J.L. Miksa : Le Schoeneckaland
Après avoir reçu comme il se doit notre unique représentant habillé du costume Vert, le royaume du Schoeneckaland connut à nouveau une paix royale. Chacun avait repris ses activités et l'industrie tournait à plein régime. Les salaires régulièrement versés permettaient à chacun de mener bon train de vie, mais voilà que quelques zoisiaux ne s'en accommodaient plus.
Ils décidèrent de se réunir secrètement pour trouver par quel moyen s'enrichir très vite.
La réunion à eu lieu dans l'arrière salle de l'unique épicerie de la capitale, chez Milichmatzy, Etaient présent Jilamy, Fronzy, Joey, le grand Bleky, Thyristory, Chantaly et Lisy.
Vous noterez que dans ce royaume tous les prénoms finissent en y, c'est ainsi qu'en avait décidé le roi, avant lui son père, avant lui son propre père et avant lui … ben on sait plus trop, mais c'est encore ainsy aujourd'huy.
L'ordre du jour tenu secret ne fut dévoilé par l'instigateur de cette réunion qu'au tout début de leur retrouvaille par Jilamy qui prit la parole et annonça sur un ton feutré :
- Chut, faites moins de bruit, écoutez-moi !
Tous se turent et pointèrent leurs oreilles dans la même direction, les lèvres de Jilamy. Celui-ci voyant l'assistance aussi attentive poursuivit :
- Mes amis, si nous sommes ici c'est parce que j'ai cru remarquer en vous l'envie de vous enrichir, n'est-ce pas ?
- A bon ? non non, crièrent-ils tous d'une seule voix.
- Chuuuuutttt. Ne criez pas si fort et ne mentez pas. Toi Frontzy ne m'as-tu pas dit un jour en avoir marre de pédaler sur un vieux vélo à 2 vitesses et que tu rêvais d'en avoir un en fibre de carbonara à 36 vitesses ?
Et toi Joey, tu m'as confié un jour vouloir partir vivre dans un pays au-delà des mers, mais que tu n'arrivais pas à payer le voyage ?
Et toi Thyristory, je t'ai bien entendu te plaindre parce que les côtes de bœuf que tu peux t'acheter étaient trop petites, n'en voudrais tu pas de bien plus grandes ?
Et toi le grand Bleky, ne voulais-tu pas une nouvelle coiffe en fourrure de vison ?
Et toi Chantaly, combien de fois as-tu regrettée de devoir te servir d'un clavier capricieux et que tu voudrais tant en avoir un qui corrige les fautes de frappe, ceux-là mêmes qui sont si chers, trop chers pour tes revenus ?
Et enfin ma chère Lisy, tu n'attends qu'une seule chose, avoir assez d'argent pour voyager avec ton chéry autour du monde, rien que ça ?
Un grand silence s'installa, chacun observant l'autre l'air confus car tous leur petit secret était maintenant connu des autres. Mais reprenant leurs esprits, ils acquiescèrent, presque honteusement d'une lente inclinaison de la tête, leur accord avec ce qui venait d'être dit. Fronzy le premier prit la parole :
- Tu as raison, j'en ai assez de ce vélo rouillé à deux balles de 22, même pas long rifle !
Et les autres enchaînèrent :
- Oui, tu as raison, mais que faire ?
- Eh bien, j'ai une proposition à vous faire répondit Jilamy. Nous allons créer ce qui s'appelle dans le Parisaland un party popolitique.
- Popolitique ? s'exclama Chantaly, ne dit-on pas politique, t'es sûr qu'on dit comme ça ?
- Enfin non, mais oui, un party popolitique.
- A bon, et c'est quoi la différence, demanda Thyristory ?
- Eh bien je vais vous le dire, écoutez-moi bien. Dans le Parisaland, les partys politiques ne sont pas toujours polys, mais ils siègent tous sur leur popo, c'est pourquoi, comme nous sommes tous très polys, j'appelle notre party popolitique, car nous siègeront debout. Et en prime le poing avec un doigt pointé au ciel comme Ity !
- Ouai, chouette, super un party popolitique ! Tous acceptèrent cette appellation et Lisy qui n'avait encore rien dit prit la parole.
- Mais dis-nous Jilamy, pourquoi faire un party popolitique ?
- Ha… ha… ha… répondit Jilamy, mais tu ne veux pas comprendre, je crois que je me suis trompé sur ton compte, ce n'est pas un tour du monde que tu veux faire car tu es toujours dans la lune, mais enfin, reviens sur terre ! Si tu le veux ton tour du monde, il te faudra des sous, comme pour toi Fronzy, et pour vous autres aussi. Ce party va nous permettre de devenir riches, très riches, plus riches que le roi, mais chuuuut, il vous faut un meneur, alors si vous êtes d'accord ce sera moi, êtes vous d'accord ? Bien alors on ...
