Clément Keller : Le retour des Brabeks (5)
Nous sommes en 2064 et des brouettes. Le monde a bien changé et une équipe composée de savants, de techniciens et de personnages hors du commun a été mise sur pied pour partir à bord du vaisseau C-DLADOB vers les confins de notre galaxie afin de retrouver les traces d'origine de la civilisation humaine localisée sur la planète Manflou.
Le but de cette expédition, sponsorisée par le groupe Nauss-Talgia, leader incontesté du Blog tri-dimensionnel L.R.E.M. (Lassant, Ringard, Enervant & Mytho), consiste à récupérer les gènes d'origine de l'espèce humaine afin de les réimplanter dans l'ADN des dirigeants de notre planète pour leur redonner sagesse, intelligence et un sens aigu de la réflexion.
Bref, une mission que l'on pourrait d'ores et déjà qualifier d'impossible. C. Keller
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Tifris était vert de rage en voyant les morceaux de son Ayfonne (1) flotter dans la cabine…
C’était le seul contact avec la terre car, pour des raisons évidentes de sécurité, toutes les communications émises par le vaisseau passaient par les circuits électroniques hyper protégés de ce néo-Smartphone qui cryptait chaque série de Bits en Octets déphasés et amphigouriques de niveau 3.
Il y avait bien un Ayfonne de secours à bord, mais ce dernier avait disparu suite à une chute accidentelle dans les toilettes aspirantes du vaisseau le jour où Bloc le Rek fut pris de coliques soudaines lors d’un briefing avec la base terrestre de Cheu-Nek.
- Et maintenant Triac ? On fait quoi ? On envoie des signaux de fumée pour communiquer avec le Grand Régisseur ? Vous avez des allumettes, du bois mouillé et une couverture sur vous ? Ou bien pensez-vous qu’un téléphone fabriqué à l'aide d'un fil tendu avec des gobelets de yaourt à chaque extrémité fera l’affaire ?
Triac était confus et ne savait que répondre… Lorsque le patron le vouvoyait ce n’était jamais bon signe. Il était conscient que la situation devenait critique car son geste maladroit risquait de mettre en péril, non seulement l’opération en elle même, mais également la vie de l'équipage et il se devait de trouver une solution crédible lui permettant de se racheter…
- Chef, vous savez que j’ai un diplôme d’électronicien en technologies alimentaire et que j'ai écrit un mémoire sur la construction et la mise au point des alimentations à découpage asynchrones rapportées au quotidien des peuplades primitives… Je vous promets de faire mon possible pour remettre votre Ayfonne en état, nous avons un important stock de pièces de rechange à bord… J’y arriverai, je m'y engage, c’est promis !
Tifris le dévisagea d’un air interrogateur, soupira longuement puis attrapa les débris qui voletaient autour de lui, les rassembla et les tendit à Triac avec un geste solennel…
- Faites tout ce qui est en votre pouvoir Triac, je compte sur vous, la vie de l’équipage est entre vos mains… Aléa Jacta Est (2) mon brave !
Le diplôme d'électronique orthorexique délivré par Frolande Ansoy à Triac en 2039
L’instant était empreint de solennité. Triac regarda Tifris droit dans les yeux, bomba fièrement le torse, lui serra longuement la main et dit simplement :
- Comptez sur moi mon bon Commandant, vous ne serez pas déçu, nous irons tous deux jacter à l’est et cet épisode malencontreux ne sera bientôt plus qu’un mauvais souvenir !
Au même moment, Chang-Tal, Ted Oupty et Luping, qui venaient de quitter la salle évènementielle, s’arrêtèrent à hauteur du Commandant et de son second.
