos modifications à mes différents plans, et voilà qu’après un doux rêve et une heure de plus de sommeil que moi, vous arrivez avec des idées neuves et m’obligez à recommencer mon travail, non là ça ne va plus !

Son ingénieur était confus, il avait la mine du gosse surpris la main dans le bocal à friandise, il savait qu’il ne passerait pas en force et n’a pas joué de son autorité pour éviter d'envenimer la situation. 

6) L’accident de travail

Jean poursuivait ses études en participant à l’important projet de l’installation d’une usine Thermique à Bois Rouge de l’île de la Réunion. Il en avait fait un schéma de fonctionnement peint à l’aquarelle. Tous les surveillants sur place et les entreprises intervenantes voulaient à tout prix en avoir un dans leur bureau, certains même à la maison.

C’était sa plus grande fierté qui figurait sur un simple rouleau de papier qui était photocopié à la demande. Mais voilà qu’un matin en saisissant un classeur posé sur une étagère en hauteur, Jean, se retournant vers son bureau voit son classeur en PVC rigide genre chaussure à ski lui échapper des mains. Il comprend en une fraction de seconde que s’il le lâche, ce dossier va écraser le rouleau de son beau dessin posé sur l’angle de son bureau. Il veut à tout prix éviter que cela n’arrive, car un pli sur ce papier se verrait pour toujours sur les photocopies futures. Il pousse plus loin ce dossier dont les premières feuilles s’envolent et perd l’équilibre. Malheureusement dans sa chute il cherche à se rattraper en posant sa main sur le dossier de la chaise de son bureau faite dans un bois solide, et entraîne la chaise massive dans sa chute puis tombe lourdement sur le sol.

Il est maintenant couché à terre, son dos lui fait mal, il ressent une douleur insupportable qui l’empêche de se relever... Un collègue de bureau vient à son secours mais Jean reste au sol, il ne réussit pas à se relever et pose sa tête sur les genoux du collègue. Il pleure de douleur et de rage car il sait que quelque chose de grave vient de lui arriver. Le temps s’est arrêté, il entend vaguement une voix dire de ne pas le toucher et d’appeler des secours. Après un temps très court il sent quelqu’un le manipuler en disant : c’est le médecin, ne bougez pas je vais vous faire une piqûre avec un antalgique et on va vous emmener à l’hôpital. 

Des infirmiers secouriste réussissent à le coucher sur un brancard et veulent le sortir de la DG par l’ascenseur car ils sont au 6éme étage, mais Jean souffre car le brancard ne rentre pas en entier à l’horizontale dans l’ascenseur, il est bousculé et cela lui fait très mal. Durant son transport vers l’hôpital il souffre encore et ressent chaque bosse qui passe sous les roues de l’ambulance puis finit tout de même par arriver aux urgences.

Après un rapide examen par le médecin urgentiste il est emmené dans une chambre où les premiers soins dispensés lui permettent de trouver un peu de repos. Dans sa tête, tout est confus, il revit sa chute mille fois en cherchant à comprendre ce qui lui arrive et pourquoi il souffre tant.

Après un ou deux jours il revoit les infirmiers qui viennent établir les feuilles d’accident du travail et il apprend qu’il a une énorme ecchymose dans le dos et sur la cuisse. Il refait le film de sa chute et ensemble ils comprennent que la blessure à la cuisse provient de l’assise de la chaise et que celle du dos est due au dossier de la chaise sur lequel il a lourdement chuté. Cet endroit marqué dans le dos correspond exactement à celui opéré d’une cure d’hernie discale quelques années plutôt.

Il s’en veut et culpabilise. Il se dit qu’il va payer très cher le fait d’avoir voulu sauver un petit bout de papier mais il ne mesure pas encore les conséquences de ce drame et espère sortir très rapidement de l'hôpital. Malheureusement les examens dévoilent une hernie discale et une opération s’avère nécessaire.

Après l’opération et une courte rééducation il veut reprendre le travail et le médecin conseil, jugeant sont état consolidé, lui octroi un petit taux d’invalidité, car sur antécédents.

Mais Jean ne pense qu’à une seule chose : reprendre son travail... 

7) La reprise tant attendue

Lorsqu’il arrive à son bureau et retrouve sa planche à dessin, Jean voit son ingénieur lui confier une mission importance. Ce dernier lui demande de vérifier des plans de génie-civil pour l’installation d’un groupe de froid, le GF3, dans la même centrale de la Défense à Paris où il avait déjà participé à l’installation de la chaudière HP4. Ce nouveau groupe pour la centrale a vu le projet, élaboré par son ingénieur, recevoir un prix européen car c’était la première installation dont la turbine pouvait fonctionner avec de la vapeur en haute pression en admission et basse pression au soutirage ainsi qu’en contre pression.

Après avoir examiné tous les plans, plus d’une vingtaine, en à peine deux jours, il découvre des incohérences entre les constructeurs et fournisseurs. Il va en rendre compte à son ingénieur qui appelle aussitôt son ingénieur subalterne et l’interpelle sans ménagement devant Jean :

- Je te l’avais bien dit Christian qu’il y avait des erreurs dans les plans, comment as-tu fait pour passer à côté d’autant d’énormités ?

Jean était fier d’avoir trouvé tant d’erreurs, mais il était gêné de voir un jeune ingénieur se faire enguirlander de la sorte en sa présence. Son ingénieur enchaîna :

- Allez Jean, reprenez moi ça en main et faites le nécessaire pour que tout aille bien et vérifiez aussi ces plans d’un bureau d’étude parisien sur les tuyauteries vapeur !

Là également Jean découvre avec stupeur des conduites qui traversent des poutres et des poteaux. Il en avise son ingénieur qui lui confie : je ne comprends pas tant d’incohérences, ce bureau d’étude dispose pourtant d’un logiciel sensé éviter ce genre de déconvenues !