- Heu, Jilamy, lança timidement Chantaly, pas si vite, personne d'autre ne peut devenir meneur ?
- Et ça y est, ça commence, on n'a pas encore un party et déjà il faut que tu trouves à me contredire !
- Oh pardon, je ne voulais...
- Tais-toi, car je, et moi seul sera le meneur, vu ?
Tous baissèrent la tête, curieux d'apprendre ce que le meneur Jilamy avait maintenant à leur dire. Et celui-ci s'élança dans un discours fleuve dans lequel en premier il demanda à chacun de donner au party toutes ses économies, ensuite de lui jurer obéissance et il leur promit qu'ils deviendront riches en très peu de temps. Pour y arriver il expliqua qu'ils devaient renverser le roi de son trône, il jugea bon de préciser en regardant Chantaly que c'était une image et que ce renversement se fera par la ruse. Tous écoutaient sans oser l'interrompre tant ses phrases étaient mielleuses et percutantes à la fois. Il promettait tout dans un monde meilleur. Il assurait qu'ils s'en mettront pleins les poches et que seuls ceux qui s'embrigaderont avec eux pourront recevoir une petite partie de la richesse, et tant pis pour tous les autres qui devront se contenter de miettes. Mais cela, précisa-t-il, ils ne doivent pas l'apprendre. Il demanda à chacun de garder le silence et de jurer sur sa propre tête.
Tous jurèrent.
C'est ainsi que le party popolitique se construisit rapidement, de belles affiches et de bons discours remplis de promesses, firent que quelques mois plus tard le roi perdit son trône et n'a eu la vie sauve que grâce à une poignée de serviteurs qui le sortirent du royaume.
Jilamy se proclama le roi du Schoeneckaland, il nomma aux postes les plus importants ses fidèles amis et entama la transformation du royaume. Fini les cinq heures de travail par jour, deux jours par semaine, fini les longs congés payés. Maintenant tous travaillaient douze heures par jour, les taxes existantes furent multipliées par deux, leur salaire fut amputé de nouveaux prélèvements et encore d'autres taxes virent le jour.
Pendant ce temps Jilamy regardait les chiffres de son compte en banque gonfler à vue d'œil, il cachait ses revenus dans d'autres pays qui vinrent le courtiser. Ses proches eux aussi remplissaient leur caisse en argent sonnant et trébuchant.
Ceci durait depuis de longs mois et déjà quelques voix commençaient à s'élever du peuple qui s'appauvrissait de jour en jour et qui avait du mal à manger à sa faim et se demandaient où étaient les promesses d'un royaume meilleur où la vie devait être encore plus facile qu'elle ne le fut.
Mais qu'à cela ne tienne, Jilamy n'écoutait pas ces appels de désespoir, il continuait de compter ses sous, à mener le grand train de vie qu'il jugeait digne de lui, il était très préoccupé par les moyens à mettre en place pour prendre un peu plus d'argent à ses amis aussi.
Là, ce ne fut pas une très bonne idée, mais comme tous avaient juré obéissance et que Jilamy savait comment les endormir, ce petit manège put continuer. Mais, encore une fois, le peuple s'est mis à grogner, ne voilà-t-il pas qu'il descend dans les rues et bloque les routes aux carrefours. Plus personne ne passe, très vite les industries manquent de matières premières, les commerces ne sont plus approvisionnés. Les amis de Jilamy tentent de lui faire entendre raison, de faire un geste envers le peuple, mais celui-ci les expédie sur le terrain pour le convaincre qu'il se trompe. Lui-même va dans les rues pour dire aux quelques sujets manifestants leur colère qu'ils feraient mieux de travailler plus au lieu de se plaindre. Il pousse son arrogance à leur reprocher les habits désuets qu'ils portent. Il a changé, ses yeux ne voient plus que le pouvoir, le pouvoir et l'argent.
Mais le peuple tient bon, il s'unit, bientôt c'est tout le royaume qui est bloqué et là Jilamy redescend sur terre, enfin il écoute ses amis qui lui conseillent de calmer son peuple en lui donnant de quoi vivre décemment.
Jilamy ne veut rien lâcher, mais il cède tout de même et va prononcer un discours dans lequel, la larme à l'œil, il promet qu'il va redistribuer la richesse du royaume au peuple.
