NOSTALGIA le Blog qui fait oublier les tracas

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Clément Keller : Une matinée ordinaire

Richard, un des personnages clés de l'histoire, est à l'époque un adolescent de 16 ans qui vient de finir son apprentissage de mineur et travaille, comme la majorité des jeunes de son âge, au fond d'un des nombreux puits de charbon de la région.

Pur produit d'un environnement familial désastreux, le gamin est à la recherche de son identité. Mal à l'aise, complexé et avide d'horizons nouveaux, Richard ressent le besoin impétueux de fuir ce microcosme marginalisé dans lequel il se sent étouffer.

Il va essayer, avec les faibles moyens que le destin  met à sa disposition, de s'extraire du cloaque dans lequel sa famille et les adultes qui gravitent autour de lui se sont enfoncés.

La cité de baraques, havre radieux et fleuri de toute une génération d'immigrés de la première heure, s'est transformée au fil des années en un ghetto sordide et malsain dans lequel ne vivent plus que quelques dizaines de familles marginalisées difficilement intégrables.

 

Richard posa la bougie allumée sur la table et prit place sur une des chaises dépareillées qui meublaient, avec le buffet en Formica, la petite cuisine. Il faisait encore froid en ce début du mois de mars et, comme bien souvent, le feu dans la cuisinière à charbon était éteint.

L'adolescent poussa un bref soupir, s'étira de tout son long en baillant et son regard encore ensommeillé s’arrêta sur le journal chiffonné de la veille abandonné parmi les bouteilles de bière vides qui jonchaient la table…

La soirée de son Fritz de père a dû être une fois de plus longue et alcoolisée, se dit-il, en tendant la main pour s’emparer du journal.

Pourtant tout avait bien commencé. Le Robert était venu en compagnie du Gautier, un de leurs voisins, en début d'après-midi rendre visite au Fritz pour papoter et boire un canon à la santé des dangereux déséquilibrés qui se lèvent tous les matin pour aller bosser alors que c'est tellement plus marrant de pouvoir faire la fête en buvant un coup entre potes...

Depuis sa chambre, Richard les entendait échanger des plaisanteries douteuse et leurs rires gras et sonores faisaient trembler les minces cloisons de la baraque.

Les choses dégénérèrent un peu plus tard quand le Robert, déjà passablement éméché, fit une remarque désobligeante au Fritz en mettant en doute ses capacités de mécanicien arguant du fait que la Terrot qu'il avait réparé quelques semaines plus tôt était une fois de plus en panne. Le Gautier en rajouta une couche en émettant l'hypothèse qu'on ne confie pas sa moto à un pochtron notoire sans savoir s'il est à jeun et que la prochaine fois il ferait mieux d'aller chez quelqu'un qui s'y connaissait vraiment !

Le Fritz, également à moitié bourré, hurlait de plus en plus fort et criait qu'ils n'avaient qu'à aller boire la bière chez celui qui allait leur réparer la moto et que de toutes façons, la prochaine fois il les enverrait paître eux et leur saloperie de bécane pourrie...   

Richard sentant vaguement que la réunion allait tourner au vinaigre, décida de quitter les lieux pour aller passer l'après-midi chez son pote le Clémau qui habitait à l'entrée du village et possédait une guitare... Valait mieux écouter de la musique et chanter que de rester en compagnie de cette bande de poivrots.

Il rentra tard dans la soirée. Le Robert et le Gautier étaient partis, le Fritz était déjà couché et le désordre dans la cuisine prouvait bien que la rencontre avait été mouvementée.

Il se cala sur son siège, déplia le quotidien et commença la lecture à la lumière vacillante de la bougie qui jetait des ombres fantomatiques sur les murs en planches...

Le Républicain Lorrain, jeudi, 8 mars 1962...

Les avatars de monsieur Subito... Il survola du regard la bande dessinée, esquissa un sourire, s'arrêta un instant sur la dernière image lorsque son regard fut attiré par le programme du cinéma UT à Stiring-Wendel, une ville, avec Forbach, proche de la Ferme de Schoeneck...