Jean a dû faire plus d’une vingtaine de plans, sans qu’il y ait la moindre erreur d’alignement sur les équipements ou le passage de tuyauteries. Le chantier pouvait enfin débuter en toute sérénité et Jean se rendait régulièrement sur place pour suivre les travaux et sortir d’autres plans d’exécution au fur et à mesure de l’installation de nouveaux équipements.

Quelques mois après le début du chantier, la décision fut prise de l’envoyer sur place pour la semaine entière. Sa présence devenait indispensable pour assurer le suivi nécessaire au bon déroulement des travaux et faire respecter le programme d’avancement de ces derniers.

Un contrat de neuf mois fût conclu entre son bureau d’étude et la centrale parisienne. En réalité Jean y resta pendant dix huit très longs mois, sans n’avoir pu prendre plus de huit jours de congé d’affilé.

C’est lui qui établissait le calcul pour cette prestation pour laquelle il était facturé au tarif projeteur alors qu’il percevait le salaire d’un dessinateur. Il avait des cartes de visites où figurait le titre de projeteur et, encore plus chic au recto en anglais : Design engineer.

Lors des réunions à la centrale qui avaient lieu avec les dirigeants et ingénieurs des différentes entreprises, tous le prenaient lui aussi pour un ingénieur. Il en était fier mais l’aurait été encore plus si son salaire avait correspondu à cette appellation pourtant en phase avec les responsabilités qu’il assurait.   

Il ne rentrait que le samedi pour repartir le dimanche au soir vers la capitale. Si au début sa famille, surtout les enfants, étaient contents de le revoir en fin de semaine car il leur ramenait à chaque fois un petit cadeau, après quelques mois il ne revenait plus que pour remettre de l’ordre dans la maison. Il constatait impuissant que ses enfants manquaient cruellement de l’autorité paternelle. Il devait régler les conflits et cela ne lui faisait pas plaisir. La situation se dégradait dans sa famille mais aussi au travail où il allait encore rendre compte le samedi matin à son ingénieur de l’avancement des travaux. Il réclamait une compensation pour les efforts qu’il fournissait en travaillant de nombreuses heures supplémentaires non rémunérées et pour la privation de sa vie de famille, son absence aux fêtes traditionnelles et anniversaires. Mais son chef de service disait que toute façon comme il était seul à Paris, il pouvait très bien rester un peu plus longtemps sur le chantier, car il n’avait rien d’autre à faire et que pour la vie de famille ce n’était pas si important !

Jean rencontra même le chef des relations humaines et sociales qui lui avait à son tour dit qu’il fallait savoir donner pour recevoir. Mais Jean avait toujours donné et jamais reçu !

Son ingénieur; voyant qu'il était lui aussi impuissant devant les revendications de Jean, mais voulant qu’il poursuive son activité indispensable lui accorda, secrètement, un jour de repos par mois. Jean déclarait ce lundi comme un jour de présence à la centrale et percevait les indemnités de déplacement pour la journée. C’était peu au vu de ce qu’il était en droit de recevoir, mais il trouvait que c’était mieux que rien !

Le chantier prit fin et il réintégra son bureau comme si rien de spécial ne s’était passé. Il en avait gros sur le cœur. Il était surpris d’apprendre qu’un de ses collègues qui avait suivi la construction d’une « petite » chaufferie industrielle, reçoive les félicitations du chef de service, alors que lui, qui avait sacrifié sa vie de famille, supervisé un chantier aux nombreux contretemps sans jamais compter ses heures de travail, réglé les difficultés quotidiennes soit là, dans son bureau, et que personne n’en parle. L'affaire semblait entendue et enterrée tout comme le fameux « il faut donner pour recevoir » !

Mais son tempérament de battant voulait qu’il s’investisse dans son travail et qu'il continue de donner le meilleur de lui-même à l’entreprise. Il travaille maintenant sur un gros projet sur l’île de la réunion et gère les problèmes dont personne ne veut ou ne sait prendre en charge. C’est alors qu’un ingénieur, fraîchement embauché, vient le voir pour l’installation d’une station météo. Le nouvel arrivant commence d'ailleurs toujours ses phrases par : Tiens, vous qui savez tout, comment installe-t-on une station météo ?

Jean bien entendu ne sait pas tout, mais il sait où chercher pour trouver les réponses et en fait les plans d’installation.

Une autre fois il a droit à la visite de la même personne au sujet de chiffres de normes d’électricité qui figurent dans un document et qui lui demande : Tiens vous qui savez tout, quelle est la différence entre cette série de chiffres et celle-ci ?

Et Jean trouve la correspondance à ces chiffres et donne l’information à cet ingénieur.

Puis, Tiens vous qui savez tout, quelles couleurs doit-on mettre sur la cheminée de la chaufferie de l’usine ? 

Jean s’informe auprès de l’aéroport régional qui le renvoie auprès de l’aéroport de l’île de la Réunion qui lui transmet les informations et en fait le schéma pour l’entreprise de peinture. Mais Jean en a assez de cet ingénieur, de son air un peu snob et de sa petite phrase, et va le trouver dans son bureau pour lui demander naïvement ce qu’il était en train de faire. Il le savait très bien, mais préparait un petit piège.

L’ingénieur lui répond qu’il est en train d’encoder le programme qui devait faire tourner la chaudière produisant la vapeur, qui elle-même entraînerait une turbine produisant de l’électricité. Il explique que c’était très compliqué car elle doit fonctionner avec de la bagasse (c’est le résidu de la canne à sucre cultivée sur l’île) pendant la campagne sucrière, et, après la campagne, avec du charbon.

Jean lui dit à ce moment là, qu'il faut des tonnes de paramètres pour que tout tourne comme il faut. En effet lui répond l’ingénieur, et Jean de rajouter aussitôt, mais avez-vous tenu compte du réchauffement de la turbine ? Silence… puis... Comment ? questionne l’ingénieur, et Jean de poursuivre, vous n’êtes pas sans savoir qu’avant de produire de la vapeur, la turbine doit être réchauffée ? Euh, euh, bien sûr, bien sûr ! Et Jean quitte rapidement le bureau.

