Les amis du puits St. Charles de Petite-Rosselle
Lundi 23 octobre 2013 à 14h30 je suis emmené par mon ami Walter à Petite-Rosselle.
Nous y avons rendez-vous avec monsieur Minninger Rigobert, président de l'association des amis du puits Saint Charles, afin de réaliser un petit reportage sur leurs activités.
Il pleut légèrement ce lundi et c'est sous la grisaille, presque habituelle en cette saison dans notre région, que nous arrivons au siège de l'association. Walter gare son véhicule sur ce qui reste du "carreau" du siège du puits Saint Charles. La place est pavée et dessert d'anciens bâtiments, dont notamment les écuries où se rencontrent des amis pour jouer à la pétanque.
Notre siège est quant à lui un peu à l'écart, de l'autre côté de la place, dans le bâtiment qui abritait l'ancien Poste Central de Secours du Groupe de Petite-Rosselle et des Houillères du Bassin de Lorraine.
Nous sonnons à la porte et c'est monsieur Minninger en personne qui nous accueille.
Il nous fait faire le tour du propriétaire et je suis surpris de découvrir dans ce bâtiment autant de locaux à disposition de l'association et de ses membres. Il y a un atelier dans lequel on peut travailler le bois, le fer et la pierre, une petite cuisinette qui sert surtout à préparer le café que s'empresse de faire monsieur Francis Schmidt qui nous a rejoint.
Nous traversons le bureau de direction pour entrer dans une première salle de réunion, puis une deuxième, puis des pièces renfermant des armoires dans lesquelles sont minutieusement classés de nombreux documents, des photos, tous les Mineurs de France, et des livres sur les mines de France et de Sarre, des écoles des Mines et bien d'autres.
Une fois encore je suis surpris par la propreté des lieux, le classement irréprochable des documents, la qualité des matériels et des nombreuses machines présentes ainsi que des drapeaux et de la maquette du Siège Saint Charles. Maquette qui a été prêtée pour être exposée dans le musée d'Orsay à Paris en 2002 et dans la ville de Hayange qui avait elle aussi souhaitée la présenter à la population locale.
Maquette réalisée par un membre de l'association, monsieur Mertez Manfred.
Je dois préciser que ce tour du propriétaire qui aurait pu durer un quart d'heure s'est étiré sur deux heures que je n'ai pas vu passer tant monsieur Minninger a su captiver mon attention par les détails de tous les objets, machines, cartes, drapeaux rencontrés au fil des pièces traversées, et pendant que Walter, notre photographe attitré qui est par ailleurs un membre de l'association, va prendre les photos pour le reportage, je m'assieds avec messieurs Minninger et Schmidt autour d'une table pour prendre des notes au sujet de l'association.
Cette association existe depuis 1982 et a été créée par quelques amis qui se sont rencontrés pour apporter des photos à monsieur Urstel qui dirigeait l'ASBH (association d'Action Sociale du Bassin Houiller), ce fut le déclic qui a fait qu'ils ne se quittèrent plus pour s'investir dans la protection du patrimoine minier de Petite-Rosselle car ils présentaient déjà la disparition des ouvrages en rapport à l'activité minière. Ils décident alors de créer une association pour protéger ce précieux patrimoine.
Le président fondateur est monsieur Minninger Rigobert, les membres fondateurs sont mademoiselle B. Schreiner, messieurs M. Hoellinger, P. Gouverneur, L. Reinert, L. Cler, M. Jager, J. Klinkert et Y. Delles.
Aujourd'hui l'association est forte de 150 membres qui versent une cotisation annuelle de 10 euros, c'est la principale source de revenus, à laquelle il faut ajouter la participation de la ville de Petite-Rosselle qui prête les locaux et prend en charge les frais liés à son occupation et qui verse en plus une petite subvention pécuniaire.
Leurs locaux qui servent de salles d'expositions et de réunions sont mis à disposition d'autres associations qui souhaitent en profiter.
