NOSTALGIA, le Blog qui fait oublier les tracas

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Danielle Hofmann Grandmontagne : Le tango d'amour des frontaliers (5)

Entre temps, Annie va souvent avec ses deux enfants voir sa belle sœur Gertrude et sa fille Simone de l'autre côté de la ville. Mais, un jour, l'enfant est prise d'une toux terrible qui l'empêche de respirer.

Elle a beaucoup de glaires opaques dans la gorge, de la fièvre et elle a les extrémités et les lèvres bleutées. Annie est affolée...

Le médecin militaire diagnostique une angine de Vincent, le croup sous sa forme grave, semblable à la diphtérie. Un engin à chenilles vient chercher l'enfant et l'emmène à l'hôpital militaire. Heureusement, la petite fille guérit très vite.

Annie a pu s'acheter un harmonica et joue des chansons pour les enfants, en mélangeant le répertoire allemand et français. Danielle a droit à un peigne et du papier fin pour faire de la musique. Il y aurait bien les disques « Pathé », « la Voix de son maître », avec les œuvres de Maurice Chevalier, Tino Rossi, Joséphine Baker, Yvonne Printemps ou encore des opéras et opérettes, mais un tourne-disque coûte très cher. Alors Annie chante « Le pays du sourire » même sans notes.

Annie, qui est devenue Française par le mariage, reçoit souvent la visite désagréable de personnages en civil à l'aspect sévère. La France est sous le gouvernement de Vichy et ses fonctionnaires lui posent mille questions sur ses origines, sa raison d'être à Rabat, ses amis ou connaissances. En fait, sans le dire clairement, ils la surveillent en pensant qu'elle pourrait être une espionne.

Annie se demande qui la soupçonne : le gouvernement de Vichy ou les Allemands ?

Et pour quelles raisons ? Souvent, au cours de l'histoire, les pauvres frontaliers seront soumis à ce genre d'épreuves. Il y aura aussi « Les Malgré Nous », ces français enrôlés de force par l'Allemagne parce que les frontières ont bougé. Et les Sarrois qui devront parler français quand à nouveau les limites territoriales auront glissés.

Un tango linguistique et culturel qui favorise l'amour charnel et les naissances des vrais Européens.

La cavalerie française au Levant

En 1936, Daniel est au 30ème régiment de Dragons à Rémilly, groupe « Hautcoeur ».

Sur une photo, les soldats ont tous une pose décontractée, à part Daniel, droit comme un I, calot posé avec art sur la tête, pas un pli dans la vareuse, ceinturon parfait.

Déjà, c'est la tendance à la perfection, le sens de l'image, de la représentation, du respect total de l'armée et de ses valeurs. « Servitude et Grandeur militaire » d'Alfred de Vigny, sera un des livres qu'il emmène partout. La devise qu'il fera sienne sera «mon premier devoir est de me conforter au règlement ».

Puis, son  régiment embarque sur le Champollion  pour le Levant. Avec enthousiasme, il rejoint les cabines sur le bateau. Les soldats n'emportent pas grand-chose dans leur paquetage à part les vêtements de rechange, quelques photos et livres.

Quand la sirène mugit, annonçant le départ, il est profondément ému. C'est la grande aventure, la découverte de pays lointains chargés d'histoires orientales. 

Il n'est pas seul, il est avec tous ses amis et camarades qui forment la grande famille de l'armée. Un de ses meilleurs amis, Rheinhold, est alsacien. Ce prénom a d'ailleurs toute la saveur des Français frontaliers. Quand, ils débarquent, happés par la chaleur sous leur lourd barda, ils s'émerveillent devant l'atmosphère pittoresque de ce port oriental; les arabes en djellaba avec le chèche enroulé sur la tête qui s'apostrophent dans un langage guttural inconnu, les charrettes à bras, les ânes, les mulets, les mouettes, des tonnes de bagages enveloppés dans de la toile, l'odeur d'huile et de poisson mélangés, les camions militaires qui les attendent.

Des campagnes, des voyages à travers la Palestine, la Syrie, le Liban, la Jordanie.