Rocco et ses frères...

Le titre du film lui rappelait une des familles italiennes de la cité, les Galetti dont un des fils, Mario, avait le même âge que lui..

Mario et ses douze frères et sœurs… Peut-être que dans ce film avec le jeune Alain Delon, la Mama allait également acheter le pain à la boulangerie avec une brouette comme la mère Galetti lorsqu’elle revenait du dépôt de pain du Milich Matz (1)

 

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Cette idée saugrenue le laissa songeur. Il aurait bien voulu aller voir ce film dimanche après-midi avec ses copains mais ne savait pas encore si sa mère allait pouvoir lui donner son argent de poche pour la semaine.

Samedi dernier elle lui avait donné une pièce de cinq francs, mais l'avait reprise le dimanche matin pour aller acheter des canettes de bière chez l’épicier Muller car le Fritz, tournait nerveusement en rond dans la baraque et emmerdait tout son monde parce qu'il était en manque d'alcool...

Bien qu'il travaillait et remettait l'intégralité de sa paie à ses parents, Richard n'avait que rarement de l'argent de poche.

L'alcool et les frasques de son géniteur épuisaient rapidement les finances familiales et son maigre salaire était parfois le seul revenu car le Fritz était passé maître dans l'art d'esquiver le travail sous toutes ses formes. (2)

Richard aimait aller au cinéma. Cette distraction relativement bon marché lui donnait moyennant quelques francs l'occasion de s'évader de ce quotidien triste et grisâtre dans lequel il se sentait prisonnier et sans le moindre espoir de pouvoir s'évader.

Le cinéma lui permettait de rêver d'un monde en couleur où les rêves les plus fous devenaient réalité pendant quelques heures…

A l’instar de la plupart des adolescents de l'époque, ses préférences allaient vers les films dans lesquels jouaient de jeunes acteurs tels James Dean ou Elvis Presley, les idoles cinématographiques des Teenagers des années 60...

Il avait vu deux fois La  fureur de vivre sorti en 1955 et s'était entièrement identifié au héros du film, incarné par l'acteur James Dean.

Ce dernier était jeune, beau, charismatique et incarnait l'idéal de toute une génération d’adolescents en mal d'identité. 

Richard avait l'impression de se reconnaître à travers ce personnage révolté mais plein de tendresse et de spontanéité. Elvis Presley incarnait également tout ce qu'il aurait tant voulu être lui-même, chanteur, jeune, riche, beau et surtout, admiré et adulé par la gente féminine...

À part sa jeunesse et peut-être un certain charme un peu rustique, Richard était loin de l’image de ces idoles que sa génération encensait.

Ne possédant ni vélo ni mobylette, c’est à pied, à travers la forêt qui longeait la carrière de sable exploitée par les houillères, qu’il allait le samedi soir ou le dimanche après-midi retrouver ses copains de la mine devant le cinéma U.T. ou Apollo de Stiring.

Il aimait s’abreuver à cette fontaine de l'illusion en cinémascope et les films projetés dans ces salles obscures, même s’ils dataient parfois, lui remontaient le moral et lui donnaient le courage d’affronter les lendemains sinistres et désolants qui se succédaient entre sa cité de baraques et son travail de forçat au fond des puits de charbon…

Richard continuait à survoler les pages du journal et esquissa un autre sourire en pensant à cette famille voisine qui avait tapissé, faute de papier peint, tous les murs de la baraque avec de vieux journaux. Chez eux au moins il y avait de la lecture toute l'année...

Il tourna la page et continua sa lecture.

-  Prix du kilo d'or fin : 5545 francs...

Voilà une information intéressante ! A raison d'un salaire mensuel de mineur de charbon débutant d’environ trois cent francs, un kilo du métal précieux représentait...