Les activités régulières de l'association sont l'organisation d'expositions thématiques : peintures, sculptures, photos et diverses œuvres artistiques liées à l'environnement minier. S'y sont également déroulées des expositions ornithologiques, sur la ligne Maginot, la venue de chorales locales, sur le Warndt et bien d'autres encore…
L'association met à disposition des membres ses ateliers bien équipés en outillages divers permettant le travail du bois, du fer et de la pierre. Elle dispose d'une belle librairie ouverte à tous tout comme la photothèque. Un labo photo attend un ou des jeunes volontaires pour lui redonner vie et y exprimer leur activité artistique.
L'association a mené bien des luttes pour la sauvegarde du patrimoine, notamment pour la conservation du puits Saint Charles 1 (qui est le puits historique réalisé sur l'axe même du sondage qui a prouvé l'existence de charbon, qui fut le premier charbon "vendable" de la région). Le modèle que nous pouvons voir aujourd'hui est le troisième qui a succédé au premier puits qui fut en bois, au deuxième qui fut en fer. Il a été creusé de l'étage - 640m à – 750m. Il a été peint, là aussi après âpres luttes, en couleur bleu (pas tout à fait le bleu européen qu'avait souhaité le président) pour le sauver de la rouille qui l'attaquait sournoisement. Les travaux purent être réalisés grâce à l'ancienne municipalité dont le maire était monsieur Walster, une entreprise de peinture fit don de la matière première et de nombreux autres dons privés se sont ajoutés à l'effort municipal pour l'occasion.
L'association a publié un livre sur le patrimoine qui est à disposition à son siège.
Aujourd'hui l'association souhaiterait poser le drapeau national au sommet de cet édifice, mais la mairie empêche cette pose par l'association pour des raisons évidentes de sécurité. La ville précise par ailleurs que la loi rend obligatoire l'adjonction du drapeau européen au côté du drapeau national, et laisse supposer qu'un prochain jour ces drapeaux flotteront en haut de ce vestige. La ville projette en effet l'aménagement de la "deuxième ville", un lotissement entre la ville haute et la ville basse, les bâtiments de l'ancien siège Saint Charles seront intégrés à ce projet pour le valoriser grâce à son histoire et la qualité des bâtiments. Ce sera également, et c'est le vœu le plus cher du président, l'assurance de la pérennité de ces derniers.
C'est à ce moment du reportage que le président (il ne se vexera pas si je donne son âge qui est de 83 bougies) baisse un peu la tête, fronce ses sourcils, je vois son regard se perdre quand il me dit vouloir faire un appel aux jeunes pour qu'ils rejoignent l'association.
L'œil à nouveau vif, il annonce être ouvert aux écoles, collèges et lycées pour leur faire découvrir l'association, qui sont malheureusement presqu'exclusivement orientés vers le musée de la Mine. Musée avec lequel il n'y a pas rivalité, l'association lui prête même du matériel (je précise qu'il faut parfois tirer les oreilles de ses responsables pour qu'il soit rendu), chacun vivant de son côté avec ses activités propres et complémentaires.
L'objet principal de l'association est la protection du patrimoine, et ses expositions certes pertinentes et uniques en de nombreux domaines, ne veulent aucunement concurrencer le musée de la Mine et méritent le détour.
L'association côtoie la société des Mineurs, celle des Sauveteurs, celle des retraités Mineurs et des philatélistes, toutes de Petite-Rosselle bien entendu.
Elle permet à chacun de venir librement visiter les salles gratuitement le lundi et le jeudi de 8h à 12 h et de 14h à 17h30, un café de bienvenu est offert à ceux qui le souhaitent.
Des visites en dehors de ces jours peuvent se concevoir en téléphonant au siège de l'association au 03 87 84 01 90 ou auprès du président au 03 87 88 25 21.
L'adresse postale est :
Les amis du puits Saint Charles – Contour Saint Charles – 57540 Petite-Rosselle.
L'association invite tous les amoureux du patrimoine et de la Mine à venir le lundi 4 décembre à 11 h, assister à l'inauguration du nouvel emplacement de l'espace souvenir (lieu de recueillement en mémoire des victimes des trois catastrophes survenues au puits Saint Charles en 1929, 1937 et 1959) emplacement crée en 1999 et déplacé à proximité du local du siège l'association de Petite-Rosselle, Contour Saint Charles, en présence de nombreuses personnalités et associations.