Pendant plusieurs jours Jean voit cet ingénieur courir dans tous les sens et ne plus venir le trouver avec un nouveau problème, jusqu’au jour où il arrive, fou de rage, et annonce à Jean qu’il a vu son chef qui lui a dit que la turbine a un besoin insignifiant en vapeur pour être réchauffée et que cela n’a pas a être pris en compte dans la programmation qu’il mettait en place !!!

Et Jean de répondre tout simplement, qui lui le savait et qu'il ne voyait pas pourquoi il tenait absolument à entrer ces paramètres dans son encodage...?

Encore plus fou l'ingénieur repartit en pestant et Jean s'était fait un ennemi de plus…

Le chantier sur l’île de la Réunion arrivait également vers sa fin et l'ingénieur chef du projet vint le trouver pour lui demander de régler quelques problèmes de peinture et autres finitions de tuyauteries et de génie-civil. Apprenant cela, l’ingénieur de la section génie-civil vint à son tour le trouver pour lui dire qu’il n’avait pas à s’en occuper et que ses hommes étaient tout à fait capables de s’en charger. Il s’exprimait aussi autoritairement sans avoir vu l’ingénieur chef du projet, qui lui répondit tout aussi vite : Tu laisse Jean s’en occuper, au moins avec lui je sais que ce sera fait ! Et encore un ennemi de plus.

Sur ce projet Jean eu la chance de toucher à un peu tout, à l’étude des réseaux incendies, des réseaux de dépoussiérage, de l’achat d’un chargeur à godet grande capacité, de l’implantation de trémies à charbon, du tracé de conduites d’air comprimé et autres fluides, de la pose de la station de surveillance météo et bien d’autres choses encore. Il travaillait parallèlement sur d’autres projets moins importants. Comme la formation de base de Jean était l’architecture son chef lui proposa de faire tous les plans nécessaires et de s'occuper du du permis de construire du bâtiment bureaux et des locaux électriques. Ce projet était intéressant car il put travailler en direct avec le futur chef du site.

Comme ce dernier n’était pas souvent de passage au bureau d’étude, c’est par fax que Jean lui adressait les avant-projets qu’il élaborait pour ses bureaux. Une fois le projet ficelé et tous les plans d’exécution dessinés, ils furent transmis à un architecte de l’île pour qu’il dépose le dossier de demande du permis de construire. 

 

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L'équipe corporative de foot

Rangée du haut à gauche : Jean Lucien Miksa

 

8) Un arrêt de travail aux lourdes conséquences.

Jean n’avait vraiment pas de chance. Vers le milieu des années 90, il tombe en rechute de son accident du travail et, malgré son rétablissement très rapide, il apprend par un ancien collègue que son directeur venait de le muter au service de reclassement.

La traditionnelle fête de fin d’année de son service allait avoir lieu et Jean, sans avoir reçu d’invitation décide de s’y rendre. Il rencontre ses collègues qui sont ravis de le revoir, il goûte aux chocolats, aux pâtisseries miniatures et boit des jus de fruits. Alors que la fin de la soirée approche, il va à la rencontre de son directeur et mine de rien il lui demande :

- Je vais reprendre mon travail dans trois semaines, je suis heureux de retrouver ma place, mais au fait, il n’y a pas de changement à ce sujet n’est ce pas ?

Le chef répond, l’air un peu gêné :

- Non, non il n’y a pas de problèmes !

Et Jean de le regarder droit dans les yeux et lui dire :

- Mais comment pouvez-vous me mentir comme cela ? Moi qui suis dans ce service depuis vingt ans, qui ai donné le meilleur de moi-même, qui ai tout accepté sans avoir reçu en retour, est-ce là mon remerciement ?

Et le chef qui ne s’attendait pas à un pareil assaut, balbutia :

- Comment... comment ?

Et Jean de poursuivre :

- Vous avez signé de votre main un document qui me mute au service de reclassement et vous osez me dire en face, droit dans les yeux que je vais retrouver ma place dans le service, c’est lamentable !

Le chef de service a tourné les talons puis est sorti de la salle sans même saluer le personnel restant. Beaucoup de ceux qui avaient pu entendre cet échange un tantinet brutal ont évité Jean, quelques autres, peinés, l’ont approché pour le réconforter, avouant leur impuissance devant cette situation. Il savait qu’il payait cash les mésaventures qui lui étaient arrivées dans sa confrontation avec sa hiérarchie.

Jean est revenu à la date promise dans son bureau. Il est allé voir son ingénieur qui, bien entendu était au courant, et promettait d’intervenir en sa faveur auprès d’un de ses collègues que Jean avait connu à la centrale Emile Huchet. Mais il n’était pas convaincu, il connaissait trop bien son ingénieur pour comprendre qu’il se défilait lui aussi.

Il a alors rassemblé ses affaires personnelles dans un carton pour se rendre à son rendez-vous chez le chef du service reclassement.

En entrant dans son bureau, il y a trouvé un ingénieur conforme à l’image qu’il s’était fait de cette catégorie de personnel et n’a pas été déçu. Ce dernier lui a dit d’un ton hautain, presque agressif, qu’il avait trois mois pour se trouver un travail soit dans l’entreprise, soit en dehors !

Jean était abasourdi... Comment après tant d’années et de sacrifices en était il arrivé là ? Il était clair que le dernier entretien avec son directeur avait été rapporté auprès de ce chef de service, et maintenant il savait qu’il ne pouvait compter que sur lui-même.

De retour dans son bureau, il s’aperçoit également que quelqu’un lui a dérobé une partie des affaires personnelles qu’il avait rangées le matin même. Elles étaient restées sur place pendant de longs mois sans que personne ne les touche, et là, on lui en vole une partie et Jean trouve cela dégoûtant.