Il fit un rapide et approximatif calcul, cela représentait l'équivalent de presque un an et demi de travail à creuser le charbon et à pousser des berlines en se faisant engueuler par des chefs qui en demandaient toujours plus !

Il laissa pendant un moment son esprit vagabonder et s’imagina travaillant au fond d'une mine d'or en Afrique du sud. Là-bas, il ne ramperait pas dans la boue et la poussière noire et n’aurait plus jamais froid…

Bien sûr, il ignorait tout des conditions de travail en Afrique qui étaient pires que celles qu'il connaissait au puits Simon, mais sa soif de richesse et d'aventure le faisait rêver et il avait tendance à idéaliser tout ce qui était susceptible de lui faire gagner rapidement et facilement beaucoup d'argent...

Il se voyait déjà, ramenant dans sa musette de grosses et lourdes pépites scintillantes qu’il pourrait ensuite échanger contre d’épaisses liasses de dollars dans une banque où le directeur l’accueillerait en lui serrant longuement la main et lui donnant du « Monsieur Richard » gros comme le bras...

Après quelques mois de ce travail facile, il aurait fait fortune et reviendrait en vacances à la Ferme dans une grosse voiture américaine comme celles que conduisaient ses idoles du moment...

Tous les copains seraient stupéfaits et lui, grand seigneur, les inviterait à tour de rôle à l'accompagner faire le tour de la cité dans sa Cadillac rouge flambant neuve... 

Pendant un instant, il imagina le visage ahuri de ses amis et le regard envieux qu’ils jetteraient sur son costume sur mesure, sa chemise à jabot en soie, ses bottines de style Beatles et les sièges plein cuir de sa limousine… Ensuite, dans un élan de générosité spontanée, il leur distribuerait des liasses de dollars à tour de bras !

Richard aimait faire de sa vie un rêve et de ses rêves une réalité...

Un nouveau  frisson secoua son corps et le fit brusquement revenir à la case départ.

Il faisait toujours aussi froid et il était toujours assis dans la cuisine de cette baraque pourrie à lire le journal à la lumière blafarde d’une bougie.

La réalité du moment était toute autre, il fallait revenir sur terre et oublier tous ces rêves dorés et motorisés pour revenir à son triste quotidien…

Ce 8 mars 1962, les mines d’or d’Afrique du sud et les Cadillac rouges n’étaient pas encore à l’ordre du jour.

Dans la chambre à coté de la cuisine les ronflements alcoolisés et les borborygmes émis par le Fritz qui cuvait sa cuite le ramenèrent rapidement à la triste réalité…

Il avait encore du pain sur la planche avant d’être multimillionnaire… 

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Richard était complètement réveillé maintenant. Il rajusta ses vêtements, récupéra son bougeoir puis se dirigea à nouveau vers la cuisine.

Il s'approcha de l'évier et ouvrit largement le robinet en laiton. Pas la moindre goutte d'eau n'en sortit. Il poussa un  juron et se rappela que son geste machinal d'ouvrir le robinet ne servait plus à rien car l'eau avait été coupée depuis quelques jours dans la cité.

- Bientôt on nous démontera le toit au-dessus de la tête pendant notre sommeil, se dit-il en serrant les dents. Il sortit la cuvette galvanisée de l'étagère que cachait le rideau accroché au bord de l'évier et transvasa à l'aide de la louche le fond d'eau qui restait dans un des seaux posés dans le coin de la pièce.

Vu le froid ambiant, ça suffisait largement pour faire un semblant de toilette.

- Quand je pense qu'il y a des gens qui ont l'eau chaude et le chauffage central, se dit-il en plongeant le visage dans la cuvette. Je crois que j'ai dû naître au mauvais moment dans la mauvaise famille !

Le froid vif et l'eau glacée n'incitaient pas à de longues ablutions. Il se contenta de passer un peu d'eau sur son visage et ses mains puis décrocha une serviette en tissu rêche et à la propreté douteuse du clou planté au-dessus de l’amas de seaux et des gamelles et s’essuya rapidement.