Drapeau des Houillères de Petite-Rosselle / Société des employés
Ouvrier mineur en tenue
Tresse ayant été remplacée par des câbles acier pour monter et descendre les cages du puits
Nouvel emplacement de l'espace souvenir avec la lampe en grès des Vosges sculptée par M. Minninger
Siège de l'association, vue arrière du bâtiment
M. Schmidt et Minninger tenant le drapeau de l'association ouvrière des Mineurs
MM. Heitzmann (notre photographe), Schmidt, Minninger et Miksa
Une des nombreuses vitrines en exposition
Plaque en grès sculptée par M. Minninger
Tableau généalogique de la famille De Wendel
Le jour du reportage j'ai rencontré deux passionnés de la mine, mais je dois avouer que j'ai été stupéfié par la savoir, la passion, la disponibilité, l'humilité et la gentillesse du président M. Minninger Rigobert.
Je salue aussi ici-même les autres membres qui se sont dévoués pour cette noble cause de la sauvegarde du patrimoine minier que de trop nombreux personnages tentent de faire disparaitre du paysage de l'ancien bassin minier dont Petite-Rosselle fut le berceau.
Ces quelques lignes ne suffisent pas à traduire l'investissement et la richesse de l'association et fera l'objet d'un reportage particulier.
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Une cérémonie en mémoire des victimes des catastrophes du Puits St. Charles
Le vendredi 8 décembre 2017 a eu lieu un petit rassemblement à l'espace souvenir aux victimes (lieu de recueillement en mémoire des victimes des trois catastrophes survenues au puits Saint Charles en 1929, 1937 et 1959).
Le président Minninger a tenu un petit discours devant une bonne trentaine de présents dont le maire de Petite-Rosselle. Dans son allocution il a précisé qu'il a souhaité que l'assemblée puisse se recueillir en cet endroit, "Soyons heureux de pouvoir rendre hommage aux victimes" dit-il en demandant de respecter une minute de silence. C'est Madame Bernadette Schreiner qui, en frappant d'un marteau une cloche remontée du fond de la mine et posée à même le sol, a commandé le respect du silence. L'instant fut solennel et suivi d'une prière.
Le président a ensuite remercié le maire de Petite-Rosselle Monsieur Gérard Mittelberger, pour son soutien à l'association en permettant au monument du souvenir de se retrouver dans ce nouvel emplacement, ce monument qui était situé sur une parcelle de terrain vouée à un futur aménagement dont il était exclu, a dorénavant sa place sur une parcelle communale, "Grâce à vous Monsieur le Maire".
Ces mots furent chaleureusement applaudis par l'assemblée avant qu'elle ne soit invitée par le président à se rendre au Musée des amis du Puits Saint-Charles pour un "casse-croûte du mineur" (Lyonnerwurst, œufs durs, pains et boissons).
Ce fut l'occasion pour chacun de partager quelques mots avec les anciens de la mine dont les souvenirs toujours aussi présents méritent d'être écoutés avec respect.
J'ai eu le plaisir d'y rencontrer Monsieur Manfred Mertez, qui n'est autre que l'auteur de la maquette du Siège Saint-Charles. Sa passion pour la mine, qui pourtant lui fait payer très cher son engagement pour son activité liée à la production du charbon, est intacte et une étincelle dans ses yeux trahi son attachement à son travail pour lequel il a consacré un temps énorme et très précieux. Souffrant de cette "saloperie de maladie du mineur", il ne se sépare plus de sa bouteille d'oxygène.
Nous parlons longuement, mais l'homme ne se plaint jamais, je lui propose alors de le rencontrer avec le président Minninger pour réaliser un reportage plus complet sur l'association et ses nombreux trésors, dont sa remarquable maquette du siège Saint-Charles. Rendez-vous est pris pour le début de l'année 2018. Glück auf !