Chang-Tal était en grande conversation avec Luping et le félicitait chaleureusement pour son départ au Jamboree de Trumpville et pour l’obtention de sa cabine de répétition en l’embrassant sur les deux joues pendant que son Ted, nonchalamment accoudé contre la paroi du vaisseau, jouait à Tetris 2065 sur sa vieille console de jeux des années 30… (3)
- Pas de problèmes Chang-Tal, je t’enverrai des photos du Jamboree et, à mon retour, tu pourras venir me voir dans ma nouvelle cabine, je te jouerai un solo de batterie étonnant dont tu me diras des nouvelles…
Chang-Tal acquiesça d’un mouvement de tête, récupéra Ted Oupty en le tirant par la manche, salua avec un sourire crispé Tifris et Triac et prit la direction de son cabinet.
Elle avait du pain sur la planche car elle s'était engagée à tricoter un nouveau string à mailles larges sur mesure pour Yves Abyen, le sien avait éclaté lors d'une séance de remise en forme dans la salle de sport pendant qu'il essayait de faire le grand écart. (4)
Elle avait également accumulé du retard dans les séances anti vieillissement qu'elle ne pouvait décemment plus remettre à une autre date, la demande était devenue beaucoup trop importante depuis quelques semaines. Un de ses plus fidèles clients, Vincent Douitche, devenait de plus en plus insistant prétextant qu'il avait déjà réservé 18 séances et qu'il les avait payées d'avance !
Bref, Chang-Tal avait du Taf par-dessus la tête...
Les silhouettes des deux amoureux disparurent au bout du couloir et Triac prit congé de son Chef avec une courbette gracieuse en promettant de s’occuper sans tarder de la remise en état de l’Ayfonne éclaté.
Il donna un léger coup de fouignasseur, évita soigneusement Tifris et se faufila en zigzaguant entre les derniers spectateurs qui quittaient la salle pour se diriger vers son atelier située au 3ème sous-sol du vaisseau spatial.
L'atelier électronique de Thierry Staur (Triac). Au premier plan, les composants essentiels
L’atelier dans lequel Triac expérimentait ses montages électroniques ressemblait à une caverne d’Ali Baba. Contre le mur, bien en vue, face à l’entrée était accroché à une ventouse gravitationnelle un cadre en bois d’arbre avec son diplôme d’électronicien alimentaire.
Le cadre était éclairé par en-dessous grâce à 3 spots directionnels changeant régulièrement de couleur.
Dans le local, s’entassaient pêle-mêle, des appareils de mesure, des circuits intégrés, des condensateurs au tantale et au mica, des côtes de bœuf, des transistors à jonction, PNP et NPN, quelques vieux Mos-Fet, des potentiomètres linéaires et logarithmiques, des côtes de bœuf, toute une gamme de résistances de précision, des tiroirs pleins à ras bords de circuit logiques, des selfs, des bobines à induction, des relais, des Eprom, des barrettes de Ram et même quelques côtes de bœuf qui traînaient çà et là…
Assis sur un tabouret pivotant, Triac avait complètement désossé l’Ayfonne afin de mettre à nu le fameux circuit de cryptage. Une énorme loupe à la main, il scrutait attentivement le circuit et repéra facilement le composant défectueux qui s’était brisé sous le choc. Il s’agissait d’un temporisateur de type NE 55555 (5) qui commandait l’oscillateur chargé de crypter les phonèmes…
Triac retourna puis vida tous les tiroirs, fouilla longuement dans les nombreux cartons ayant contenu des côtes de bœuf et qui servaient à stocker des pièces de rechange mais ne trouva pas l’ombre du moindre NE 55555 (6) …
Sans ce composant, impossible de faire fonctionner l’appareil et impossible dans ce cas d’entrer en communication avec la terre… Même la cabine de téléportation était connectée à travers le téléphone du Commandant et l’option d’envoyer un des membres d’équipage sur terre pour récupérer un nouvel appareil devenait de ce fait impossible.
Il fallait absolument trouver une solution et ce, le plus rapidement possible.