Malheureusement, sa promesse, une fois mise en place après maints et maints retournements, ne fait pas l'unanimité parmi ses amis qui ne savent où chercher l'argent à distribuer.
Devant toutes ces hésitations et contradictions, certains meneurs du peuple devinent que le roi est fragile et prennent conscience qu'au contraire eux, sont forts !
Alors ils poussent le peuple à mener des actions plus violentes, et le roi envoie ses troupes pour mettre un terme à ce désordre qu'il trouve inacceptable. Il va même refaire un discours devant le peuple. Cette fois il prend un air féroce et, sûr de lui, il ordonne au peuple de rentrer dans le rang.
Ça ne suffit pas, la colère ne désenfle pas et même dans ses troupes certains commencent à grogner aussi et là, hop, il décide dans une précipitation presque outrageante, d'augmenter leur salaire.
Le peuple qui lui ne voit toujours rien venir continue les blocages. La violence s'amplifie et se répand dans toutes les villes, il y a de nombreux blessés, le royaume devient la risée du reste du monde où pourtant quelques pays commencent à connaître de pareils mouvements de mécontentement.
La situation au Schoeneckerland commence à déraper, Jilamy s'affole, il demande à ses troupes de tenir bon, il envisage la fuite, mais comment faire et c'est là qu'une fois encore il a une idée lumineuse, il va demander au peuple ce qu'il veut et ce dont il a besoin pour se calmer. Ses amis lui disent qu'ils savent bien ce que veut le peuple, mais lui les ignore, ce qu'il cherche avant tout c'est gagner du temps, préparer son avenir, continuer à remplir ses comptes en banque. Alors il les convainc de lancer un grand débat. Il va lui-même se rendre auprès du peuple dans des assemblées dont il aura au préalable secrètement trié les invités. Et cela semble marcher, il est là dans ce qu'il sait faire de mieux, donner des leçons de morale et d'économie. Déjà certains de ses amis sur lesquels il fait pression en faisant de nouvelles promesses, cèdent et sont prêts à le défendre corps et âme. Déjà au sein du peuple certains lassés par la violence demandent l'arrêt de la grogne.
Jilamy jubile, il est aux anges, il a réussi à mettre une partie du peuple contre l'autre, il a réussi à diviser le royaume, plus personne ne sait ce que le peuple veut, parce que plus personne n'écoute personne et la pagaye continue, le temps semble jouer en sa faveur et lui donner raison.
Après quelques semaines passées dans un désordre total, Jilamy reçoit enfin les conclusions du grand débat qu'il avait lancé pour noyer le poisson. Et une fois encore, sortant son plus beau costume, il harangue le peuple en promettant un monde meilleur car il dit avoir entendu les appels désespérés de ce dernier. Il promet la mise en place de mesures qui permettront à chacun de mener une vie digne. Il promet de partager les richesses du royaume et promet et promet encore à qui veut bien l'écouter. Mais avant tout annonce-t-il, il faut remettre le royaume en état. Il demande au peuple de racler les fonds de tiroirs pour payer la lourde note des dégradations commises par ce dernier. Il assure qu'il faut savoir donner pour recevoir et qu'ensuite tout ira bien.
Il omet juste de préciser qu'il ne pense pas au peuple en disant cela, mais bien à lui.
Il sait qu'il a déjà ses comptes emplis au plus haut niveau, mais cela ne lui suffit pas, il en veut encore. Cette soif de richesse est propre à son monde de la finance d'où il vient et dans lequel on ne se contente pas de ce qu'on a, mais dans lequel on en veut toujours et encore plus.
Oh, pendant un petit moment il a du répit, le peuple encore sous le choc des événements peine à se remettre et a perdu sa hargne.
Lentement tous reprennent le chemin des usines, même les plus forts baissent l'échine et rentrent dans le rang. Tous attendent à nouveau que les promesses faites voient le jour.
Jilamy et ses amis sont fiers, ils ont mâté le peuple, ils peuvent recommencer à remplir leurs coffres.
Oui, mais voilà qu'un petit con, un comme celui qu'un autre roi avait traité de ce nom dans la rue, voici qu'il demande à quelques amis de venir à une réunion secrète….
Morale :
Dans tous royaumes le peuple est assujetti, personne d'autre que le roi ne gouverne. Personne ne tire profit de sa situation tant que le roi ne le veut, et une fois que tu as mangé à sa table, tu hurles avec les loups.
Merci Jilamy, Fronzy, Joey, le gand Bleky, Thyristory, Chantaly et Lisy, cargrâce à vous je ne chante plus la chanson d'Ivan Rebroff "Ah si j'étais riche…", maintenant je le suis, youpyyyy !
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