Le président M. Rigobert Minninger et le maire de Petite-Rosselle M. Gérard Mittelberger pendant l'allocution
Le président a relevé que les lieux méritent un rafraîchissement, mais chut… c'est dans les tuyaux !
Un mot sur le président : Monsieur Rigobert Minninger.
lundi, comme convenu la semaine précédente, j'ai rendez-vous avec Walter pour nous rendre à Petite-Rosselle afin d'y terminer notre série de reportages concernant cette fois-ci son président.
Comme à son habitude Walter passe me prendre un peu avant l'heure et nous filons rejoindre nos amis de l'association. Nous arrivons sur place dix minutes avant l'heure et nous nous garons devant le bâtiment. Walter profite de notre avance pour sortir de sa remorque son beau berger allemand "Lurka".
Cette chienne, une bête de concours toujours sur les deux premières marches des podiums va, aussitôt libérée, promener sa truffe autour du bâtiment. Nous la suivons et découvrons un chargeur EIMCO 21 de couleur jaune comme presque tout le matériel minier du fond. Walter m'explique son fonctionnement : " il était alimenté en air comprimé par un flexible de 50mm de diamètre, les manettes de commande se trouvaient ici sur un plateau qui a disparu, la benne chargeait ici et déversait derrière dans des wagonnets grâce au levier qui est encore ici, tu vois, il en avait deux, un pour chaque sens de basculement. Cette machine était aussi utilisée dans les bougnous. C'est un puisard qui est sous la cage du dernier étage au fond. C'est là que tombent des tas de saletés qu'il faut aller chercher de temps en temps pour permettre la bonne marche du puits. Parfois cette machine ne pouvait être descendue dans cet endroit et c'est à la pelle que des mineurs se chargeaient de libérer l'espace. L'enlèvement de ces débris en tous genres, y compris du charbon, était essentiel pour permettre aux câbles qui relient les cages montantes aux cages descendantes, de rester en bon état !"
Un peu plus au loin nous apercevons ce que nous croyons être une vieille haveuse, si vieille que Walter n'arrive pas à la situer. Plus tard Monsieur Minninger nous apprendra qu'il ne s'agit pas d'une haveuse mais d'un "ravageur" qui était utilisé pour creuser la cheminée au bout du chantier afin de permettre à la haveuse d'être retournée dans la niche créée par le ravageur pour revenir vers le début du chantier. Le ravageur avançait droit devant sur une longueur de 5 à 6 mètres. Aujourd'hui c'est peut-être le dernier exemplaire rescapé de la mine et il est très convoité par des associations minières allemandes.
Il nous précise aussi que dans le bougnou, c'était souvent un grapin qui enlevait les débris accumulés pour les déposer dans une berline qui arrivait au niveau du bougnou par un plan incliné depuis la galerie principale. Jadis c'était dans des paniers (les "kuffer") qui étaient accrochés aux câbles pour être remontés, que les mineurs pelletaient les saletés.
Le ravageur se trouve dans une niche au pied du bâtiment de l'association (c'était jadis l'emplacement d'un réfectoire).
Tandis que nous arrivons à l'arrière du bâtiment, nous y trouvons une loco LLD du fond avec une berline et j'ai droit au même discours : " c'est une loco qui fonctionnait au diesel, tu vois ici c'est le cadran du niveau de diesel, là c'est celui d'un rhéostat et (en manipulant un levier) ça c'est le frein. Avec ce volant (qu'il tourne) il m'apprend comment cette loco avançait et il manipule les vitesses en me demandant de bien écouter le clic qui indique la prise de la consigne et le clic de la perte de consigne. Décidément, il connait beaucoup de choses sur la mine notre Walter, et justement un promeneur qui nous voit devant l'engin nous interpelle : " J'ai conduit cette machine au fond !" Il n'en fallait pas plus pour que Walter entame la discussion :
- Salut, tu as conduit cette machine ? Demande Walter.
- Oui, celle-ci et d'autres qui fonctionnaient à l'air comprimé, répond le promeneur (d'après Monsieur Minninger en français elles étaient appelées Dujardin, et en allemand Schwartzkoff).
