NOSTALGIA, le Blog qui fait oublier les tracas !

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J.F. Hurth : Mémoire d'un rouleau

Quand une technologie de pointe fait parler un "ROULEAU", fut-il compresseur...

Il y a quelques semaines, CLEMENT nous racontait l'histoire d'un "ROULEAU", qu'on avait laissé depuis fort longtemps, sous un saule pleureur près d'une "MARE", de l'ancienne  "FERME SCHOENECK".

Ce rouleau, à défaut de parc d'attractions à l'époque, était devenu un superbe lieu de rendez-vous des jeunes du quartier.

Clément se demandait aussi quelle était l'origine de cette "Chose" qui ressemblait à un engin de chantier. Il regrettait surtout que le rouleau ne puisse raconter ses souvenirs engrangés et par conséquence, une partie de l'histoire de la jeunesse de la FERME.

Un Archéologue et une équipe de fins limiers, dirigée par le célèbre Inspecteur "LE BÉRU", viennent de me rendre les conclusions d'une enquête rondement menée.

Grâce à un matériel d'Echo/Sondage hautement sophistiqué, dernière trouvaille d'une "Start-Up" en SILICONE VALLEY, ils ont pu obtenir les aveux complets de ce curieux témoin d'un autre temps.

A titre exceptionnel, je vous livre le contenu de ce dossier classé: "Conf.A2-2AB.COM", intitulé : 

MEMOIRE D'UN ROULEAU

 

Ça fait depuis très longtemps qu'après cette terrible bataille, les soldats m'ont laissé allongé dans le sable. Trop contents de m'avoir occis, ils m'ont volé mon bardat, mes armes, et ils sont partis en hurlant : "Ça fait toujours un Huguenot de moins !" Je dois avouer que ça m'arrangeait aussi, car j'en avais assez de me battre, marre de voir les hommes et les chevaux mourir pour rien.
Maintenant, ça fait des siècles que je repose là, presque mort pour de bon, dans ce sable devenu mon ami. Oui, j'ai bien dit "presque défunt", car sans y tenir plus que çà, je continue à entendre tout ce qui se passe autour de moi.
Par contre, je suis muet comme une carpe et aveugle comme une taupe. 
Je dois dire qu'avec le sable on a tellement attendu, tellement subi de saisonniers tourments, qu'à la fin on s'est confondus, mêlés, et que plus personne ne peut nous distinguer. 
Puis un jour ils sont venus. J'ai d'abord entendu des gens qui parlaient, ensuite il y a eu un bruit toujours plus fort, plus assourdissant, et la terre s'est mise à trembler. 
Alors une machine nous a soulevé et nous a jeté dans une cuve qui tournait comme une toupie, accrochée sur le dos d'une autre machine qui nous a emporté.

Longtemps on a roulé. Et puis, ils nous ont déversé de la poudre qui collait, qui nous brûlait. Mais c'est quand ils se sont mis à nous arroser comme pour nous noyer, que je me suis endormi.

Lorsque je me suis réveillé, j'ai bien senti que je m'étais transformé, que je ne pouvais plus me cacher. J'étais devenu gros, rond et cylindrique comme d'un arbre, un morceau du tronc. Soudés par la poudre qui nous avait brûlés, nous voilà maintenant avec mon ami le sable, durs comme de la pierre et lourds comme du plomb.

Ah ! J'oubliais de vous dire qu'ils nous ont aussi transpercés avec une grosse barre de fer, qui dépasse de chaque côté. 

Je crois qu'on ressemble à un gros "ROULEAU" et Dieu sait pourquoi ils nous ont mis dans cet état là…

Mais plus tard, d'autres hommes sont venus. Ils m'ont accroché à une grosse mécanique qui avançait et moi derrière, je me laissais rouler.

Des jours et des jours comme ça, du matin au soir, à écraser tout sur mon passage. 
Les cailloux, la terre et les plantes, jusqu'à ce que sous mon poids, tout un terrain devienne lisse et plat.

 

rouleau3.jpg

 

Ensuite ils m'ont détaché et j’ai entendu l'un d'entre eux qui disait dans la langue de chez moi :

Schluss,! Loss das Ding doo schteen, das brauche ma nimmé. (Terminé ! Laisse béton le ROULEAU, plus besoin)... en causer moderne…
Et ils sont partis, se fichant complètement de mon triste sort, comme de mon voisin, un saule pleureur qui tirait sa tronche, depuis des années.
Peu après, j'ai entendu beaucoup de gens qui s'activaient. A les écouter, j'ai compris qu'ils construisaient des maisons en bois, sur mon beau terrain lisse et plat.
Bientôt des personnes qui parlaient toutes les langues, sont venues habiter dans ces maisons en planches.

Chez ces étrangères familles, les hommes travaillaient sous la terre, les femmes s'occupaient de la maison et leurs enfants étaient gais.
Et ces enfants gais, un jour m'ont trouvé, dans ma petite MARE où je m'embêtais.
Ils jouaient avec moi comme si j'étais mort. Mais jeunes comme ils étaient, ils ne savaient pas se méfier assez.

Car moi, le vieux soldat ami du sable, j'entendais tout. Je comprenais toutes leurs langues, toutes leurs confidences.

Curieusement j'aimais tous leurs jeux, toutes leurs joies, mais ils ne le savaient pas.
Quand ils parlaient de moi, ils disaient le "ROULEAU", celui de "LA MARE".
Alors, je ne disais rien lorsqu'ils jouaient aux cartes, aux passionnants jeux de billes, lorsqu'ils se disputaient avec les filles, lorsqu'ils fumaient et parfois même, quand ils s'embrassaient. Je ne disais rien, quand ils me sautaient sur le dos, quand ils disaient des gros mots. J'aurais voulu que le Clémau, Nadine, Roland, Denise, Edith, Valda, Chanlucien, Auguste, Joe  et tous les autres, restent toujours avec moi, pour ne plus être seul comme autrefois.

Mais un jour ils sont partis. D'abord l'un, ensuite les autres. Ils disaient que leurs parents voulaient habiter là où le bonheur serait meilleur, en France ou ailleurs.

Plus d'un demi-siècle qu'ils m'ont laissé dans la mare.

Les maisons de bois ont disparues, tout le monde est parti et moi, le vieux ROULEAU seul dans mon coin, les pieds trempés dans la mare, je ressemble à la forêt qui a poussé autour de moi. Je suis tout barbu, mon dos est recouvert de lierre et de mousse. Souvent, avec mon voisin le saule, il nous arrive de pleurer en douce.

Il n'y a pas longtemps, j'ai entendu des grosses voix d'hommes de maintenant, déjà entendues il y a fort longtemps.

Elles parlaient de me nettoyer, de me mettre en beauté et de me déplacer en un endroit pour mieux se rappeler, peut-être même pour me remercier, qui sait…

Alors encore une fois, j'ai entendu le bruit d'une grosse machine qui m'a soulevé, qui m'a retourné et m'a fait rouler sur l'emplacement d'une baraque disparue, que je connaissais.
Celle du "Old JOÉ", parti vivre très loin, au pays des "CHENÈKRICAINS".
Et c'est bien là chez JOÉ, et au bout du rouleau si j'ose dire, que je les ai entendu éclater de rire. Il y avait, le CLÉMAU, WALDA et le CHANLUCIEN.

C'étaient donc eux, les grosses voix que j'entendais au loin.