Un parcours semblable à celui de Lawrence d'Arabie, avec cette passion pour le désert, l'immensité dans le silence du sable, la fierté du peuple arabe et des rêves de justice.

La France administre l’état de Syrie, l’état des Alaouites, l’état des Druzes.

La Syrie n'est pas une colonie française, elle est sous mandat de la SDN, c'est à dire de la Société des Nations.

De ce fait, le régiment fait partie des troupes françaises de SyrieLe Liban est également sous mandat français. Les cartes postales qu'il envoie à Annie racontent son périple, les paysages, les monuments, la culture qu'il découvre.

 

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Découverte des pays du Moyen-Orient

A Beyrouth

A partir de novembre 1936, les troupes françaises du Levant sont stationnées à Beyrouth. Daniel envoie de longues lettres et des cartes postales qui reflètent le charme envoûtant de cette ville. Il prononcera toute sa vie : « à Beyirouth », comme là-bas, plein d'une nostalgie qui ne le quittera plus. Même à l'aube de la vieillesse, il chantera encore, la main sur la joue, l'appel à la prière de la mosquée, se souvenant de la paix du soir au Levant, lorsque la chaleur doucement fait place à la brise légère qui vient de la mer.

Beyrouth est une ville fascinante qui réunit l'antiquité et la modernité sans perdre son identité de ville arabe. Crée 5.000 ans avant J.C. par les Phéniciens, elle tient son nom du mot « puits » en hébreu. Plus tard, elle fera partie de l'Empire Romain et des édifices somptueux consacrés aux Dieux seront construits au Liban.

Sous le mandat français, la ville offre une vie agréable, relativement calme. On la compare même à un petit Paris. L'hôtel Saint Georges, sur la corniche de Beyrouth, bordée par la Méditerranée, a une superbe piscine qui fait le bonheur de Daniel. En face, se situent deux îlots calcaires, les rochers de Raouché, qui abritent la grotte aux pigeons.

Au sommet, une plate-forme, à 21 mètres de hauteur, en bas des rochers dans la mer : Daniel, courageux ou téméraire, exécute des plongeons en double saltos devant ses compagnons médusés !

Le reste du temps, en dehors des manœuvres, il monte son cheval barbe arabe, visite les vieux quartiers, les marchés, les souks ou prend un café place des Martyrs avec ses amis du régiment. Il écoute les chants de la merveilleuse Oum Kalthoum, voix de l'Orient interprétant des titres qui le font penser à sa fiancée, en France : « Réjouis-toi, ô mon cœur »« Je presse le temps tant j'aspire à te voir »« Ô mon cœur, demain est le jour du départ ». Ses missions sont secrètes, il n'en parle jamais dans ses lettres, ni de sa vie au régiment.

Baalbeck au Liban

En 1937, passionné d'histoire, Daniel découvre, dans la plaine de la Bekaa, cette ville construite, il y a 5000 ans par les Phéniciens. Baalbeck tient son nom de Baal, dieu de la force productrice des Cananéens, Assyriens et Phéniciens.

Achab, roi d'Israël, adorait Baal que l'on peut comparer un peu avec Râ, le dieu soleil des Egyptiens, mais qui lui n'exigeait pas de sacrifices humains. Il est consternant de constater que l'homme ait pu imaginer que Dieu exigeait du sang, des sacrifices humains comme cadeaux. Dans de nombreuses civilisations antiques à travers les continents, des Mayas, des Phéniciens en passant par Abraham, on offrait des prisonniers de guerre, des jeunes filles ou des premiers-nés.

Au Levant, à partir d'Isaac, on offrit des animaux.

Les ruines de Baalbeck sont particulièrement impressionnantes. D'abord, parce qu'il y plusieurs temples construits par les Romains, dont le plus beau, est celui de Jupiter. 62 mètres de long, 51 mètres de larges dont les imposantes colonnes dorées par le soleil, rejoignent presque la voûte céleste. Dans le silence de la plaine ensablée, cet édifice monumental dégage un sentiment de paix mêlée à l'éternité.