Il regarda les récipients vides et soupira. A son retour du poste cet après-midi, non seulement il faudra qu’il aille voler du charbon (3) sur le crassier pour allumer le feu, mais il devra également aller puiser à la pompe, située à quelques centaines de mètres de sa baraque, la provision quotidienne d'eau potable.

Richard haïssait cette corvée qu’il jugeait dégradante. Il détestait se promener à travers les ruelles de la cité en tirant cette carriole brinquebalante chargée de seaux, de bidons et de gamelles car il avait l'impression que la terre entière le suivait du regard et se moquait de lui.

Sa plus grande crainte était de croiser un jour quelqu’un qui le connaissait et qui ne savait pas qu’il habitait ici, au cœur de ce bidonville qui portait si bien son nom…

L’heure avançait et l’adolescent se dépêcha de mettre son unique pantalon à peu près neuf, un Levi's, un vrai (4), avec son étiquette en cuir, qui faisait toute sa fierté.

Acheté aux Stocks Américains à Forbach avec l'argent de poche laborieusement économisé durant les six derniers mois, il l'avait longuement délavé dans une bassine d'eau additionnée de Javel afin qu'il ressemblât le plus possible à ceux portés par les Cow-Boys galopant sur leur monture à travers les grands espaces de l'ouest sauvage américain.

Il enfila ensuite le pull-over à carreaux que lui avait offert l'année dernière son oncle Eddy et se baissa pour mettre ses chaussures.

La vieille paire de godasses était en triste état, mais il n'avait pas les moyens de s'en acheter d’autres dans l'immédiat.

- Elles feront bien encore quelques semaines, se dit-il en nouant les lacets effilochés et raidis par le froid.

Il se dirigea vers la porte donnant sur l’extérieur, prit au passage le blouson posé sur le dos de la chaise, l'enfila, souffla la bougie, ouvrit la porte sans faire de bruit et quitta le baraquement...

Il traversa d'un pas rapide le jardinet qui donnait directement sur la rue et parcourut du regard le décor de désolation qui s'offrait à sa vue...

Cette année-là, le printemps avait du retard à l’allumage, la neige s’était tardivement remise à tomber et quelques flocons épars scintillaient dans la lumière jaunâtre des lampadaires qui éclairaient les ruelles désertes de la cité.

Dans le halo de la lumière, les formes floues des baraquements se découpaient sur un fond de forêt embrumée.

Çà et là, quelques carreaux de fenêtres éclairés témoignaient du lever d'autres ouvriers des houillères qui comme lui, partaient pour le poste du matin.

- S'il neige c'est qu'il va faire moins froid, pensât-il en se dirigeant d’un pas assuré vers la mare (5).

Derrière la place attendraient certainement déjà ses copain Henri et son frère Wolfgang.

Il y avait également Mohamed, un jeune Algérien, (Kabyle précisait-il fièrement !), arrivé depuis peu avec sa famille dans la cité et qui avait trouvé rapidement de l’embauche à la mine.

Richard traversa la place à la hauteur de la maison des Savran et se dirigea vers la rue principale.

Tous les mineurs du poste de matin se retrouvaient dans cette rue qui débouchait sur la départementale 32. Un raccourci à travers la forêt, longeant le château d’eau menait ensuite vers la Halte Schoeneck, la gare des houillères où les ouvriers prenaient le train qui allait les emmener vers les différents puits. 

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Devant lui marchaient en silence deux voisins plus âgés qui habitaient le bas de sa rue. Même démarche, mêmes vêtements, même musette, même casquette, même paie, même façon de parler, pensa-t-il en les voyant, ce sont tous des clones du pays du charbon...

Ils répondirent avec un grommellement vague au Gluck auf ! (6) qu'il leur lança lorsqu'il les dépassa.

Pas bavards ce matin les vieux, se dit-il en se retournant pour leur jeter un dernier regard, ils ont certainement mal dormi comme moi, ou alors fait trop trico-traco (7) avec leur femme cette nuit...