Enfin, je vais être bien. Fronz 

 

* * * * * * * * * * 

 

Jean-François ne m'en voudra pas si j'ajoute à son poétique récit cette petite Fable que j'ai écrite et qui est directement inspirée du Chêne et du Roseau de notre grand Jean de la Fontaine.

Le Saule et le Rouleau

Le Saule un jour dit au Rouleau :
Vous avez bien sujet d'accuser la Nature !
Un enfant qui sur vous joue n’est pas un fardeau.
Le moindre vent, qui d'aventure
Fait rider la face de l'eau
M’oblige à baisser la tête,

Alors que votre front, au Caucase pareil, 

Non content d'arrêter les rayons du soleil,
Brave l'effort de la tempête.
Tout m’est Aquilon, tout vous semble Zéphyr.
De fer et de béton est fait votre habillage

Alors que moi je n’ai qu’un simple feuillage

Pour en imposer au voisinage…
Je n’aurais pas tant à souffrir
Si vous me défendiez de l'orage !
Mais vous êtes fait de ce béton
Résistant si bien aux outrages du temps.
La nature envers moi me semble bien injuste…


Votre jalousie, répondit le rouleau,
Part d'un bon naturel ; mais quittez ce souci.
Les vents me sont autant qu’à vous redoutables.
Je ne plie et ne romps pas, car j’ai jusqu'ici
Contre leurs coups épouvantables
Résisté en courbant mon dos...
Mais attendons la fin.

 

Comme il disait ces mots,
Du bout de l'horizon arrive comme une furie
Le plus terrible des tracteurs 
Que l’Est eût porté dans ses flancs.
Le Saule tient bon; le Rouleau résiste.
L’engin redouble ses efforts,
Et tire le rouleau hors de terre…

Le lourd rouleau, désemparé,

Quitte en pleurant son vieil ami

Et roule sans se retourner

Vers la place Joe Surowiecki…

Clément de sous le noisetier.

 


 

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05/08/2018
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Clément Keller : Schoeneck, le beau coin (7)

Être ou ne pas être...

Les Noëls, Pâques, anniversaires et autres jours de fêtes se succédaient et je m’épanouissais lentement mais sûrement entre l’amour discret d’une maman soucieuse de notre bien-être, un papa qui travaillait chaque jour à la mine pour subvenir à nos besoins, une petite sœur qui n’arrêtait pas de grandir et de m'embêter, une grand-mère omniprésente, un grand-père espiègle, une marraine dévouée et mon vélo bleu ‘Hirondelle’ qui avait, entre temps, perdu ses deux roues stabilisatrices et dont le rayon d’action s’élargissait au fil des mois et des années…

Tel un explorateur débarquant en terre inconnue, je découvrais petit à petit mon environnement et apprenais à connaître les personnes qui en faisaient partie et qui allaient peupler au fil des années mon quotidien.

Il y avait d'abord les voisins immédiats : Roger Daniel, le cordonnier qui exerçait son métier dans un baraquement situé à quelques dizaines de mètres de chez nous, la famille Thoma et leur fils Marcel, un gamin qui se promenait à longueur de journées en tirant une petite charrette à bras confectionnée par son grand-père, puis, de l'autre coté de la rue, dans la maison accolée à celle de grand-père, vivait la famille Kiefer et leurs enfants Gérard et Sylvie, et, un peu plus loin, les Philippe, parents d'un petit Daniel qui avait mon âge...

Il y avait également les épiceries et autres échoppes où nous allions faire nos 'courses' ainsi que l'église et les dimanches ponctués de matines, de grand-messes et de ces fichues vêpres qui avaient le don de nous gâcher certaines après-midi dominicales ensoleillées.

Nous aurons encore largement l'occasion de parler de tout cela au fil des futurs récits et je ne m'attarderai pour l'instant que sur quelques points strictement existentiels, dont il me reste des souvenirs que je qualifierai, pour les uns, de douces et tendres ‘Madeleines de Proust’, pour les autres, d’horribles ‘Cauchemars culinaires’

Toutes les bonnes choses ayant non seulement une fin mais également un début, je commencerai par ce qui m’était agréable…

Comme je l’ai rappelé maintes fois dans les épisodes précédents, ma nourriture de base était, pendant de longs mois composée exclusivement de lait de chèvre, de flocons d’avoine, de bananes écrasées avec des biscuits ‘Cuillères’ et de quelques insipides légumes moulinés et protéinés grâce à l’apport d’une demi-tranche de jambon…

Vers l’âge de 5-6 ans je passais à des choses plus consistantes et un de mes plus grands plaisirs était de manger des crêpes avec de la soupe 'pois aux lard', des 'Geheirate Kneedel', des 'râpés de pommes de terre' ou tout simplement un morceau de ‘Lyoner’, cette charcuterie bon marché, spécialité de nos voisins sarrois, qui était largement consommée dans le milieu ouvrier minier de l’est de notre beau pays de France.

 

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 Une saucisse 'Lyoner' dans toute sa splendeur... 

 

Quant aux ‘Cauchemars culinaires’, s’il en est un qui continue à hanter mes nuits c’était ce que grand-mère appelait le Guelling, un truc dont la prononciation du nom me faisait déjà l’effet d’un vomitif !

Papa, maman et surtout grand-mère, cuisinière attitrée de cet infâme ragoût, appréciaient cette ‘spécialité’ réalisée à partir d’abats, en l’occurrence les poumons et le cœur de gentils animaux qui n’avaient rien demandé à personne… (1)

Je ne m’arrêterai pas sur les détails de la découpe et de la préparation de ces morceaux spongieux et sanguinolents qui faisaient ressembler la table de la cuisine à la table d'autopsie de l’institut médico-légal d’un pays sous-développé, ni sur l’odeur pestilentielle qui se dégageait de ce plat mijotant pendant des heures dans une sauce blanchâtre en dégageant des bouffées de vapeur qui me soulevaient le cœur et me faisaient regretter que mon joli minois cerné de boucles blondes (2) était également équipé d’un nez en parfait état de marche... 

Le choc était rude et mon aversion pour tout ce qui est cuisiné à partir d'abats provient certainement de cette période de ma vie.  

On était loin de la haute gastronomie, mais, mis à part ce ragoût que je trouvais infect, et, comparé à la bouillie de flocons d’avoine de mes débuts, il y avait une réelle progression dans l'éducation de mes papilles gustatives et ces dernières se développèrent à la vitesse Grand V.

Les repas étaient simples, les ingrédients toujours frais et les plats mijotaient longuement sur les plaques de la cuisinière à charbon qui ronflait été comme hiver dans un coin de la cuisine.

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Le salaire modeste d'ouvrier au jour (3) de mon père ne permettait d'ailleurs pas beaucoup de folies sur le plan alimentaire et maman, toujours sous le regard critique de grand-mère, faisait de son mieux pour nourrir tout son petit monde.

J’ai gardé quelques-unes des recettes de cuisine de mon enfance bien au chaud dans un coin de ma mémoire et si cela vous intéresse, vous pourrez même les consulter sur ce Blog (4).

Quant à moi, bien nourri, logé et blanchi, je prenais du poids, de la taille et même un peu d’assurance…

Mais les choses sérieuses ne faisaient que commencer, car ma vie n’allait pas se résumer à des balades avec mon vélo bleu, à la cueillette de mûres, de framboises et de fraises sauvages avec grand-père dans la forêt, non, une nouvelle épreuve allait me tirer de ma torpeur d’enfant presque gâté et cette épreuve s'appelait l'école...