- Lesquelles, celles avec trois ou celles avec cinq réservoirs ? Demande Walter.
- Les deux, répond fièrement le promeneur.
- Moi je m'appelle Heitzmann, lui c'est Miksa et toi c'est comment ton nom ?…
La discussion s'est poursuivie et nous apprenons alors que cette personne est âgée de près de quatre-vingt ans et sort d'une lourde maladie. C'est un plaisir pour cet "ancien" de pouvoir à nouveau faire quelques pas au-dehors et de converser du temps passé, nous précise-t-il. Puis après un "glück auf" il s'en va.
C'est à ce moment que je ramasse une plaque juchée au sol à l'avant de la loco et dont Walter me dit que c'est une pièce de la loco.
En effet sur l'un des côtés il manque une grille et je tente de la remettre en place tandis que Walter sourit car je n'y arrive pas du premier coup. "Il y a un truc : tu dois mettre la partie supérieure en premier et la tenir par le trou du bas" ! Walter prouve encore une fois si besoin en était, qu'il a réellement manipulé ces engins au fond.
Walter devant la loco LLD et sa berline de 1000 litres (photo JLM)
Puis J'entends une voiture arriver et nous filons vers l'entrée du bâtiment.
C'est en effet Monsieur Minninger qui est arrivé. Walter rentre sa bête et nous allons dans le bureau réaliser notre reportage dont voici un petit aperçu.
Monsieur Rigobert Minninger est né 05 février 1934 à Petite-Rosselle, ville qu'il ne quittera jamais. Dès l'âge de 14 ans il "va à la mine" pour y apprendre le métier de mineur. Sa feuille d'emplois stipule que du 23 août 1948 à 1949 il est classé manœuvre, de 1949 à 1950 aide géomètre, de 1950 à 1953 aide piqueur, de 1953 à 1955 apprenti géomètre, de 1955 à 1956 élève porion, il devient agent de maîtrise fond en 1957, porion de quartier en 1965, sous-chef porion en 1974 et chef-porion en 1983. Oufff, je souffle, quelle carrière !
Je lis sur l'un des documents qu'il me présente, qu'il a obtenu son CAP de mineur en 1952 avec la mention très bien (il y a même annoté sur son diplôme les félicitations du Directeur car il a été le meilleur élève du Bassin). Partir de là et gravir en trente ans tous les échelons pour finir chef-porion mérite des félicitations que je m'empresse de lui adresser.
Mais ce parcours atypique est bien l'image de fonceur qu'est cet homme, un touche à tout, un expert en matière minière qui intéresse très vite la hiérarchie qui va le pousser à reculer son départ au service militaire pendant trois ans pour l'intégrer dans un nouveau service qui va se créer : "le Service Essais et Méthodes".
Dans ce service qui sera le fer de lance des innovations en matière de techniques nouvelles d'exploitation minière, entre autres, il sera amené à voyager dans tous les puits du bassin, depuis celui de Wendel en 1973, pour finir dans les services généraux en 1986.
Travailleur infatigable, notre homme, qui a reçu la médaille du travail "grand or", a vécu son activité comme une vraie passion. Il n'avait nul besoin d'autres occupations en dehors de son travail, son métier ne le quittait jamais.
Déjà très tôt dans sa carrière, sentant le vent de la fermeture des puits souffler de plus en plus fort, il s'organise. Il repère de-ci de-là du matériel obsolète qui est prêt à être ferraillé et hop, tel un magicien, en un tour de passe-passe il récupère l'objet et le met à l'abri. Son terrain de jeu favori est Saint-Charles, Vuillemin, et même Faulquemont où il retrouve un vieux compresseur prêté par Saint-Charles et qu'il s'empresse de mettre à l'abri. Il a une autre curiosité dans ses cachettes, un vieux marteau pilon à air comprimé qui vient du puits 6 de Merlebach. Il amasse ainsi nombre de vieilleries dont plus personne ne veut et il est le seul à comprendre que tous ces objets sont inscrits dans l'histoire du charbon et ne doivent pas disparaitre.