Lui aussi pensait parfois à trico-traco et à la petite rouquine, la Jacqueline qui aimait bien qu'il s'occupât d'elle. Il se rappelait de ces soirées de tendresse volées l'été dernier, à l'époque où il faisait son timide apprentissage d'homme…

La Jacqueline était leur professeur des choses de l'amour dans la cité et, maintenant qu'il repensait à tous ces petits instants de bonheur qui égayaient son quotidien, il se sentait soudain moins seul et moins désemparé et avait même l'impression étrange qu'il faisait soudain moins froid...

- Tiens, pour une fois les frangins ne s’engueulent pas, se dit-il lorsqu'il vit Wolfgang et son frère Henri marcher paisiblement l'un à coté de l'autre sans dire un mot.

- Mais qu'est-ce qu'ils ont tous ce matin ? C'est le froid qui les rend si tristes et taciturnes ?

Il salua d'une poignée de main les deux amis qui restèrent muets et impassibles.

Derrière eux, le sifflement caractéristique de Mohamed leur fît tourner la tête.

Ils aperçurent au coin d’une des ruelles la silhouette filiforme de leur ami Maghrébin qui courait à perdre haleine dans leur direction en faisant de grands gestes avec ses bras.

- Hé les gars, attendez-moi… Je viens avec vous, j’ai eu du mal à me réveiller ce matin !

Le quotidien de Mohamed (8) n’était pas facile non plus et son père lui menait la vie dure mais bizarrement, il était toujours de bonne humeur le matin.

Arrivé à la hauteur du groupe, il esquissa quelques pas de Twist et se mit aussitôt à chanter son air favori du moment, une chanson de Claude François :

 

Je n'suis sans doute pas très vieux...

Mais je connais l'amour...

Quand une fille te rend malheureux...

Ne pleure pas tous les jours...  

Si tu veux qu'elle te voie
Et qu'elle s'attache à toi
Si tu veux qu'elle ne soit
Vraiment rien qu'à toi

Dis-lui que tu l'aimes à la folie
Dis-lui que tu l'aimeras pour la vie
Dis-lui, dis-lui, oh dis-lui, oui dis-le-lui. 

 

Richard regarda Mohamed en souriant. Il ignorait si son copain avait déjà fait son apprentissage pratique des choses de l'amour avec la Jacqueline, mais il savait que la seule fille qui aurait pu le rendre heureux habitait le village, s'appelait Madeleine, était blonde comme les blés et que la passion que le fier Kabyle lui vouait n'avait pas de limites... 

Mohamed aurait donné sa vie pour la blonde Madeleine. Malheureusement, la belle était restée inaccessible.

Bien sûr, il ne ménageait pas ses efforts pour essayer d'attirer l'attention sur lui et faisait tout ce qui était en son pouvoir pour se faire remarquer quand il descendait au village pour entrevoir l'élue de son cœur.

Il revêtait alors son costume à carreaux couleur bleu pétrole, un modèle que son père, vendeur de vêtements sur les marchés de la région, n'avait pas réussi à vendre, chaussait sa paire de souliers en daim verdâtre puis passait un bon quart d'heure devant la glace ébréchée accrochée au-dessus du lavabo de sa cuisine pour essayer de coiffer ses cheveux courts et frisés à la mode des Beatles.

Mohamed ne se rendait pas compte de l’image décalée dans le temps que reflétait le miroir.

Il était le seul de la bande à se balader vêtu d'un costume à carreaux alors que tous les autres se promenaient en Blue-Jeans, en blouson et, lorsque leur trésorerie le permettait, chaussés de bottines à talonnettes.

Au village quand elle le rencontrait au hasard d'une promenade, la belle Madeleine se contentait de le  saluer gentiment et de lui jeter un regard doux et attendrissant.

Ce simple regard bouleversait Mohamed et son cœur s’emplissait aussitôt d’une chaleur apaisante qui le rendait heureux et plein d’espoir pendant le reste de la semaine.