Pour l’instant, le vaisseau était en pilotage automatique mais les premiers signaux de correction de trajectoire ne tarderaient pas à être émis par la base de Cheu-Nek (7) et, si ces signaux n’étaient pas rapidement interprétés par l’ordinateur de bord, le vaisseau risquait de partir à la dérive et de se perdre corps et âmes dans l’infini de la Galaxie…
Triac était au bord du désespoir. Pour la première fois depuis l’embarquement l'envie de grignoter une des nombreuses côtes de bœuf qui flottaient autour des cartons lui manquait. Il n’était pas bien et avait même l’impression d’être fiévreux…
Une soif intense le tenaillait et il avait une irrépressible envie de prendre un café.
- La cafetière… Bon sang mais c'est bien sûr ! La reconnaissance vocale de la cafetière du poste de commandement était équipée du même circuit… On est sauvés !
Tifris sauta de joie en faisant un salto arrière, retomba presque sur ses pieds et, d’un jet magistral de son fouignasseur à réaction, traversa les couloirs du vaisseau comme une fusée pour débouler dans le poste de pilotage où le Commandant Tifris venait tout juste de s’assoupir pour faire une petite sieste bien méritée après les évènement de la journée…
Il n’eût pas le temps de s’allonger sur le hamac à maillage ventilé, Triac passa en trombe devant lui, se saisit de la cafetière en Gloutex et hurla :
- Je l’ai Commandant, je l’ai !
- Hein quoi ? Il a quoi ? Qu’est-ce qu’il fait avec ma cafetière ? Se dit Tifris surpris par cette rapide incursion de son second dans le poste de commandement… Seraient-ils tous devenus fous dans ce vaisseau ? S’il voulait un café il suffisait de le demander, pas besoin de chouraver le matériel pour autant…
Triac était de retour dans son atelier et démontait fébrilement le socle de la cafetière…
- NE 55555 ! Youpi ! Hourrah… Nous sommes sauvés, ce n’est plus qu’une question de minutes !
Triac avait vu juste, la cafetière était commandée vocalement à l’aide du même circuit et ce fut un jeu d’enfant pour lui de démonter le composant et de le mettre sur la carte de l’Ayfonne qui se mit aussitôt à chuinter et à grésiller…
L'Ayfonne du commandant Tifris avant et après la réparation effectuée par Triac
Il remonta le circuit dans la coque, recolla les différents morceaux à l’aide de scotch, vida le reste de café du bocal, s’enfila une énorme côte de bœuf qui traînait par hasard à côté de l’oscilloscope et poussa un profond soupir de soulagement… A suivre
(1) Il s’agit d’une réactualisation du premier Smartphone conçu en 1992 puis diffusé mondialement par la compagnie de la Pomme le 29 juin 2007. Le modèle utilisé à bord du vaisseau a été conçu par la Biden Electronics, la société qui a racheté en 2021 l’intégralité des actions Trumpcom Ltd.
(2) Le commandant Tifris parle couramment plusieurs langues mortes dont le latin moderne, l’hébreu paradoxal et le français médiéval anacoluthe.
(3) Bien évidemment 2030 et non 1930 !
(4) Un des passe-temps favori de Chang-Tal consiste à tricoter des strings en laine peignée sur mesure aux différents membres de l’équipage. A ce jour, elle en est à son 267ème essayage et à son 67ème jeu d’aiguilles à tricoter. Lors de ces tricotages, c’est Ted Oupty qui lui tient et lui déroule les pelotes de laine.
(5) Ce renvoi en bas de page ne sert strictement à rien, il permet seulement d’ajouter un 5 de plus à la référence du composant électronique !
(6) Vous voyez, là par exemple, ça ne marche pas !
(7) La base de Cheu-Nek, situé dans l’est de la province France est opérationnelle depuis la fermeture des bases de Kourou, Cap Canaveral et Baïkonour suite à l’épidémie mondiale de gastro-entérite spatiale dont l’origine semblait être le premier débarquement sur mars en 2045. Lors de cet 'amarsissage', à l’instar de Neil Armstrong qui fit les premiers pas de l’homme sur la lune, l'astronaute français Eusèbe Filochard prononça cette phrase historique : Hé les gars, là on est vraiment dans la m… !
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