Le lendemain, il se rend au service reclassement où il est présenté à un employé qui doit s’occuper de lui. Après l’avoir écouté et fait le point sur ses aptitudes, ce dernier lui conseille de prendre quelques jours de repos afin qu’il puisse faire des recherches sur les postes à pourvoir dans l’entreprise...

9) Un recommencement prometteur

Après huit jours de congé, Jean est retourné dans le bureau de la personne chargée de le suivre dans son reclassement. Celui-ci avait une bonne nouvelle, et informa Jean qu’un ingénieur du siège de la Houve recherchait justement un technicien pour une étude à réaliser sur son site d’exploitation.

Ils s’y rendirent ensemble, Jean connaissait à la fois l’ingénieur et le bâtiment des bureaux pour y avoir fait des relevés et des plans de modifications. Alors que la personne du service reclassement rendait visite aux personnes détachées par son service sur ce site, il alla à la rencontre de l'ingénieur. Jean était confiant de le retrouver car il s’agissait de l’ami de son ancien ingénieur et lui aussi le connaissait pour avoir travaillé sur certains de ses projets.

Mais lorsqu’il arrive à la porte de son bureau il s’aperçoit qu’il est vide. Il fait quelques pas dans ce couloir désert où règne un profond silence, lorsque soudain une voix l’interpelle. Elle vient du bureau d’en face et il lit le nom inscrit sur la porte, ce nom lui dit quelque chose et il risque un regard à travers l’espace de la porte entr’ouverte.

Les occupants de ce bureau le découvrent, Jean regarde celui qui est assis derrière le bureau et lance :

- Pierrot c’est toi ? Et ce dernier de répondre : mais oui, entre ! Jean est heureux, cette voix était bien celle de son vieil ami, il était là. C'est lui l’ingénieur du service logistique. Il est en conversation avec le chef du carreau et dit à Jean de prendre place. Ils échangent quelques bon vieux souvenirs et l’ingénieur lui demande ce qu’il a fait depuis le temps qu’ils ne se sont pas revus. Jean lui retrace rapidement son parcours et son ami semble intéressé par ce qu’il entend. Il lui demande pourquoi il est venu dans ce siège et Jean lui explique la raison. Son ami ne pose qu’une question de plus : as-tu déjà commandé des ouvriers ? Jean explique que oui, mais pas au sein de l’entreprise. Son ami poursuit : alors je vais m’occuper de toi !

Au même moment, des pas résonnent dans le couloir, c’est l’ingénieur que Jean doit rencontrer et qui entre pour les saluer. Jean accompagne cet ingénieur dans son bureau et se voit confier une mission d’étude sur le site. Il va occuper un bureau sur place et restera le temps de cette mission. Il est heureux, non seulement d’avoir un nouveau travail, mais aussi parce qu’il a retrouvé son vieil ami.

Après trois semaines pendant lesquelles il travaille sur le projet qui venait de lui être confié, son ami Pierrot le convoque à son bureau. Jean s’y rend et apprend que, s'il est d'accord, il sera muté du service reclassement pour occuper un emploi d’agent de maîtrise dans le service de son ami et bienfaiteur !

Il s’agit de diriger une équipe chargée de l’entretien des bâtiments. C'est un domaine que Jean maîtrise, il est ravi et accepte sans poser de questions. Son ami fait aussitôt venir le chef d’équipe qui doit l’emmener dans son nouveau bureau pour lui expliquer en détail en quoi consiste ce nouveau travail.

La joie de Jean s’estompe un peu quand il apprend qu’il devra commander une cinquantaine de personnes. La plus grande partie étant chargée du nettoyage des vestiaires-douches, une autre de l’entretien et des petites réparations des locaux, une troisième enfin du gardiennage du site. Il visite les lieux, rencontre les hommes dont il aura la responsabilité et mesure l’étendue des activités à venir.

Il va au fil des semaines gérer ces hommes, mais aussi faire appel à des entreprises extérieures pour les gros travaux. Il fait bien son travail et le chef du siège décide de lui confier la responsabilité de tous les travaux à réaliser sur le site. Une confirmation dans cet emploi suit et il se rend chaque jour au travail avec entrain.

Seulement voilà, après un peu plus d’une année, son ami part en retraite et son successeur est d’un autre acabit. Plus question de se limiter à des explications verbales pour les interventions qu’il doit réaliser. Maintenant il faut convaincre et ce ne sera pas une mince affaire car l’individu dépositaire du droit de signature est hésitant, méfiant et pas du métier. Jean perd du temps pour des explications et rédactions de rapports journaliers qui n’ont pour seul finalité que d’être empilés les uns sur les autres. Il doit tout surveiller, compter, prévoir et le courant ne passe pas avec son nouvel ingénieur qui lui a demandé lors de leur tout premier entretien : Tiens, vous avez débuté votre carrière comme Etam ?

Jean a compris plus tard cet étonnement, car son ingénieur était issu du rang ouvrier et avait du mal à admettre qu’il en soit différemment pour les autres.

A partir de ce changement hiérarchique commencent des années de souffrance pour Jean. Il va au travail la boule au ventre, il n’a jamais la bonne explication pour son chef et toutes ses initiatives deviennent sujettes à contradiction. Jean a pourtant le sentiment qu’il est accepté de tous, qu’il mène son activité à la satisfaction générale, sauf de celle de son chef.

Oh, il a bien tenté de se confier au chef suprême, mais dans cette maison, la règle veut qu'on ne se tire pas dessus à ce niveau !

Jean a en plus la malchance de faire une rechute liée à son accident du travail. Après une longue absence il retrouve sa place et doit se résigner à plier plutôt que de faire face et, pour la première fois de sa vie il doute...

Pendant huit années il a travaillé avec des hommes qu’il a admirés et avec des entreprises, le tout dans un respect mutuel. Mais il a un chef qui ne lui fait pas confiance et qui un jour, avait même montré sa stupidité en se moquant de lui avec une risette lorsque Jean eût un rictus de douleur après un mauvais mouvement. Cette année là cet ingénieur partit en vacances d’hiver aux skis et en revint sur un brancard avec des vertèbres fracturées... Lorsque Jean apprit la nouvelle il se dit : je ne lui ai pas souhaité du mal, mais il y en a un là haut qui compte et distribue les points !