Il était alors sur son petit nuage et le monde en dessous de lui pouvait s’écrouler, il n’y avait plus que le sourire de sa Madeleine qui lui importait…

 

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En attendant, la neige tombait de plus en plus dru et les quatre adolescents se recroquevillèrent dans leurs vêtements.

Ils étaient maintenant arrivés à hauteur du chemin forestier qui débouchait à coté du château d'eau.

Ce raccourci étroit et sinueux à travers les bois rejoignait la Départementale 32 qui menait vers Forbach et leur faisait gagner tous les matins quelques centaines de mètres.

Le sentier débouchait environ cinq cents mètres plus loin à coté du château d'eau, près des premiers baraquements de la Halte de Schoeneck.

On avait nommé ce groupe de baraques situé à coté du passage à niveau ainsi car les trains de mineurs faisaient halte à cet endroit pour ramasser les ouvriers et les emmener vers les différents puits de mine de la région.

Lorsque le groupe arriva près de la voie ferrée, le train était à l’arrêt et les wagons déjà bondés.

A l'intérieur, assis sur les bancs en bois sales et poisseux, les employés des bureaux, reconnaissables à leur costume et à leur chemise blanche, parfois même ornée d'une cravate, somnolaient à côté des ouvriers vêtus de leur blouson et coiffés de leur casquette.

Sur le quai baigné par la vapeur qui s’échappait de la machine, ceux qui arrivaient saluaient les collègues déjà présents d'un sonore Glück Auf !

Richard avait entendu un jour les anciens raconter que les Houillères du Bassin de Lorraine avaient rassemblé des familles d'origines tellement lointaines et  disparates qu'ils parlaient jusqu'à vingt-cinq langues et dialectes différents.

Ici sur ce quai, jeune ou vieux, français ou étranger, ils se sentaient tous égaux au moment de partir pour la descente dans l'antichambre de l'enfer qu'étaient ces mines de charbon traîtres et poussiéreuses.

Richard et ses amis sautèrent à leur tour dans les wagons bondés et restèrent debout près de la porte.

Le train était tellement plein que les derniers arrivants se tenaient à l'extérieur, dans le froid, debout sur les marchepieds des wagons.

Les places assises sur les dures banquettes de bois étaient obligatoirement réservées aux anciens et aucun des jeunes mineurs n'aurait transgressé cette règle de savoir-vivre établie depuis des générations dans le monde des ouvriers du charbon.

Quelques minutes plus tard, le lourd convoi s'ébranlait en haletant et en gémissant dans un bruit de sifflet et de ferraille.

Crachant de la vapeur par tous ses orifices il emportait sous la neige qui continuait à tomber cette marée humaine qui marcherait dans quelques minutes dans les entrailles de la terre avec des lumières scintillantes sur la tête.

Encore une matinée ordinaire... se dit Richard en fermant pendant un instant ses yeux encore alourdis par le manque de sommeil… Fin du chapitre. 

 

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(1) Milich Matz, de son vrai nom Reuland était le gérant d’une minuscule laiterie-dépôt de pain installée dans les cagibis du baraquement dans lequel habitait la famille de notre ami Joe Surowiecki, auteur de plusieurs récits présentés dans ce Blog.

(2) Lire les récits  Bière qui coule n’amasse pas mousse et Les rois de la mécanique.

(3) Lire le récit ‘Le voleur de charbon’

(4) Lire le récit ‘Spoutnick Pajalousta ?’

(5) Lire le récit de Nadine Chaboussie  ‘Le bonheur est dans… la mare !’

(6) Gluck auf ! est le salut en ‘Platt’ (patois local) du mineur dans la Moselle de charbon.  Il signifie ‘Bonne chance’, sous-entendu ‘remonte vivant’.

(7) Inutile d’expliquer, vous avez compris…

(8) Lire le récit ‘Mohamed’

 

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04/01/2019

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