Ce mot encore inconnu m'impressionnait autant que l’immense bâtiment que maman m’avait souvent montré lors de nos promenades à travers le village :

Das iss die Schuul, dort geschdde ball hin, unn donn muschdde awa scheen brav sin ! (5)

 

* * * * * * * * * *

  

Je suis entré au cours préparatoire de l’école primaire de Schoeneck en septembre 1954.

Grand-mère n’a pas voulu que j’aille à l’école maternelle car, jusqu’à un âge avancé, j’étais un enfant couvé, dorloté, nourri et protégé par une aïeule plus que possessive refusant obstinément qu'on puisse me soustraire au milieu familial et à sa surveillance avant l'âge légal et obligatoire d'entrer à l'école.

Vers le milieu de l’année, un soir alors que j’étais déjà couché, l’instituteur du village de l’époque, Monsieur Félix Thil s’était rendu chez nous pour procéder à mon inscription dans les registres scolaires, et, sentant qu’il se passait quelque chose d’important car j'entendais une voix au timbre inconnu venant de la cuisine, je manifestais mes craintes en appelant plusieurs fois ma mère à mon chevet…

Après 2 ou 3 tentatives, excédée, cette dernière entra soudain dans la chambre et me dit :

- Wenn de jetz nit schloofscht, ruff Ich de Schullehra inn’s schloorftsima unn donn werschdde mool sihnn… (6)

- Ne lui dites pas cela Madame Keller, rétorqua mon futur instituteur, ce serait le meilleur moyen de le dégoûter de l'école pour toujours...

Maman acquiesça, revint me border et me demanda calmement de m’endormir.

J’entendis encore l’instituteur parler à voix basse avec mes parents et finalement, un peu plus rassuré sur mon sort, je sombrais dans un sommeil peuplé de cartables, d'ardoises, de porte-plumes et de gentils instituteurs en blouse grise...

Arrivé à ce point du récit il est nécessaire que je vous redonne quelques précisions sur notre famille et sur notre quotidien.

Comme je l'ai déjà souligné dans les récits précédents, la plupart des habitants de notre village, situé à cheval sur la frontière franco-allemande, avaient des origines qui se confondaient depuis des générations entre l'Allemagne et la France. 

Les conflits et les soubresauts liés à l’histoire de notre Lorraine faisaient en sorte que mon oncle paternel habitait en Sarre, mes parents et grand parents maternels en France et que le vocabulaire français de ma grand-mère paternelle, originaire du Palatinat, se limitait à : Trottwa, Baraplé, Boudel, Ôdschawel, Bôschoua, Ôrwa, Méassi, Zilvoublé et Ädé… (7)

Jusqu'à l'âge de six ans, ma langue quotidienne était le Platt, ce dialecte ressemblant vaguement à l'allemand, et, le jour de cette mémorable rentrée des classes, je me retrouvais, tel un extra-terrestre envoyé par erreur sur la planète terre, dans un monde où tous mes repères avaient disparus et dans lequel je ne comprenais pas un traître mot car on y parlait une langue qui m'était totalement inconnue et qui s'appelait le français ! (8)

Fort heureusement, je n’étais pas le seul à ignorer la langue de Molière car beaucoup d'enfants du village étaient logés à la même enseigne.

Pour couronner le tout, la plupart des enfants de la cité de baraques de la Ferme de Schoeneck étaient d’origine étrangère et de ce fait, l’école du village ressemblait à une tour de Babel sur deux étages dans laquelle les enfants et les instituteurs communiquaient tant bien que mal entre-eux dans une dizaine de langues et de dialectes...

On était loin de l'idéal académique d'une institution chargée de promouvoir le savoir dans la langue officielle de notre pays…

A priori, cette école que je redoutais tant n'était pas destinée à me faciliter la vie... 

 

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Au CP avec Monsieur Thil (Je suis dans la rangée du haut, au milieu avec un cache-nez)

 

Contrairement à mes craintes, ce fut tout le contraire et j'ai gardé de merveilleux souvenirs de ces premières années d'école et de mes 'maîtres'.

Aujourd’hui, je ne peux qu’admirer le travail des instituteurs et institutrices de l’époque et de la patience dont ils ont fait preuve pour harmoniser ces classes hétérogènes, instaurer une langue commune et nous inculquer, avec beaucoup de dévouement et d'abnégation, les bases du savoir et de la connaissance.

En ce qui me concerne, je sais que je leur dois tout et leur en serai reconnaissant jusqu’à la fin de mes jours. à suivre...

 

(1) Je sais, ça a l'air dégoûtant et pourtant ça ce mange ! Voir ICI

(2) Maman m'a toujours dit que j'étais beau et modeste !

(3) L'écart de salaire entre un ouvrier 'fond' et un ouvrier 'jour' pouvait (dans des cas extrêmes) varier du simple au double

(4) Vous trouverez quelques-unes de ces recettes ICI

(5) Voici l'école, tu y entreras bientôt, et il faudra être sage !

(6) Si tu ne dors pas de suite, je fais entrer l'instituteur dans la chambre et là tu vas voir...

(7) Trottoir, Parapluie, Bouteille, Eau de Javel, Bonjour, Au-revoir, Merci, S'il vous plaît, Adieu.

(8) Pour en savoir plus sur cette 'Langue' cliquez ICI

 

Tous les récits de la série "Schoeneck, le beau coin" :

(1) Présentation

(2) 5 Fruits & légumes

(3) Alléluia ! Il marche et il parle...

(4) Je vais ’recevoir’ une petite sœur

(5) A la découverte du monde

(6) Opa Adolphe - Mon premier vélo

(7) Être ou ne pas être... 

(8) Bientôt la rentrée ! 

(9) Premier jour de classe

(10) Independence day

(11) La pâte à modeler

(12) Vive les vacances !

(13) Billes, Roudoudous et Carambars 

 

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21/07/2018
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J.F. Hurth : Alarme citoyens !

Bondieu quel imbécile ce "MÉDOR" !

Adjudant qu'il était l'animal. Bête à étonner un demeuré, et aucun espoir d'amélioration. 
Oui "MÉDOR" que tout le monde l'appelait, à cause de la façon caniche qu'il avait avec ses supérieurs et la hargne qu'il déployait, à l'endroit de tous ceux qui lui étaient inférieurs. 
Autrement dit, NOUS, les Bidasses du 25ème Régiment d'Artillerie de THIONVILLE en 1960.
Son faciès rouge cramoisi, confirmait dès l'aurore, l'éclatante victoire d'une alcoolémie résiduelle d'environ 1g 80. MÉDOR était la caricature du Sous-officier de carrière, en pleine activité d'auto-démolition.
Son uniforme toujours impeccablement repassé, des Rangers cirés au point d'éblouir, le calot incliné sur le front à deux centimètres du sourcil droit, l'Adjudant MÉDOR jubilait.
Il avait deux grands moments dans sa journée.

1) D'abord la montée des couleurs le matin, où il maintenait un garde à vous tellement figé et rigide qu'on craignait pour une rupture de ligaments.