Après de trop longues années de souffrances cet ingénieur a enfin quitté le siège. Son remplaçant, qui connaissait Jean, lui dit aussitôt : vous connaissez votre métier, je vous fais entière confiance, passez pour les signatures par votre chef direct qui a pouvoir de signature. Jean n’espérait plus entendre une si bonne nouvelle, enfin libéré de la paperasserie inutile, fini les explications ridicules ! Mais la fin de sa carrière s’annonçait, le congé charbonnier allait mettre un terme à son parcours au sein de l’entreprise et cela ne lui laissait qu’un ou deux regrets...

Le premier, le jour où il a été convoqué par le chef de service qui gérait la fin des sites miniers. Il connaissait Jean pour avoir travaillé avec lui par le passé et recherchait ses compétences en matière de synthèse et de rédaction. Mais au siège de Jean, son ingénieur qu’il détestait, avait empêché son départ. Jean avait naïvement pensé que si le siège voulait le retenir, son déroulement de carrière suivrait la même progression que celle promise dans la gestion de la fin des sites. Il n’en fût rien, il se rendit compte trop tard qu’il a été trahi. Lors d’une fête des employés du siège, Jean a rencontré l’ingénieur adjoint du chef où il aurait dû poursuivre sa carrière. Ce dernier lui avoua, qu'il était dommage que cela ne se soit pas fait, et qu'il y a eu deux perdants dans cette affaire, lui et les houillères ! Ces phrases lui avaient réchauffé le cœur.

Le deuxième regret était lié à son départ en congé charbonnier. Il a eu droit à une petite fête avec discours et cadeaux, mais il n’a pas reçu en guise de remerciement du siège la traditionnelle lampe de mineur qui était donnée à la maîtrise supérieure. L’adjoint au chef du siège avait prétexté qu’elle n’était remise qu’aux agents du fond et que lui était du jour. Pourtant c’était dans cet ultime siège d’une unité fond qu’il a assuré l’entretien des bâtiments et le gardiennage, c’était ce même siège fond qui l’avait empêché de rejoindre une unité jour… Mais il s’en est remis et passe une bonne retraite en repensant souvent à ces années durant lesquelles il a connu tant de chefs, de collègues et d’entreprises, tant d’études si différentes et sans jamais avoir baissé tête devant personne.

10) Bref passage dans le monde syndical

Jean a été adhérent à la FO lorsqu’il est entré aux HBL, il avait été convaincu par un responsable de ce syndicat que, grâce à son adhésion, il obtiendrait un beau logement auquel il pouvait prétendre après l'annonce de son mariage. La promesse n’a pas été tenue et il a quitté aussitôt ce syndicat.

Il est ensuite rentré à la CFTC dont il a fait partie au sein du bureau exécutif, mais son jeune âge était un handicap. Quelques anciens donnaient des leçons, mais n’acceptaient pas d’en recevoir. Lorsque Jean a vu défiler les veuves de mineurs devant la Direction Générale pour réclamer une augmentation de leur droit au chauffage, il avait tenté de convaincre ses responsables syndicaux d’intervenir. Il ne trouvait pas convenable que les droits de ces femmes soient divisés par deux au décès de leur époux alors qu’elles restaient dans le même logement. Il comprenait qu’on ne pouvait pas diviser par deux la température d'un logement parce qu'il n'y avait plus qu’une personne qui y vivait. Il avait proposé que le droit au chauffage soit en rapport avec la taille du logement à chauffer. Travaillant au service thermique, il savait que le chiffrage des besoins n’était pas compliqué, qu’un tonnage moyen pouvait être défini et qu’ainsi justice serait rendue. Il disait être prêt à rendre l’excédent qu’il n’utilisait pas, et que, si chacun en faisait de même, tous seraient convenablement chauffés. Mais personne ne voulait céder son trop cher reliquat aux nécessiteux. C’est pourquoi après ce refus il n’a plus désiré s’investir dans le syndicalisme qu'il a quitté sans plus jamais reprendre de carte dans aucune organisation.    

11) Ce dont il est fier

La conception du chevalement du siège de la Houve à De Vernejoul, aujourd’hui abattu et rasé de la surface du sol, tout comme tout le site du siège à Creutzwald qu’il s’est évertué d’entretenir jusqu’en 2000. Sa participation à la réalisation du restaurant d’entreprise des HBL à côté de la DG.  Sa participation aux nombreux projets de chaudières industrielles, tant à Paris, à Gardanne, à Saint-Avold, à l’île de la Réunion, en Thaïlande. Aux projets de fours tournants en Norvège, en Yougoslavie et en Roumanie. Au projet et suivi des travaux du groupe de froid à la Défense à Paris.

Il a aimé travailler avec un ami et artiste qui lui a donné le goût des couleurs, des formes nouvelles, de la simplicité dans l’architecture et la notion du détail.

Il s’est investi dans le management de plus de 50 personnes, le double en l’absence de son chef. Il a confié de nombreux travaux à des entreprises tous corps d’état confondus.

Sa rencontre avec le monde du fond de la mine et les personnes qui y intervenaient. Elles lui ont transmis leur amour pour le métier de mineur.

12) Ses avancements

Il est entré par la petite porte aux HBL en 1974 à l’échelle 8 (service architecture)

1978 il passe en échelle 9 (service architecture)

1984 il passe en échelle 10 (service architecture)

1990 il passe en échelle 11 (service thermique)

1993 il passe agent de maîtrise  (UE la Houve)

1996 il passe en échelle 12 (UE La Houve)

En 1999 il est reconnu au niveau C’ pour ses « compétences étendues » sans changement d’échelle (UE la Houve)

En 2000 il part en congé charbonnier en l’échelle 13 avec un an rétroactif (UE la Houve) non pas au titre d’une promotion, mais du fait d’avoir accepté de quitter l’entreprise en congé charbonnier et pour avoir été reconnu au niveau C’ en 1999.

