Clement Keller : L'apprenti sorcier
Nous sommes en 1959 et je vais bientôt fêter mes onze ans.
En ce temps là, le jeudi nous n’avions pas classe et, lorsque je n’avais rien de particulier à faire ou lorsque le temps ne permettait pas de jouer dans la forêt ou aux billes avec mes copains, j’allais passer mon temps chez Oma Rose, ma grand-mère paternelle.
Elle logeait dans une des pièces de la maison de mon grand-père maternel, Adolphe, qui était également garde-suisse à l’église du village.
Cette pièce était meublée d’une armoire, d’un lit, d’une table, de deux chaises et d’un petit poêle à charbon rond qui lui permettait de se chauffer pendant la saison froide.
Dans un des coins de la pièce, pas loin de la table de cuisine, trônait sur une étagère, un immense poste de radio à lampes qu’il fallait faire 'préchauffer' comme un four avant de capter une émission…
A l’époque, la télé n’existait pas encore chez les familles modestes, le journal, la radio et le papotage entre voisins lors des courses à l'épicerie étaient souvent les seuls liens avec le monde extérieur.
Le poste de radio de ma grand-mère était toujours réglé sur Radio Sarrebruck car, à l’instar de beaucoup d’anciens du village, Oma ne comprenait pas un traître mot de français.
Ce matin là, vers 11 heures, comme à son habitude, elle alluma sa radio pour suivre son émission préférée tout en préparant le repas de midi que je partageais souvent avec elle le jeudi. En général il fallait attendre une trentaine de seconde jusqu’à ce que les lampes ‘chauffent’ mais ce jour là, malgré plusieurs longues minutes, rien… Nix… Nada !
La bête semblait morte et grand-mère au bord du désespoir…
Très tôt, j’ai été attiré par tout ce qui était démontable, peut-être parce que papa avait eu l’idée lumineuse il y a quelques années de m’offrir une boite de Méccano pour Noël.
Pour être tout à fait honnête, je crois qu'il s’était fait ce cadeau à lui-même car j’avais seulement le droit d'utiliser cette boite de construction lorsqu’il avait fini d’expérimenter ses propres montages.
Bref, tout objet comportant des vis ou un couvercle aiguisait ma curiosité et je ne pouvais refréner ce besoin de savoir ce qu’il y avait derrière ou à l’intérieur de tout produit manufacturé plus ou moins démontable…
Comme grand-mère cédait en général à la plupart de mes caprices, elle accepta sans trop rechigner que je démonte l’appareil pour essayer de déterminer la raison de ce soudain mutisme.
Elle possédait un seul tournevis qui était toujours rangé au fond du tiroir intégré à la table de cuisine. Ce même tiroir contenait d’ailleurs plusieurs autres outils tels des couteaux, des fourchettes, une tenaille, un marteau, un tire-bouchon ainsi qu'une collection de très belles cuillères en tôle que j’utilisai également lorsque je m’adonnais à certains bricolages…
J’aimerais ouvrir ici une courte parenthèse pour vous parler de ces longues heures d'expérimentations diverses, toujours réalisées sur la table de cuisine chez grand-mère.
J'étais l'heureux possesseur d'un transformateur qui alimentait jadis un train électrique, offert à l’occasion d’un autre Noël de mon père, et j’utilisais ce transfo pour mener à bien mes bidouillages, en général liées à l’électricité, car j’avais vaguement entendu parler d’un certain Thomas Edison qui avait inventé, entre autres, l’ampoule électrique et avait, grâce à cette invention, rapidement fait fortune.
L’idée de faire fortune me plaisait assez et je m’étais mis en tête de fabriquer moi-même mes ampoules à l’aide de bouteilles de bière vides dans lesquelles j’engageais des filaments torsadés réalisés à partir de brins de câble électrique dénudés…
Ce que j’ignorais c’est qu’il était nécessaire de faire le vide dans l’ampoule, c’est à dire, dans mon cas, dans la bouteille de bière.
Dans la pratique, mon filament fabrication maison rougissait et fondait systématiquement sans jamais rien éclairer. Après environ 267 essais infructueux j’abandonnais définitivement cette idée pour me consacrer à des tâches plus nobles, toujours dans le but d’améliorer le bien être de l’humanité et pourquoi pas, de m'aider accessoirement à faire fortune.
Mais ceci est une autre histoire et je referme cette brève parenthèse.