Sa main droite, vibrait de patriotisme jusqu'au bout des doigts, qu'il plaçait entre son œil vicieux et la pointe du calot. Le coude était aligné dans le prolongement de l'épaule et son regard torve était impressionnant. MÉDOR saluait la France, mais il aurait salué n'importe quoi d'autre, sur un ordre venu "D'en Haut". 
2) Ensuite, lorsque le clairon s'était tu sur une dernière fausse note, il dégonflait toute cette tension, donnait libre cours à ses abdominaux, laissant ainsi son inquiétante bedaine prendre des aises. Sa vareuse était alors tellement tendue, que les boutons astiqués autant que les Rangers, semblaient vouloir prendre des libertés non réglementaires. Sans désemparer, il passait ensuite à l'appel du matin, suivi de l'inspection de nous autres, les 45 "Pioupious" de sa Section.
Il y a des personnes qui savourent un moment de gloire, lorsqu'on leur décerne le Prix Goncourt, d'autres lorsqu'elles gagnent une médaille d'Or aux jeux olympiques.

Lui MÉDOR, c'était à L'APPEL des 45 bidasses innocents qu'il tourmentait à l'ombre du mât des couleurs, qu'en toute bonne conscience, il savourait un curieux orgasme matinal.

Liste de présence hurlait- il à l'adresse du Sous-Brigadier "BRILLANT", Prof.de philo dans le civil, bombardé scribe de service pour l'occasion.

- AKIZOWSKI, qu'il commençait alors l'Adjudant.

Prrécz.. Bréczânt, répondait le fils du récent immigré Polonais, étonné qu'on s'occupe déjà de lui.

- ALLAOUIE Ali !! Tu réponds le bicot ?

Prriisent ! bafouillait l'Arabe fils de Harki, qui se battait pour l'Algérie Française. 
- De la MOLLETIÈRE Jasper Sigismond, Victorin.

- C'est quoi ce con là soldat BRILLANT, s'étonna MÉDOR…

A vos ordres Excellence, s'empresse d'intervenir le rejeton d'Aristo, juste avant de prendre un magistral coup de pied au cul...

Comme çà jusqu'à ZIMMER, une bonne demi-heure plus tard. Parce qu'il y avait toujours un petit rigolo qui répondait "Présent" 2, 3 fois et il fallait tout recommencer.
Ensuite, après une bonne heure de pas cadencé, virilisée par des "Garde à vous", des "Reposez arme" et autres, "En avant marche", MÉDOR nous arrêtait sur un tonitruant :

"SECTIONNNN... HALTE » ! !

Et là commençait le second temps fort du beau métier de l'Adjudant.

- Soldat BRILLANNNNT...!! Bordel à cul donne-moi la liste des corvées et des taulards et fissa, qu'il éructait.

Ah! Il fallait le voir avec sa liste, bras tendu, sourire aux lèvres, ménageant les silences, les tonalités phonétiques, selon qu'il s'agissait de corvée de patates, de désherbage ou de chiottes. 
Un one man show mille fois répété, un superbe moment d'autorité pour ce grand décideur de petit grade.

Mais le zénith de son illusoire toute puissance, était atteint lorsqu'il annonçait les noms des taulards et la durée de la peine.

- 1, 2, 3, voire 8 jours qu'il avait droit d'infliger, selon son humeur et sans appel, notre Procureur de bal musette… J'ose à peine l’imaginer sous d'autres régimes, avec un petit Dictateur en forme, qui lui aurait accordé… carte blanche...

Pendant deux mois, le temps de mes "classes ", j'ai vu le bougre s'en donner à cœur joie. Jamais un signe de lassitude, jamais une baisse d'enthousiasme, toujours à l'apogée de la bêtise.

 

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Sélectionné je ne sais trop pourquoi, pour suivre une formation de transmetteur en "Code Morse", j'entrais dans un espace de semi-liberté, pendant quatre mois.

Reçu à l'examen pas trop facile et donc assez content de moi, je retrouve l'enflure lors d'un rassemblement exceptionnel, qu'il commande sous l'autorité du Colonel en grand uniforme.
Hiératique et altier comme le veut l'usage à ce grade là, ce dernier s'abrite fièrement derrière une batterie de décorations multicolores.

- GARDE À VOUS ! Qu’il aboie notre Juteux, avant d'attaquer une mémorable déclaration :
" Les ceusses que les noms ci-après énumérés par moi-même, partiront pour L'ALGÉRIE, faire leur devoir de soldat de la Patrie, incessamment dans les 8 jours », hurle-t-il.

- REPOS !
Putain, j'en faisais partie. Merde, me v'là fin bon pour la guerre, dans un pays que je situe à peine sur la carte. Si ça se trouve, faudra que je tire sur les frères de mes copains Arabes, qui bossaient avec moi à la mine.

Trois jours plus tard, rassemblement des futurs Anciens Combattants dans la Chapelle. L’Office est présidé par l'Aumônier, gestionnaire des âmes comme un prêtre de chez nous, mais en tenue camouflée quand il bosse dans les casernes.

Mes biens chers Frères qu'il démarre … vous voilà bien volontaires pour la gloire et le maintien de notre belle Algérie Française dans la Nation. Mais vos armes ne suffiront pas à vaincre l'ennemi.
C'est la foi en Dieu qui fera votre force. Et, parce que certains d'entre vous ne reviendront peut être pas, je propose aux braves qui le souhaitent, de leur administrer le Sacrement de l'Extrême Onction.
Croyez- moi mes chers Fils, le moment venu, ce viatique pour le Paradis vous sera bien utile. Bien sûr, je ne le souhaite à personne, mais ne tentons pas le Diable toujours présent parmi nous, surtout en Algérie où ses troupes interviennent en bandes organisées en ce moment.
Ensuite, ceux qui le voudront, pourront communier, mais en silence et en rang par deux !
- AMEN

Alors, quatre Musulmans pas trop catholiques, six Vietnamiens égarés et trois Israélites moins Juifs que Commerçants, se doutant qu'ils s'étaient trompés de BONDIEU, sortent au pas cadencé, comme on leur avait appris à marcher désormais.

Au fond de la Chapelle, une bonne quinzaine de bidasses prient à tout hasard, sur fond de catéchisme modèle CM1. Mais quelques autres dans mon coin et, on n'a jamais trop compris pourquoi, se mettent subitement à gueuler : "LA QUILLE BORDEL !"

C'était davantage pour dire quelque chose que d'être irrespectueux, voyez-vous.
Mais l'homme de Dieu, qui avait plus d'un tour de magie dans son sac, était justement en train de bidouiller une pastille blanche de synthèse, corps et sang confondus, à administrer aux repentants, pour la rémission de leurs turpitudes. Et, pour accélérer le miracle, il soliloquait de mystérieuses incantations dans une langue inconnue au bataillon.

Dérangé et franchement outré par cette interruption défaitiste, le Prête intima à l'Officier de service, l'ordre d'évacuer manu militari cette bande de mécréants, sûrement "Zazous" dans le civil.
Sans l'avoir fait exprès, mais pris dans la nasse, j'étais fait comme un rat. Sur ordre du Colonel décoré, on s'est tous retrouvés en taule en attendant l'énoncé de la sanction.
Trois jours de "Gnouf" et permission de départ sucrée.

Z'allaient être contents mes parents, la "Magda et le Wilhem" , quand je leur écrirai d'Algérie, alors qu'ils me croyaient peinard à "Diedenhofen".., enfin Thionville pour les gens de " l'Intérieur ".
Au deuxième jour de taule dans ma cellule, je vois se pointer MÉDOR.

Mais alors pas du tout l'Adjudant comme je vous l'avais causé avant. Non là, le MÉDOR n'avait plus son bel uniforme. Juste un vieux falzar sans ceinture qu'il tenait de la main.

Des chaussures aussi, mais plus de lacets. Une chemise décravatée. Plus de galons.