13) Petit rappel des avantages en nature perçues par les différentes catégories de personnel (ANNEE DE REFERENCE 1999).

A. Logement :

Les membres du personnel, chefs ou soutiens de famille, sont logés gratuitement par l’entreprise, ou, à défaut, perçoivent de celle-ci une indemnité mensuelle de logement.

B. Attribution de combustible :

1) - Actifs :

- ingénieur dans un logement HBL : illimité

- ingénieur dans un logement privé : 12 tonnes

- hors classe échelle 14 et 15           : 12 tonnes

- Etam marié                                    : 8,4 tonnes

- Etam célibataire                             : 5,4 tonnes

- ouvrier marié                                 : 6 tonnes

- ouvrier célibataire                         : 3,6 tonnes

2) - Retraités :

- ingénieurs plus de 30 ans de service                 : 9 tonnes

- ingénieurs moins de 30ans de service               : 7,2 tonnes

- ingénieur parti avant la retraite                          : 4,2 tonnes

- Etam marié plus de 30 ans de service                : 6,3 tonnes

- Etam marié moins de 30 ans de service             : 5,4 tonnes

- Etam célibataire plus de 30 ans de service        : 4,2 tonnes

- Etam célibataire moins de 30 ans de service     : 3,36 tonnes

- ouvrier marié plus de 30 ans de service            : 4,5 tonnes

- ouvrier marié moins de 30 ans de service         : 3,6 tonnes

- ouvrier célibataire plus de 30 ans de service     : 3 tonnes

- ouvrier célibataire moins de 30 ans de service  : 2,4 tonnes

- ouvrier célibataire parti avant la retraite             : 2,1 tonne   

3) - Veuves :

- ingénieur                                 : 6 tonnes

-Etam                                        : 4,2 tonnes

- ouvrier                                    : 3 tonnes

- ouvrier parti avant la retraite  : 1,4 tonne

Nota : les ingénieurs et Etam avaient droit au transport gratuit du charbon ou du coke, seuls les ouvriers devaient s’acquitter des frais de livraison auprès du transporteur.

a) Bons supplémentaires à demi-tarif (transport à charge) :

- actif et retraité ayant le chauffage central : 1 tonne

- veuve Etam                                                : 2 tonnes

- célibataire habitant seul                             : 0,5 tonne

b) Bons supplémentaires gratuits :

- Etam 4 enfants et plus : 1 tonne

- Ouvrier 4 et 5 enfants : 0,5 tonne

- ouvrier 6 enfants et plus : 1 tonne

c) droits spécifiques : 1 stère de bois de chauffage pour les Etam

C. Appropriation de logement :

1) indemnité papier peint (pour un rouleau) :

- ouvrier     : 33.39 francs

- Etam        : 39,84 francs

- ingénieur : 16,08 francs

2) appropriation de logement Etam (valeur 1998) :

- cuisine : 1668,56 francs

- salle d’eau : 1226,16 francs

- WC : 645,02 francs

- séjour : 1833,81 francs

- chambre : 1545,98 francs

- couloir : 863,65

- cage d’escaliers : 1055, 51 francs

Nota : l’appropriation intervient au bout de 8 ans pour les ouvriers qui seront indemnisés après le passage d’un agent du service immobilier pour constater les travaux réalisés.

Les ingénieurs et Etam pouvaient faire appel à une entreprise pour réaliser leurs travaux de peinture et papier peint, aux frais de l’entreprise. En réalisant les travaux par eux-mêmes ils touchaient l’indemnité d’appropriation. Seuls les occupants de logements du parc HBL pouvaient bénéficier de ces avantages. Ceux qui se logeaient en privé n’y avaient pas droit. 

3) transfert de domicile :

- ouvrier : 4286,01 francs

- Etam    : 6077,20 francs

4) déménagement : 1668,59 francs

D. Indemnité de logement des actifs :

- célibataires moins de 15 ans de service : ouvrier 282,98   Etam 481,11 francs

- célibataire plus de 15 ans d’ancienneté : ouvrier 314,42   Etam 534,55 francs

- marié sans enfants à charge de un à cinq enfants :

- ouvrier de 471,65 à 740,33 francs, par enfant supplémentaire 48,92 francs

- Etam de 801,84 à 1080,04 francs, par enfant supplémentaire 48,08 francs

(Pour information, en 2016, l’indemnité versée aux ayants droit retraités est de moins de 140 euros/mois).

E) Transport :

L’entreprise assure gratuitement le transport pour se rendre sur les lieux de travail. Le personnel astreint à employer un autre mode de transport perçoit, après accord de l’employeur une indemnité kilométrique. 

14) Quelques informations et souvenirs :

A. Horaires de travail :

En 1974 la journée de travail à la DG débutait de 8H à 12H et de 14H à 18H.

Jean se rendait au travail en bus. Il rentrait entre midi pour déjeuner à son domicile. Parfois il allait déjeuner au casino des employés. Les repas y étaient très bons et pas chers. Ce restaurant était situé à Merlebach au rond point de la rue des Houillères, rue du Casino, rue Mal Foch et rue du Dauphiné. Ce bâtiment accueillait aussi les ouvriers qui déjeunaient au rez-de-chaussée, les employés à l’étage. Jean a pu de temps en temps acheter des tickets pour déjeuner avec des amis ouvriers. Les ingénieurs déjeunaient dans un bâtiment situé avenue Roosevelt. Il a pu y déjeuner lors de certains stages où une salle était réservée aux stagiaires.

Plus tard les HBL construisirent un restaurant d’entreprise où l’ensemble du personnel employés et ingénieurs pouvaient déjeuner.