 

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Damas et Alep en Syrie

La grande Syrie était l'Assyrie. La ville fut fondée au IVème millénaire avant J.C.

Une voie ferroviaire relie Beyrouth à Damas. Le régiment chargea les chevaux et les hommes avec tout le barda dans de vieux wagons et la locomotive à vapeur siffla longuement avant de tirer lentement le lourd chargement  à travers le désert.

Dans la chaleur et la poussière, Daniel songeait à son bonheur de connaître une nouvelle aventure. C'était la guerre, mais dans son esprit, et peut-être aussi sa jeunesse, il ignorait le danger. Il devait séjourner longtemps à Damas, la ville du jasmin et de la rose. Il put visiter à loisir, les somptueux monuments et les ruines de la cité.

Le temple de Zeus, le Palais Azem, Bab Sharqi, une des portes de la ville fortifiée. Saint Paul vécut ici, c'est là qu'il reçut l'illumination, la révélation chrétienne d'où « le chemin de Damas ». On voit encore l'endroit où il s'est enfuit dans un panier de joncs tressés, descendu à l'aide cordes hors des remparts. Daniel s'étonna aussi de découvrir le tombeau de Jean-Baptiste à la mosquée des Omeyyades, où musulmans et chrétiens prient côte à côte le même Saint.

Au souk El-Atik, il découvrit les merveilleux brocards tramés d'or, les objets damasquinés, c'est à dire incrustés de fils de métaux précieux, les tissus et nappes de Damas, étoffes tissés représentant des motifs en surbrillance, les poignards courbes dans leur étuis de cuir sculptés, les bracelets, boucles d'oreilles et colliers aux motifs orientaux en or pur ou en argent.

Il goûta  aux plats forts épicés de coriandre et piment, vendus dans les échoppes, se régala de loukoums et halva. En fait, il était militaire, mais se passionnait pour l'histoire et la culture des villes où le menait son périple.

 

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Alep est la 3ème plus grande ville de l'Empire Ottoman. Le régiment est stationné en partie dans la citadelle, palais médiéval qui date du XIII ème siècle. Daniel étudie l'histoire de l'empire aleppin, des hittites. Il visite le vieil Alep et sa Grande Mosquée, les caravansérails, lieux d'échanges de marchandises en provenance de Mésopotamie, des bords de l'Euphrate et de la Mer Noire. Saladin a vécu ici au XII ème siècle.

Dans les bazars voûtés, il admire des trésors antiques venus de Mésopotamie, des bijoux ciselés, des pierres précieuses, de riches étoffes. Il va dans les madrasas (les universités coraniques) découvrir les murs sculptés, écouter les chants pour mieux comprendre ses soldats arabes dont certains deviendront ses amis.

Quand, il part en mission, seul Européen avec un bataillon de cavaliers arabes, il dort à l'écart, sous sa tente avec sa meute de sloughis, lévriers d'orient, pistolet sous la tête et sabre au clair.

Il emporte son tourne-disque à manivelle et écoute le disque Pathé, le seul qu'il possède, qui envoie dans le désert, inlassablement, le « Boléro de Ravel ». Romantique, il goûte la saveur du désert et sa relative solitude qui l'amène à méditer. Un jour, il dira : « la définition du colonialisme, c'est, par exemple, de gros capitalistes qui disent envoyer des chaussures en Afrique, mais en réalité, ils n'envoient que les pieds gauches, pour les obliger à échanger leurs ressources contre les pieds droits». En route, ils chassent quelques gazelles pour améliorer les repas de la troupe.

Daniel tombe amoureux de l'Orient, des villes de garnisons chargées d'histoire où il séjourne. Sa passion de l'Orient ne le quittera plus et à la veille de sa mort, alors que sa vareuse de militaire avait été couverte d'insignes de gloire pour ses valeureux combats, qu'il avait reçu des mains du Président Chirac, la Légion d'honneur pour son action concernant l'amitié franco-allemande lorsqu'il était directeur de la Foire Internationale de la Sarre, la Saarmesse, il dira que ses années dans la cavalerie  étaient les plus belles de sa vie...