 

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- Mes respects mon Adjudant que je lui fais en fayotant, qu'est-ce qui vous arrive, c'est un contrôle inopiné ?

- Font chier, tous des cons, m'ont foutu dedans !

- Je ne comprends pas mon Adjudant, que je refayote...

- Chuis plus Adjudant, m'ont dégradé ces ingrats, alors que je me suis tapé la 39/45, la Corée, l'Indochine et même l'Algérie toute l'année dernière. Ah! les salopards, je leur en foutrais du St.Cyr, bande de cons ! J'étais au feu moi. Cinq années de front et ils m’emmerdent pour une Putain de Jeep ! Et d'emblée il m'explique : " Que la veille il était bourré. Alors avec un copain ils ont piqué une Jeep au garage, pour aller "aux filles" à Luxembourg.

Ces "cons de Luxo" ne les ont pas laissé entrer en boîte. Bagarre, Police et Panique.
C'est dans un sauve qui peut, en excès de vitesse et encore plus bourrés qu'à l'aller, qu'ils ont dézingué la Jeep du Colonel, dans un accident avec délit de fuite "…

- T'as pas une cigarette qu'il me fait, des larmes d'Adjudant dégradé à ses yeux désormais plus pathétiques que vicieux.

J'ui en donne deux, pour qu'il la ferme. C'est quand il m'a demandé si j'avais pas un peu de gnole que je lui ai dit : TA GUEULE !

 

* * * * * * * * * * 

ENGAGEZ VOUS, VOUS VERREZ DU PAYS QU'Y DISENT...

Ça se passe en 1960.

Dix jours exactement après ma rencontre dans la prison du Régiment, de l'illustre "MÉDOR", adjudant alcoolique et dégradé.

Grâce à lui, j'étais sur la liste des "Partants" en ALGERIE, mais je n'étais pas le seul…

Marseille, début 1960.

A plus de 1200 bidasses qu'ils nous avaient entassés sur ce paquebot qui s'appelait le "VILLE D'ALGER", pour aller faire la guerre aux Arabes.

J'en avais connu à la mine des Algériens. Ils bossaient bien et on rigolait ensemble quand ils essayaient de parler "Platt". Mais là, c'était des Arabes carrément inconnus qu'on nous demandait d'aller tuer, dans un pays qu'on situait à peine sur la carte, et sous un soleil qu'on se doutait pas de sa chaleur...

Ça faisait beaucoup.

"Pour une cabine individuelle avec téléphone, c'est 100 francs", nous appâtent les matelots qui avaient l'habitude de se faire de l'argent de poche avec les pioupious naïfs, qui voyaient la mer et un paquebot pour la première fois. "100 francs seulement, tu seras peinard. Traversée de deux jours et bouffe améliorée. Allez aboule tes 100 balles… Tu regretteras pas".

Beaucoup les ont donnés et moi aussi. Du coup de l'argent de poche pour mes 14 mois, il ne m'en restait que 400, des francs. J'étais encore riche. Cabine numéro 213, niveau 0 disait le billet que m'avait remis le matelot roublard.

C'est bien une cabine qu'on a eue sur ce "VILLE D'ALGER ", mais une 6 places. Trois doubles lits superposés, dans environ 10 mètres carrés de surface.

Mais comme on était douze à avoir donné 100 francs pour la même cabine, avec en mains les mêmes faux billets et que ça faisait donc deux troufions par lit de 60 cm, on a bien senti qu'on venait de se faire niquer. 


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La bouffe est arrivée deux heures plus tard. C'était une grosse gamelle avec douze cuillères et 3 pains, qu'un "mataf" a poussée par la porte, sans nous laisser le temps de lui casser la gueule. Je dois rendre justice au cuisinier du rafiot, bien que l'insipide brouet contenu dans la gamelle fut parfaitement dégueulasse. 
En effet, 3 heures après, plus personne n'eut faim jusqu'au lendemain de notre arrivée en ALGERIE. 
C'est vrai, qu’on n’a pas eu de chance avec cette belle Méditerranée qu'est devenue furieusement salope pendant toute la traversée. On avait l'impression qu'elle ne voulait pas de nous, les "Anciens Combattants" de plus tard.
Houle, tangage, creux énormes bref, tout ce que le "VILLE D'ALGER " n'aimait pas. Mais alors pas du tout, et il nous l'a fait savoir.

Presque tous sur le pont qu'on était jour et nuit, accrochés au bastingage ou, à se débattre dans nos gerbes qu'on lâchait par les orifices les plus surprenants.

La cabine, complètement oubliée ! De toute manière elle était devenue inaccessible à cause des couloirs débordants, dérapants et puants. Des centaines qu'on était à chercher les chiottes dans les mêmes coursives, à l'instar des chiens malades des pelotons cynophiles, qui gémissaient leurs nausées à nous rendre plus moribonds encore. 

Le mal de mer collectif comme ça, c'est horrible au point qu'on a juste envie de crever pour que ça s'arrête. 
Je pensai même à "l'Extrême Onction" que ce bougre d'hypocrite aumônier nous avait proposée, sans rire ni vergogne, avant qu'on parte. Le même qui voulait aussi nous administrer la communion au garde à vous et en rang par deux. Capable de tout, çui là.

Comme j'avais refusé ces viatiques paradisiaques, j'étais forcément promis à l'enfer mais à 19 ans, ça allait faire long. 

Finalement on est arrivé. Pas à ALGER, mais à BÔNE a cause du très mauvais temps. Cherchez pas BÔNE sur la carte, c'est ANNABA qu'il faut dire maintenant, si on veut être tranquille. Tout pareil que sous l'occupation le "STAHLHEIM" de chez nous, qui est redevenu "AMNEVILLE" après le départ des "Fritz", juste avant l'arrivée des curistes.

Quand ils nous ont rassemblés dans le port de BÔNE, les Officiers ont bien vu qu’on n’était pas présentables pour aller se faire tuer dans l'honneur. Alors ils ont décrété deux jours de repos ou d'infirmerie et une permission de sortie dans les bouges de la ville, avant de rejoindre nos affectations. Car voyez-vous à l'époque un soldat, ça fume, ça sait boire et ça va au bordel, Nom de Dieu !

Le lendemain, uniforme lavé, repassé, cravate nouée et rangers cirés, on a envahi les bouges de la ville, Et il y en avait des bouges. Pas une Eglise en activité dans cette fourmillante garnison portuaire. Que des bouges !

Moi qui n'avais jamais connu que les serveuses légèrement décolletées des bistrots de ROSSELLE ou de SCHOENECK, j'étais servi. Ébloui même ! C'est beau un bordel la nuit.

Des filles de partout et des faciles encore… Des ivrognes toutes catégories aussi.

Des matelots gueulant leur nostalgie au bar, de la sciure par terre, des Jukebox en furie, le tout dans un brouillard nicotineux.

Un vrai festival de misères en goguette. Ça pue un bordel la nuit.

Alors, dans l'un de ces claques, entre un très petit bonhomme en uniforme blanc.

Quatre galons dorés sur chaque épaule et une pleine collection de décorations sur son blazer d'apparat. Sur la tête une casquette avec plus dorures et de feuilles de chêne que deux Préfets, ou trois Commissaires de Police de chez nous.