Les horaires de travail ont changés. La journée de travail est devenue continue avec 45 minutes de pause à midi pour déjeuner dans le nouveau restaurant. La journée débutait à 7H30 pour se terminer à 16H.

Chacun a reçu un badge et les plats composant les repas valaient un certain nombre de points qui étaient additionnés et facturés en fin de mois pour être déduits sur la fiche de salaire. Le bureau d’étude de Jean avait conçu le projet du restaurant. Son ami Jean-Marie en avait été le principal projeteur, le restaurant lui doit ses aménagements, ses façades et la décoration intérieure. Jean, lui, avait projeté le bar de la cafétéria et les aménagements extérieurs dont le parc à voitures.

Ce restaurant disposait, comme la loi le prévoyait, d’un réfectoire et d’une cuisine équipée de tous les appareils de cuisson et du froid. Ce dispositif permettait à celui qui ne voulait pas déjeuner dans le restaurant d’apporter son repas pour le réchauffer, ou même cuisiner sur place.

A l’ouverture du restaurant quelques personnes venaient se servir de ces équipements. Jean et son ami Claude en faisaient partie. Chaque jour ils apportaient leur nourriture et déjeunaient ensemble, c’était plus convivial que d’être noyé parmi les nombreuses autres personnes qui déjeunaient dans l’immense salle qui pouvait accueillir et servir entre 800 et 1000  repas par jour.

Mais au fil des mois le nombre des personnes venant dans ce réfectoire chutait jusqu’à ce que Jean et Claude se retrouvent les derniers à y venir. L’exploitant voyait leur entêtement à continuer d’y venir d’un mauvais œil. Mais ils faisaient de la résistance et refusaient d’abandonner les lieux. C’est là que l’exploitant priva le réfectoire de ses tables et chaises, obligeant ainsi Jean et Claude à déjeuner dans l’espace de la cafétéria à la vue de tous. Cela ne les enchantait pas et de guerre lasse ils finirent par abandonner les lieux.

Ils durent comme tous les autres se servir de leur badge et chercher parmi les nombreux rayons les plats pour déjeuner.

Après le repas Jean aimait se rendre dans un café voisin pour y retrouver quelques amis. Cette équipe s’était spontanément formée et les quelques minutes passées ensemble étaient de vrais moments de joie où chacun racontait une blague, commentait l’actualité ou un événement particulier survenu pendant son travail.

Les liens ainsi tissés ont permis à Jean d’apprendre en toute discrétion que les plus grands râleurs au sujet de leur fiche de paye étaient certains ingénieurs. Ils appelaient un de nos amis, qui était en charge de la gestion de ces dernières, pour tout et rien. Ils ne comprenaient jamais les prélèvements effectués, encore moins pourquoi certains frais n’étaient pas pris en compte et exigeaient jusqu’au remboursement du ticket de métro utilisé à Paris.

Un autre était chargé de la gestion du personnel et expliquait qu’il était interdit d’annoter de commentaires les fiches du personnel. Ces fichent contenaient les informations de chacun : l’identité, la situation familiale, les diplômes, l’activité avant embauche, les emplois dans l’entreprise, les stages effectués et les avancements. Elles ne comportaient aucun commentaire supplémentaire. Cela n’empêchait pas la hiérarchie de mettre des notes personnelles accrochées avec un trombone sur la fiche en question. Lorsque la fiche de cette personne était demandée, elle était communiquée sans la petite note qui restait classée et était à nouveau accrochée à son retour.

C’est l’un de ces amis qui a averti Jean qu’il a vu passer la note interne signée de son directeur, qui lui annonçait qu’il a été viré pendant qu’il était en arrêt de travail. Heureusement que Jean avait apprit cette nouvelle avant la reprise du travail, le choc a pu être digéré et Jean a eu le temps de préparer sa riposte.

Il y avait dans le groupe une personne qui commençait souvent ses phrases par « quand j’étais petit…», ce qui faisait rire aux éclats le restant de l’équipe qui ajoutait «  mais tu es toujours petit » et il s’empressait de rajouter «  oh ça va, quand j’étais jeune… ».

Pour l’un d’entre eux qui n’avait pas reçu sa médaille de travail car un refus avait été émis par la Sous-préfecture à cause d’un retrait du permis de conduire, ses collègues avaient confectionné des guirlandes de médailles qu’ils avaient suspendues dans son bureau. Ils ont bien rit en voyant la tête du récipiendaire lorsqu’il les a découvertes !

Cette coupure était salutaire et chacun reprenait le travail de bonne humeur, de rares fois avec un léger retard, il était difficile de se quitter lorsque les blagues fusaient.

Sans rapport avec ses petits dépassements d’horaires, mais aux dires de la direction, pour maîtriser les entrées et sorties de la DG, un badge avait été distribué au personnel pour activer l’ouverture des portes. Cela avait tout de même freiné les légères prolongations des pauses.

Pour contrôler les arrivées du personnel, le chef du secrétariat du service passait chaque matin pour le pointage, il serrait la main de chaque présent.

Jean avait pris l’habitude de se rendre le matin à la descente du bus au café en face de la DG. Il y retrouvait deux ou parfois trois collègues pour commencer la journée sereinement. Lorsqu’ils arrivaient au bureau, le chef pointeur attendait leur arrivée mais n’osait pas sermonner les anciens pour ce léger retard. C’est tout juste s’il disait que ce n’était pas gentil, et les anciens de répondre qu’à l’arrivée simultanée de tous les bus, il y avait une grande attente devant les ascenseurs ! Le pointeur s’en allait et le journal commençait à circuler de table en table. Il était vite rangé lorsque la porte du bureau s’ouvrait. Jean trouvait que c’était ridicule d’agir en sorte car les ingénieurs recevaient le journal et se devaient de le lire pour se tenir informés de l’actualité.

B. L’information et la documentation :

Chaque service recevait une lettre d’information du service relations publiques des HBL intitulée « Intertitres ». Il y était question des nouvelles concernant l’actualité charbonnière, mais aussi des informations plus générales et les résultats d’exploitation des HBL.