Le golfe d'Aqaba

Le golfe d'aqaba faisait partie du royaume du roi Salomon. De nombreuses ruines témoignent de l'histoire des Nabatéens. Le djebel rose et gris entoure le Ouadi Araba qui aboutit à la mer morte. L'escadron du Régiment des  Spahis Marocains stationne en 1938 à Aqaba au fort. Les Spahis sous son ordre ont surnommé Daniel « Djebel Kébir », ce qui veut dire Grandmontagne en arabe...

L'escadron fait parfois un succulent méchoui, à la broche, ou enterré, cuit sur un feu de branchages pendant quatre heures, que l'on ne doit manger qu'avec la main droite, la gauche étant impure, car utilisée pour les toilettes. Daniel parle à présent parfaitement l'arabe et dans sa tenue, saroual, le pantalon bouffant, chèche enroulé avec tout l'art de la tradition, il est devenu l'un des leurs.

L'armée française se divise en troupes « Vichystes » et « Gaullistes ». Daniel est heureux de se battre au Levant, car ainsi, il ne risque pas de tirer sur ses frères, ni sur ses copains frontaliers enrôlés dans l'armée allemande.

L'un de ses frères se bat en Suède, les autres en Russie sous les ordres d'Hitler.

Willy, à dix-huit ans, aura les doigts de pieds gelés en Russie et sera amputé. Ses frères ne sont pas des militaires de profession, ce sont de très jeunes gens arrachés à leur famille pour servir de chair à canons selon les décisions d'Hitler.

Daniel est un soldat modèle, il a juré fidélité à son drapeau et obéit aux ordres de ses supérieurs. Pour lui, De Gaulle, est un militaire qui est contre les ordres du gouvernement et vit en Angleterre sans se battre. Dans le désert, sans radio, isolé, proche de la nature et sous le sens de l'honneur inculqué par l'armée, on ne se pose pas trop de questions, on obéit à ses supérieurs.

Plus tard, chaque pays écrira son histoire à la sauce qui l'arrange. D'ailleurs, il est à la fois grave et risible de constater que les enfants indigènes des pays colonisés ou sous mandat français apprennent que leurs ancêtres étaient les Gaulois !

 

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Les sources du Jourdain

Les Spahis sont envoyés aux sources du Jourdain en Palestine. Les Anglais et le Commonwealth se battent contre les Vichystes, ce qui explique la présence des Australiens. L'escadron de Spahis de Daniel coupe la source du Jourdain pour les priver d'eau.

Des pourparlers sont en cours pour « donner » la Palestine aux Juifs immigrés à cause d'Hitler. Les Palestiniens commencent la Grande Révolte Arabe pour conserver leurs terres et arrêter l'exode sioniste, mais ils n'auront pas la victoire. Les grandes puissances sont souvent à l'origine des conflits futurs car elles décident des frontières et du sort des habitants sans tenir compte ni de leur avis, ni de leur histoire. Les mêmes dessineront les frontières des pays d'Afrique sans tenir compte des ethnies ni de leur culture. En fait, ces grandes puissances seront à l'origine d'horribles guerres tribales.

 

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La fin de la guerre :

Le régiment part occuper l'Allemagne

Le régiment de Spahis est muté à Rastatt, près de Baden-Baden, en Allemagne.

La troupe embarque avec les chevaux d'abord sur le bateau, puis en train, avec les wagons à bestiaux. Un long voyage épuisant, surtout pour les chevaux.

Les familles de militaires suivent le régiment, à part. Comme d'habitude, on n'emmène que le strict nécessaire dans de lourdes cantines et les landaus et poussettes. Mères et enfants embarquent dans de gros bombardiers et s'installent sur les bancs le long de la carlingue, une rangée de chaque côté. Evidemment, il faut tenir la poussette d'une main ferme, car c'est un avion fait pour le combat et il y a de nombreux soubresauts pendant le vol...  A suivre...

 

 

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Lire les autres chapitres de ce récit : 

Le tango d’amour des frontaliers (1) (2) (3) (4)

 

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09/05/2022

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