Il était rempli d'alcool jusqu'aux cheveux ça se voyait, mais petit comme il l'était, il ne tombait pas. 
Derrière lui, debout dans l'entrée, deux énormes matelots à pompon rouge assuraient sa protection.
C'est le Commandant du "NARCOS", un paquebot GREC, en rade dans le port; gaffe à vos culs, murmurait-on dans le bouge, devenu singulièrement silencieux.

Par hasard, je me trouve au bar juste à côté du nain en blanc qui tient encore droit debout.

Avec ma cravate de travers et mon uniforme à deux balles, je ne pesai pas lourd moi, bidasse Français de deuxième classe. Si quand même, il m'aimait déjà beaucoup, puisqu'il caressait ma main et m'assurait de son indéfectible amour, dans un sabir d'homo de haut rang.

Mille balles qu'il me proposait pour l'accompagner sur son paquebot et autant après une nuit de tendresse à la grecque. Ne sachant pas où disparaître avant que sa libido ne s'emballât, je tente un discret ripage à gauche, mais il s'accroche, le prédateur…"You bist trrés beautiful", qu'il me fait, dans une synthèse d'au moins trois langues.

Conjecturant le pire et, avant qu'il ne mette en action la sienne, qu'il avait pâteuse dans son avaloir d'inverti de luxe, je réussi à m'arracher du cloaque, sous le regard courroucé de ses deux pitbulls à pompons.

C'est dangereux un bordel la nuit !

Dehors, mes copains m'ont rejoint pour m'engueuler d'avoir pas piqué les premiers mille balles que le satyre trilingue m'avait étalés, avant de me calter de ce bobinard à paumés.

Mais ça ne faisait pas assez longtemps que j'étais soldat, pour déjà être intelligent à ce point-là.

Le lendemain, des S/Off. à chevrons, nous ont comptés et recomptés, avant de nous faire grimper armés et casqués, dans des camions "GMC", eux aussi en tenue camouflée.

Mousqueton entre les genoux, trouille au ventre, moral en berne et sans fleur au fusil, on n’était pas glorieux.

Ces bahuts allaient nous propulser dans de dramatiques théâtres d'opérations, à l'assaut d'une défaite, qui nous fera perdre l'ALGERIE, une partie de notre jeunesse, et de trop nombreux camarades.

Je venais de vivre mon premier jour d'une guerre inutile. Gaaarde... à vous !

Des détails ? Plus tard, je vous raconterai... quand on aura le temps.

(Wen ma mol Zeit honn).  Fronz

 

P.S : Pardon à tous les Adjudants et aux Prêtres qui bien sûr, ne ressemblent pas à mes héros. Cette histoire vécue il y a près de 60 ans, n'a plus rien à voir avec la réalité d'aujourd'hui.
Les S/Officiers sont généralement d'excellent niveau, et font tourner l'Institution militaire avec compétence. MÉDOR avait la cinquantaine lorsque je l'ai connu au 25ème R.A. à THIONVILLE, en 1960. Il était donc né vers 1910-15 et certainement pas à Schoeneck ou Petite-Rosselle, car il n'avait pas l'akcent...

Ses origines sociales me sont donc inconnues, mais ses États de Services demeurent impressionnants. Ajoutons qu'une carrière émaillée de quatre conflits majeurs, n'est pas une sinécure. Il suffit juste d'observer notre entourage pour comprendre qu'il en faut souvent beaucoup moins, pour ne plus se rendre compte qu'on est insupportable.

 

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25/06/2018
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Nadine Chaboussie : Les affaires sont les affaires !

Comme vous le savez peut-être déjà, j’ai une cachette secrète dans laquelle j’aime me rendre pour réfléchir ou cogiter lorsque le monde autour de moi ne tourne pas comme j’aimerai qu’il tourne.

Il s’agit de la porcherie, vous l’avez sans doute deviné…

Me revoilà donc, une fois de plus, planquée dans mon endroit préféré.

A force de m'y rendre et pour que l’endroit soit un peu plus confortable, j’y ai posé un cageot à légumes vide, de forme ovale et évasé haut de 35 à 40 cm que j'ai retourné pour m'en faire un siège (Breveté Système D. Nadine).

Je n'ai pas fait de bêtises. Non, je suis là avec mon copain le cochon parce que le docteur de Stiring-Wendel est venu à la maison pour ausculter maman et qu’une ambulance a emmené un peu plus tard ma mère à l'hôpital de Forbach.

Je me suis cachée car je ne voulais pas voir ma mère partir à bord de ce véhicule car j’avais peur qu’en la voyant partir, ma maman chérie ne reviendrai plus jamais à la maison.  M’isoler dans la porcherie était ma façon d’exorciser cette hantise en essayant de ne pas regarder la triste réalité en face…

Mais la réalité nous rattrape toujours et Papa se retrouva ainsi seul et dût prendre quelques jours de congé pour s’occuper de nous et nous garder. Mais, comme le devoir à la mine l’appelait, il demanda à Madame Lepage (1), notre plus proche voisine si elle acceptait de nous prendre en charge, ma sœur et moi.

Bien évidemment cette bonne et serviable personne accepta spontanément de nous ‘adopter’ temporairement en attendant le retour de notre maman.

Me voilà donc attablée dans la cuisine de Mme Lepage en compagnie de ma sœur Barbara, de mon pote Roger, de sa sœur Liliane et de son petit frère Roland. Une véritable petite famille dans laquelle je me sentais comme chez moi.

Chaque jour, après son poste à la mine, papa partait travailler dans son champ, situé du côté allemand de la frontière, à Klarenthal (2) et nous apportait des cageots remplis de légumes frais par-dessus lesquels il rajoutait soit un poulet, un lapin, des saucisses fumées, du lard, ou quelques conserves de viande de porc qu’il prélevait sur notre réserve dans la cave.

A l’instar de Maman, Mme Lepage, qui utilisait les mêmes ingrédients, faisait également une très bonne cuisine, mais comme le disent souvent les enfants, la nourriture est toujours meilleure ailleurs et je mangeai de bon appétit tout ce que l’on mettait dans mon assiette.

Avant que maman ne soit hospitalisée, lorsque j'allais chercher mon copain Roger pour jouer aux billes, je n'avais jamais fait attention à l'aménagement et la décoration de leur baraque.

La cuisinière à charbon, le cosy, la table, le buffet de cuisine sur lequel était posé un petit carnet à spirale (3), les rideaux blancs en coton amidonnés, l'horloge/carillon accrochée au mur et les tapis représentant des cerfs, des biches et des faons dans la forêt cloués au-dessus du cosy étaient presque pareils que chez nous.

 

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Il y avait cependant une différence notable au niveau de la décoration.

Dans les familles d’origine polonaises, chaque pièce était décorée avec de nombreux cadres comportant des images  pieuses. 

Dans la cuisine on contemplait la Cène, dans les chambres c’était la Vierge Marie entourée d’anges tenant dans ses bras un petit Jésus souriant, la main posée sur son cœur…

Toutes ces belles images avaient des encadrements en plâtre sculpté richement peints couleur or, et longtemps, cette profusion de dorures m’ont fait croire que nous étions des gens riches…

 

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Mais laissons là mes rêves utopiques de richesse et revenons plutôt dans la petite cuisine de Mme Lepage.

Nous étions donc tous à table lorsque ma sœur annonça sans détours ne plus vouloir faire 2 fois par mois (à l'acompte et à la paie) les courses pour Mme Lepage dans la petite épicerie SAMER (4) de la cité. Quantitativement, ces achats représentaient à chaque fois un landau rempli de nourriture et Mme Lepage ‘rémunérait’ cette corvée avec la modique somme de 50 francs de l’époque.