Des revues techniques étaient à disposition pour celui qui s’abonnait auprès du service documentation. Il était aussi possible, après accord de son chef de service, de s’abonner ou commander des ouvrages qui n’étaient pas disponibles au service documentation.

Quelques heures par mois pouvaient être pointées sur un compte spécial pour se documenter. Jean en profitait régulièrement pour se rendre au service documentation qui mettait à disposition des documents en quantité incroyable, concernant presque tous les domaines, même certains en langues étrangères. Il suffisait de s’inscrire auprès du préposé, de lui demander un ouvrage précis ou de rechercher dans les rayons la documentation voulue. Internet n’existait pas et la soif de curiosité de Jean faisait qu’il ne voyait jamais le temps passer quand il entrait dans ces lieux.

Le bureau de Jean comportait également, comme tous les bureaux d’études, de la documentation. Celle-ci était parfois obsolète et le chef de bureau décida de remettre à jour l’ensemble des documents présents. Il voulut aussi qu’un tri soit fait et les documentations soigneusement rangées dans un classeur dont la tranche serait peinte dans une belle couleur.

Personne n’avait voulu se lancer dans ce travail, sauf Jean qui a vu une belle occasion de satisfaire sa soif de savoir. C’est ainsi qu’il a commencé à parcourir tous les ouvrages pour les réunir par corps de métier, de faire le tri de ce qui était d’actualité ou non, et de constituer une liste permettant de les retrouver. Il a collé du carton sur le dos de classeurs, il les a peints en différentes couleurs et numérotés pour que chacun puisse rapidement trouver la documentation recherchée. Ce fut un long travail, mais oh combien nécessaire à tous et surtout très enrichissant pour Jean. 

C. Son ami et mentor Jean-Marie :

Jean avait sa planche à dessin en face de celle de Jean-Marie. C’était un ancien élève diplômé des beaux arts qui était aussi un artiste peintre reconnu. Il a été pour Jean un maître en de nombreuses matières. En plus des travaux propres au bureau d’étude, Jean le voyait dessiner des statues, des monuments et la décoration de nombreux lieux. Il l’a aidé à décorer le couloir du 10e étage de la DG. Jean-Marie était très apprécié pour ses talents dont de nombreux supérieurs n’hésitaient pas à faire appel pour leurs besoins privés. Il avait noué des relations amicales avec un directeur et était devenu intouchable. Il était très bon conseil et avait ce goût du détail que beaucoup ignorent. Lorsqu’il dessinait un meuble, il précisait l’emplacement de chaque vis, clou ou collage. Jean aimait tant son travail qu’il avait copié son écriture, sa façon de tirer les traits sur les plans et son sens du détail.

Un matin Jean-Marie lui a raconté une petite mésaventure qui venait de lui arriver. Il avait garé sa voiture à un emplacement inhabituel car il était en retard. Lorsqu’il est sorti de son véhicule, il a été suivi par un ingénieur qui n’arrêtait pas de pester contre lui sous prétexte qu’il lui avait prit sa place. Jean-Marie ne répondait pas et ils sont rentrés dans l’ascenseur alors que l’ingénieur manifestait toujours son mécontentement d’une façon autoritaire. Juste avant que la porte ne se referme est entré le directeur des HBL qui tendit aussitôt la main à Jean-Marie et lui dit : salut Jean-Marie. A ces mots l’ingénieur prétentieux s’est tu sur le champ !

D. Un gars qui en avait :

Un jeune homme du même âge que Jean a été embauché comme surveillant de travaux dans son service. Tout comme lui il était d’origine polonaise et ils se lièrent d’amitié. Un jour il est venu voir Jean l’air défait. Il a dit : «  je n’en reviens pas ! J’ai vérifié une facture et j’ai barré de rouge une prestation que je n’ai pas trouvée sur le chantier. Et figure-toi que l’entrepreneur m’a demandé pourquoi j’avais supprimé ce poste. Je lui ai dit que j’ai soulevé tous les regards en béton et je que n’avais trouvé aucun des fonds de forme facturés, il n’y avait donc aucune raison pour qu’ils soient payés. Et il m’a répondu que si je ne signais pas il s’en foutait et qu’il sera tout de même payé. J’ai donc suivi personnellement cette facture et figure toi que je l’ai retrouvée en payement intégral, y compris les fonds de regards pas faits, et cette facture était revêtue de la signature de notre ingénieur ».

Cet ami n’a pas supporté cette façon de faire et a donné sa démission. L’ingénieur, lui, est resté jusqu’à la retraite…   

E. La retraite :

Après une période de congé charbonnier, Jean est enfin en retraite. Il garde le souvenir de nombreux amis qu’il a côtoyé dans l’entreprise. Beaucoup sont malheureusement déjà partis pour un autre monde. La plus part d’ente eux sont divorcé comme la plus grande partie du personnel minier et lui-même, car être en cessation de travail vers 45 ans d’âge a posé problème à de nombreux couples.

Il repense souvent à eux et aux moments passés ensemble, pendant l’élaboration des nombreux projets réalisés en commun, pendant les repos et fêtes d’entreprise. Il a toujours cherché à satisfaire ses supérieurs et lorsqu’il a eu la responsabilité de personnel, il n’a jamais usé de son autorité pour les indisposer. Il savait ce que l’on ressent lorsque cela arrive.

Lorsqu’il passe aujourd’hui devant la DG il a un petit pincement au cœur et voit encore le sigle aujourd'hui disparu des Charbonnages de France en noir sur la façade blanche, ce fameux sigle modernisé par son ami Jean-Marie, disparu lui aussi...

La dissolution des Charbonnages de France est intervenue le 31 décembre 2007

 

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Toute l'équipe du service architecture, au début de la carrière de Jean,

rassemblée autour de l'architecte

 

 FIN

 * * * * * * * * * * 

 

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03/07/2016

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