C'est ainsi que nait tout doucement un véritable amour envers le patrimoine minier dans son ensemble. Mais ce n'est qu'une fois entré en retraite qu'il peut consacrer le temps nécessaire à la mission qu'il s'est imposé : sauver ce qui peut encore l'être, afin de laisser une trace de cette industrie à laquelle il a tant donné.
Monsieur Minninger à gauche lors de notre entretien
Il est soutenu dans son action par de nombreux amis (les amis du Puits Saint-Charles -bien entendu- et d'autres encore), ce qui lui laisse un peu de temps pour réaliser de belles sculptures sur pierre, sur le gré des Vosges en l'occurrence. Entre les stèles qui figurent plus haut dans ce reportage, la lampe de mineur du mémorial Saint-Charles, il a sculpté un livre ouvert présentant d'un côté les armoiries de la ville de Forbach et de l'autre celles de Völklingen. Cette sculpture figure en bonne place à Völklingen où passants et visiteurs peuvent l'admirer dans la mairie de la ville.
Monsieur Rigobert Minninger me raconte tout cela sans que je n'aie besoin de poser de questions, tout s'enchaîne parfaitement, mais je veux en savoir un peu plus sur l'homme et lui demande de me parler de sa famille. Là son visage s'assombri, je sais qu'il vient de perdre son épouse il y a quelques mois, la blessure est encore intacte. Il n'en parle pas, me dit avoir eu trois filles et… ses yeux se mouillent, il me raconte comment sa fille a disparu tragiquement à l'âge de 17 ans. Je suis bouleversé. Je respecte le silence qui s'est invité et lui propose de me parler un peu de la famille De Wendel qui a bonne place dans le musée qu'il gère avec ses amis.
Nous entrons dans la salle où sont accrochés aux murs des arbres généalogiques, depuis Jean De Wendel né en 1580 à Charles De Wendel né en 1857, ainsi que des portraits et de nombreux objets de collection.
Voici quelques portraits visibles :
- Famille De Wendel : Mme Charles De Wendel née d'Hausen (1720-1802) celle à qui la sidérurgie et le charbon doivent beaucoup, François De Wendel (1775-1825), Mme François De Wendel née Fischer de Dicourt (1784-1872), Théodor de Gargan (1791-1853), Charles De Wendel (1809-1870) c'est celui qui fit extraire le premier bloc de charbon au Puits Saint-Charles, Théodor de Gargan (fils du précédent 1827-1889) il fit bâtir l'église Saint-Théodore à Petite-Rosselle, Henri De Wendel (1844-1899) il fit bâtir la chapelle d'Urselsbach, Robert De Wendel (1947-1903), François De Wendel (1847-1949), Humbert De Wendel (1876-1954), Maurice De Wendel (1879-1961), Charles De Wendel (1871-1931), Guy De Wendel (1878-1955)
- Roger Cadel (1890-1956) DG HBL, chef de siège à Petite-Rosselle, il a formé des jeunes ingénieurs au puits Saint-Joseph pour les préparer aux nouvelles techniques minières d'après-guerre
- André Puyte (1906-2004) DG HBL, passé par les puits Saint- Charles et Saint-Joseph
- Richard Lyons DG adjoint HBL, chef de siège au puits Saint-Charles
- Roger Jourdan DG HBL, a débuté sa carrière d'ingénieur au puits Saint-Charles
La plus ancienne de la famille Le plus jeune de la famille
Après avoir pris ces notes, pendant que Walter prenait des photos, je rejoins Monsieur Minninger pour parler un peu d'avenir.
Tout de go il me dit voir l'avenir s'assombrir pour l'association. La relève ne se fait pas, les membres ont presque tous dépassés 70 ans, l'aide extérieure pour assurer la pérennité de leurs actions est toujours attendue.