Mme Lepage et moi-même lançâmes un regard interrogateur à Roger qui lui ne broncha pas. Flairant la bonne affaire, je me proposais pour prendre le relais ce que Mme Lepage accepta sans sourciller en proposant, à mon grand étonnement, de doubler la somme en m'offrant 100 franc par tournée…

J’avais remporté le marché ! Bien sûr, j'avais des listes de courses aussi longues qu'un jour sans pain, mais ça me plaisais de rendre service et bien entendu de gagner des sous.

Lors de ces emplettes, entre les bouteilles de vin et les produits de première nécessité tel que la farine, le sucre, l'huile etc. j'achetai à chaque visite également 2 camemberts très, très, mais alors TRÈS bien fait pour Monsieur Lepage. 

Ces derniers étaient d'ailleurs tellement avancés qu’ils étaient presque pourris et, en regardant sur le dessus de la croûte, on voyait même de petits vers qui bougeaient.

Beurk… Rien que l'apparence et l'odeur me donnaient à chaque fois un haut-le-cœur !

L'épicière réservait cette 'spécialité' invendable, dont elle était par ailleurs bien satisfaite de se débarrasser, à l'attention exclusive de M. Lepage qui adorait manger les camemberts au stade de la décomposition... Que voulez-vous, tous les goûts ne sont-ils pas dans la nature ?

Une fois ma livraison de marchandises faite, je récupérai mon dû et, avec ‘mes’ sous, je retournais à la SAMER.

L’épicière me voyant revenir savait déjà qu'elle allait devoir perdre du temps à compter 100 caramels mous ou 5 souris en chocolat à 5 francs + 5 Carambars également à 5 francs et 50 caramels mous... Bref, j'avais le sentiment qu'elle ne pouvait plus me voir !  

Si ma mémoire est bonne, je la voyais brune, petite, mince et peut-être même bossue (5) !

Je n'ai d’ailleurs jamais su son nom, je me contentai tout simplement d'aller 'acheter à la SAMER'.

Encore aujourd'hui, je garde un excellent souvenir de la famille Lepage, mes gentils et serviables voisins d'il y a plus de 60 ans. J'ai appris bien des années plus tard qu'ils avaient déménagé à Creutzwald et j’aimerai profiter de ce récit pour les remercier de nous avoir accueillis.

Je ne me rappelle plus combien de temps ma mère est restée à l'hôpital mais un beau jour en rentrant de l'école, j'eus l'immense joie de retrouver ma mère, en parfaite santé, debout dans la cuisine, occupée à nous préparer de délicieuses tranches de pain perdu accompagnées d'un succulent bol de chocolat chaud dont elle avait le secret…

Toute cette histoire me rappelle d'ailleurs un vieil adage qui résume parfaitement ce récit :

« Un foyer sans mère est un foyer sans âtre ».

Merci maman, merci mon Dieu.

 

(1) Lire le récit  "Roger Lepage mon compagnon de jeux"

(2) Idem lire :  "Le jardin de mon père"

(3) Pour en savoir plus, lire le récit  "Le petit carnet"

(4) Société Alimentaire de la Merle Et de la Rosselle.

(5) Peut-être que notre ami Joe Surowiecki s'en souvient ?

 

 

 

 

Pour lire les autres récits de Nadine, cliquez sur les titres : 

Mes voisins, la famille Heitzmann 

Roger Lepage, mon camarade de jeux 

Le dentier de Wicek 

Le commerçant juif polonais de Merlebach 

Le Bus ’Mode de Paris’ 

Mes années 60 

L’école et moi 

Petits souvenirs en vrac 

Le jardin de mon père 

Le bonheur est... dans la mare 

Visite du Général de Gaulle à Forbach 

Je cherche fortune...

La sale guerre 39-45

À bicyclette... 

 

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13/06/2018
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Clément Keller : Schoeneck, le beau coin (6)

Opa Adolphe - Mon premier vélo.

Adolphe, notre grand-père maternel, futur garde suisse à l’église du village, était un personnage instruit et croyant. Il était la preuve vivante que ces deux qualificatifs n’étaient pas forcément antagonistes comme certaines mauvaises langues auraient pu le prétendre.

Il possédait en outre, une autre qualité, il était facétieux et savait être moqueur, voire ironique, même vis à vis des enfants innocents et crédules que nous étions.

Anne-Marie, ma sœur cadette de 2 ans, en fit les frais un matin de printemps.

Au retour d’une promenade dans les champs et forêts environnants en compagnie de maman, Anne-Marie (Ami pour les intimes), exhibait fièrement à l'attention de grand-père, debout devant l’entrée de la cave de sa maison, un bouquet de fleurs cueillies au cours de la petite sortie familiale.

En bon grand-père il s’extasia pendant quelques instants sur la beauté et le doux parfum du bouquet, complimenta sa petite-fille pour son bon goût et la merveilleuse harmonie des couleurs de ces fleurs sans aucun doute parmi les plus belles du monde puis suggéra en souriant à la gamine d’en faire profiter également notre chèvre, vous savez, celle dont le lait a fait de moi cet enfant que grand-mère et maman considéraient comme étant un des plus beaux en ce bas monde…

Ay Ami, kumm, ma losse A mool die Gayss onn de Blume rieche… (1)

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Notre chèvre coulait des jours paisibles dans le pré situé derrière notre baraque et ce fut un jeu d'enfant d'aller à sa rencontre en empruntant le petit chemin qui y menait depuis la route. La chèvre vint vers nous en poussant des bêlements sonores pour nous faire part du plaisir que lui occasionnait notre visite impromptue... 

Grand-père prit Anne-Marie par la main et tous deux s'approchèrent de l'animal.

Dans un geste plein de tendresse et de douceur, Ami brandit fièrement son bouquet en direction des naseaux de ma pourvoyeuse en lait premier âge, laquelle, bien évidemment, profita de l’aubaine et escamota en une seule et rapide bouchée ce hors d'œuvre appétissant et gratuit pour lequel elle n'avait même pas besoin de se baisser...

Cela ne fit rire que grand-père et la chèvre.

Anne-Marie s’effondra en larmes, maman émit quelques réserves sur l’humour décalé de son géniteur et moi, je restais debout, la bouche grande ouverte, médusé devant cette scène aussi rapide qu’inattendue…

Grand-père était ainsi et, malgré son air sérieux voire sévère, il maîtrisait parfaitement l’art de se moquer gentiment des autres.

Dans les années 50, il n’y avait pratiquement pas de circulation dans notre rue qui s'appelait officiellement rue de la Ferme mais que les anciens du village appelaient la Linsegass (la ruelle des lentilles).

Seules quelques rares voitures, des mineurs partant ou revenant du travail à vélo et l'Autobus Federspiel passaient dans la rue étroite et ce, à une vitesse dont on ne peut que rêver aujourd'hui.

maison keller.jpg

 

La Linsegass dans les années 50

 

Je traversais souvent cette rue vers l'heure des repas pour aller 'renifler' dans les casseroles de ma marraine (la sœur de mon père, que grand-père avait épousée en secondes noces après le décès de son épouse, et qui cumulait de ce fait les fonctions de tante, grand-mère et marraine) afin de voir ce qu’elle préparait pour le déjeuner.