Grand-mère m’aida donc à poser le lourd et volumineux poste de TSF (c’est comme ça qu’on appelait à l’époque ces grosses boîtes à musique) sur la table et, armé du tournevis et de mon seul courage, je dévissais une à une les 8 vis qui fixaient le couvercle à l'arrière de l’ébénisterie de la boîte à musique. Inutile de préciser que l’appareil était resté branché...
Pour la première fois dans ma jeune vie, je pus admirer les entrailles d’un récepteur radio et ma joie devait être à peu près la même que celle que ressentait un apprenti chirurgien qui voit pour la première fois l’intérieur du malade qui va succomber sur la table d'opération.
C’était joli à voir. Il y avait plein d’ampoules de toutes les tailles qui brillaient avec une belle couleur orange et plein de petits trucs ronds avec des fils qui sortaient de tous les cotés… Vissé contre le meuble de l’appareil, il y avait même un gros cylindre rond qui ressemblait à un chapeau en feutre comme en portait mon grand-père lorsqu’il allait à la messe le dimanche ou à Forbach avec l'autobus Federspiel pour aller acheter de nouvelles chaussures…
Je compris un peu plus tard que ce truc rond était ce qu’on appelait le ‘haut parleur’.
Mais revenons à nos moutons, ou plutôt à notre poste de TSF…
J’admirais silencieusement les entrailles de l’appareil, ne sachant pas très bien par où commencer l'opération 'dépannage', lorsque l’idée de tapoter un peu partout à l’aide de mon tournevis pour voir comment l’animal allait réagir, me traversa l’esprit…
Je tapotais donc sur les câbles, les trucs ronds, les trucs carrés, sur les lampes et sur plein d’autres machins de toutes les couleurs… Grand-mère me surveillait du coin de l’œil mais ne disait rien… Je continuais mon manège pendant quelques minutes et, à force de tapoter, il y eut soudain une étincelle et un grand claquement suivis d’un énorme ronflement et un flot tonitruant de musique emplit la petite cuisine !
Comme l’appareil ne fonctionnait pas, grand-mère avait poussé le volume au maximum et mon ‘tapotage’ avait déclenché un son tellement fort que j’en laissais tomber mon tournevis et grand-mère la grosse pomme de terre qu’elle était en train d’éplucher… Cette dernière roula aussitôt sous la table (la pomme de terre, évidemment, pas la grand-mère !)…
Je n’en revenais pas ! J’avais réparé la radio tout seul… Mon avenir était assuré car j’avais un don caché, comme Uri Geller, rappelez-vous, cet animateur télépathe Israélien doté de super pouvoirs qui réussissait par télékinésie à tordre les manches des fourchettes et des cuillères ou réparer les réveils cassés des téléspectateurs en direct à la télé...
Clément Geller (1), l’homme qui réparait des postes de TSF par simple tapotage et imposition des mains !
Je sentais confusément que de nouveaux horizons s'ouvraient à moi et je réalisais que mon futur métier ne pouvait se concevoir qu’au cœur du monde mystérieux des électrons.
Si j’en ai effectivement fait mon métier une dizaine d’années plus tard, c’est en grande partie grâce au poste de radio de ma grand-mère car, si ce dernier n’était pas tombé en panne ce jour là, j’aurai peut-être été fossoyeur, agent d’assurance ou pire encore… écrivain !
Il faut tout de même préciser que c’était de l’inconscience de démonter cet appareil et de bricoler à l’intérieur alors qu’il était encore sous tension…
Mais bon, qui ne risque rien n’a rien et mes chaussures avaient des semelles en crêpe (2) et de ce fait, je ne risquais pas l’électrocution… En tous cas, c’est ce que j’ai cru pendant des années !
Dans un prochain récit, je vous raconterai la fabrication de mon premier poste de radio et de certaines de mes expériences de chimie réalisées grâce à un coffret ‘Le petit chimiste’ que papa s’était offert pour un autre de mes Noëls…
Une nouvelle sacrée aventure à rebondissements multiples ! à suivre...
(1) Je sais, il y a un K mais dans le cas présent ça sonne mieux avec un G (**) !
(**) A l'attention de Chantal et des autres lectrices de sexe féminin : cela n'a bien entendu rien à voir avec le fameux point G du même nom !
(2) Comme il faut tout expliquer sur ce Blog, précisons qu'il ne s'agit pas des crêpes de la Chandeleur mais du crêpe, cet espèce de caoutchouc qui remplace le cuir des semelles !
Un diaporama de Schoeneck à l'époque des postes de TSF :
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