Il verse un peu dans la nostalgie quand il me parle de l'ancien maire de la ville qui soutenait son action, se dit un peu déçu par l'action de la nouvelle municipalité. Il est vrai que le quartier où se trouve le restant des bâtiments du puits Saint-Charles, dans l'un desquels nous sommes, mériterait un traitement de mise en avant. J'ai pu constater personnellement que "l'espace mémoire aux victimes" est dans le même état que lors de son inauguration, entouré de murs dégradés, alors que le maire s'était engagé à les rafraîchir.
Le nouveau lotissement au pied du chevalement qui devait voir le jour, avec l’aménagement des espaces annexes, est toujours en attente…
Le nouveau musée de la mine ne s'intéresse pas aux vieilleries qui sont la marque de l'association. Ce musée retrace l'histoire récente du charbon, alors qu'ici on fait dans le vieux.
Cela fait beaucoup de déception, il se propose de nous faire du café et Walter sort des "américains" des vrais "americoner" faits par sa compagne. Nous faisons une pause et savourons ces délicieux gâteaux.
L'homme reprend du poil de la bête. Il continue ses récits sur la ville bâtie par la famille De Wendel, sort des photos, commente. Je retrouve le battant, l'homme à la mémoire intacte, à la lucidité incroyable, qui va toujours à l'essentiel, saute des étapes, revient en arrière quand on n'a pas suivi…
J'apprends qu'avant 1900 entre les maisons des mineurs qui criaient famine, De Wendel a fait construire un "backhaus".
Photo de l'association montrant un des derniers "backhaus"
C'est un petit bâtiment qui permettait d'y cuire son pain et fumer sa viande, il n'y avait ni boulanger ni boucher en ces temps-là. Chacun se débrouillait, presque chaque famille élevait un cochon. Un boucher passait le tuer quand la saison était venue, il allait de maison en maison, les échelles supportaient le poids de l'animal dépecé qui se vidait de son sang dans la rue. Les femmes étaient chargées de la cuisson du pain et assuraient la continuité du feu qui ne devait pas s'éteindre.
Hélas aujourd'hui tous ces bâtiments ont été soit transformés en garages, soit démolis mais, mais… mais Monsieur Minninger prévoyant le triste sort réservé à cette page d'histoire locale n'a pas pu s'empêcher d'en sauver un. Il a été démonté et mis à l'abri dans un lieu sûr. Quelqu'un viendra-t-il un jour réaliser son rêve en le reconstruisant ?
Notre homme a encore un autre rêve, voir le drapeau français flotter sur le puits Saint-Charles, le seul rescapé à Petite-Rosselle. Il regrette que la ville n'ait pas voulu acheter pour le franc symbolique le puits 1, qui vit sa construction débuter en 1854 et a vu sortir le premier bloc de charbon en 1856, pour être démoli en 2005. Il veut que ce puits visible de loin, salue, drapé de cet atour, le puits Saint-Charles 4 qui trône fièrement sur la campagne allemande en face de lui.
C'est le mot de la fin, je range mes papiers, Walter son appareil photo et ses accessoires, nous nous saluons, les sourires sont sur tous les visages. Promesse est faite de nous revoir dès que possible.
Monsieur Minninger (à gauche), en arrière-plan le puits Saint-Charles auquel manque le drapeau national, pourtant un mât semble l'attendre… Juste à droite le bâtiment qui abrite le musée de l'association, au fond "l'espace aux victimes" où est posée la lampe de mineur taillée dans le grès par Monsieur Minninger.
Je termine ce reportage en espérant avoir donné envie aux lecteurs de se rendre à Petite-Rosselle pour visiter le musée, rencontrer les anciens mineurs qui partagerons volontiers leurs souvenirs avec le visiteur. Il y a toujours un café prêt à être servi et l'entrée est gratuite. Les jours de visite se font le lundi et le jeudi de 8h à 12 h et de 14h à 17h30, il est préférable de téléphoner au siège de l'association au 03 87 84 01 90 ou auprès du président au 03 87 88 25 21 pour prévenir sa visite. Photos W. Heitzmann, rédaction JL Miksa.
L'adresse postale est :
Les amis du puits Saint Charles, Contour Saint Charles, 57540 Petite-Rosselle.
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