Ce jour-là, une odorante soupe mijotait dans une casserole émaillée posée au coin du feu et, lorsque Marraine souleva le couvercle pour me montrer en quoi allait consister leur repas de midi, je fus intrigué par la consistance mais surtout par la couleur de la mixture…

Willschdde die Supp koohre ? (2) demanda grand-père, le visage barré d’un large sourire…

Haitt Gebbs Choggola Supp ! (3)

De la soupe au chocolat… Même dans mes rêves les plus fous je n’aurais imaginé qu’un tel délice puisse exister !

Entre mes (déjà!) lointains biberons au lait de chèvre, les insipides bouillies de flocons d'avoine, les légumes au jambon moulinés de ma prime enfance et le pot-au-feu dominical, il me restait donc des choses insoupçonnées à découvrir dans le monde de la gastronomie et je me jetais avec avidité sur la petite assiette que grand-père m'avait servie dans la foulée.

Courte fut ma joie et je recrachais avec dégoût la première et seule cuillerée de cette bouillie qui n’avait, hélas, du chocolat que la couleur.

Grand-père, dans un nouvel accès d’humour toujours aussi décalé, avait réussi le tour de force de me faire croire qu’une soupe de lentilles était faite avec du chocolat ! (4)

Décidément, Opa Adolphe maniait avec maestria l’art de nous faire prendre les vessies pour des lanternes et il ne s’en privait que rarement… Es waa halt soo ! (5)

 

♦ ♦ ♦ ♦ ♦ ♦ ♦ ♦ ♦ ♦

 

Les jours, les semaines et les mois passaient et, en décembre 1952, je fêtais pour la première fois de ma vie (!) mon quatrième anniversaire.

Mis à part les cadeaux de friandises habituels et quelques petits jouets, papa m’annonça que le moment était venu d’avoir mon premier vélo mais qu’il me fallait patienter jusqu’au printemps car il était hors de question d’apprendre à rouler dans la neige et le verglas…

Ne sachant pas très bien à quel moment le printemps montrerait le bout de son nez, je me contentais de demander environ trois fois par semaine si c’était pour bientôt…

La réponse de maman et de Oma était toujours la même…

Muscht noch E bissie geduld honn… De Friling kummt ball… (6)

Et le petit Clémau attendit… attendit… attendit…

Arrivé à ce stade du récit et dans l’attente d’un printemps pas vraiment précoce cette année là, j’aimerai vous expliquer que papa a été un fervent disciple de l'achat en ligne.

Lorsque je dis en ligne, ce n’étais bien évidemment pas à l’aide d’un ordinateur et d’une carte bleue, ces merveilleux accessoires du commerce moderne n’existaient même pas sous forme de projets car la technologie de l’époque s’arrêtait au poste de TSF 3 gammes d'ondes (GO, PO et OC) (7) et à la lampe avec abat-jour montée sur poulie à ressort permettant l'ajustage en hauteur au-dessus de la table de cuisine.

Par contre, il existait un outil fantastique qui proposait à chaque famille française, à l’instar du Web actuel, d'avoir un Hypermarché à domicile. Cet accessoire incontournable du commerce moderne des années 50 s’appelait «Le catalogue Manufrance», un pavé de près de 1200 pages, proposant des milliers d'article allant du jardinage en passant par les armes, les cycles, les montres, les réveils et horloges, les jouets en tous genres jusqu'aux vêtements et sous-vêtements pour gardes-champêtres, chasseurs, sportifs, ainsi que les accessoires nécessaires à l'organisation de festivités communales... Ouf !

Véritable caverne d'Ali Baba ce catalogue pompeusement appelé Tarif Album était édité par la fameuse Manufacture d’armes et de cycles de Saint Etienne et expédié à plus d'un million et demi de clients potentiels dont Papa

 

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La page 'vélo d'enfants' du fameux catalogue Manufrance

 

Dans chacun de ces catalogues il y avait des bons de commande qu’il suffisait de remplir et d’envoyer par la Poste à Manufrance, Saint Etienne et, quelques semaines plus tard, le ou les articles volumineux arrivaient en gare de Forbach où il suffisait d’aller les récupérer au bureau du SERNAM, le Service National des Messageries…

Mais refermons cette parenthèse commerciale et revenons à ces premiers jours ensoleillés de mai 1953. 

Le printemps pointait le bout de son nez et j’attendais toujours mon vélo avec l’impatience d'un Fausto Coppi (8) signant un nouveau contrat de sponsoring quelques jours avant le départ du tour de France...

Mais, comme le dit le proverbe 'Avec du temps et de la patience, on vient à bout de tout', mon vélo, de marque Hirondelle (cette année-là, elle fit le printemps !), arriva en gare de Forbach un jeudi 7 mai de l’an de grâce 1953 et Papa partit à pied à travers la forêt pour aller le récupérer à la gare et le ramener, toujours à pied, à travers la même forêt.

Mon dieu qu’il était beau !

Je ne parle pas de Papa qui l'était aussi, mais de mon nouveau vélo bleu ciel avec sa jolie petite sacoche accrochée sous le guidon, ses deux mignonnes petite roues stabilisatrices à l’arrière et sa pompe en alu brillant fixée sous le cadre…

Mon cœur battait la chamade et je me sentis soudain beaucoup plus proche du monde des adultes car désormais je n’étais plus réduit à trottiner à petits pas dans un périmètre limité et je pressentais que j'allais bientôt pouvoir explorer de nouveaux horizons. 

Depuis ce mémorable 7 mai, date à marquer d'une pierre blanche, j’étais devenu 'mobile' et mon rayon d'action allait s'étendre bien au-delà de petite cour et du jardinet devant notre baraque. Clémau Libertad ! Telle serais désormais ma devise.

Papa finit de débarrasser le guidon et le cadre des restes d’emballage en carton attachés avec des bouts de ficelle et je pus enfin admirer cette merveille de la technologie française dans son intégrale beauté…

Je sentais confusément que nous allions vivre ensemble une longue et belle histoire d’amour... Tout le reste ne serait plus qu'une simple question d'équilibre ! A suivre… 

 

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1 an plus tard, je pose fièrement avec mon vélo 'Hirondelle' N°1 (Photo colorisée)

  

(1) Viens Ami, laisse également la chèvre sentir ton bouquet…

(2) Tu veux goûter la soupe ?

(3) Aujourd’hui, nous avons de la soupe au Chocolat…

(4) Est-ce la raison pour laquelle les anciens appelaient cette rue la 'Linsegass' (ruelle des lentilles) ? Mystère...

(5) C'était ainsi !

(6) Un peu de patience, le printemps arrive bientôt…

(7) Lire le récit  ’L’apprenti-sorcier’

(8) Le coureur cycliste italien Fausto Coppi a dominé le Tour 1952, avec cinq victoires d'étape et 28 minutes d'avance sur le belge Stan Ockers, second au classement général.

 

Tous les récits de la série "Schoeneck, le beau coin" :

(1) Présentation

(2) 5 Fruits & légumes

(3) Alléluia ! Il marche et il parle...

(4) Je vais ’recevoir’ une petite sœur

(5) A la découverte du monde

(6) Opa Adolphe - Mon premier vélo

(7) Être ou ne pas être... 

(8) Bientôt la rentrée ! 

(9) Premier jour de classe

(10) Independence day

(11) La pâte à modeler

(12) Vive les vacances !

(13) Billes, Roudoudous et Carambars 

 

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La Boutique en ligne Nostalgia dans Humour - TV

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Des plus récentes au plus anciennes... dans Dernières mises à jour

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Clément Keller : Schoeneck, le beau coin (11)

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10/05/2018
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