NOSTALGIA le Blog qui fait oublier les tracas

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Danielle Hofmann Grandmontagne : le vieux tirailleur sénégalais

C'était en 1979. J'avais bien économisé pour m'offrir des vacances au Sénégal, voir Dakar, rencontrer ces gens que j'avais découvert autrefois dans les deux gros volumes encyclopédiques de mon enfance : « La France d'Outre-Mer » édités en 1949.

Deux gros livres, reliés de cuir vert, 850 pages, très lourds, que je regardais sur la table de la cuisine à Senlis, en écoutant les trompettes du régiment de cavalerie de mon père, espérant y retrouver l'atmosphère de Rabat où je suis née.

Des images, des photos, d'immenses cartes géographiques dépliables, des informations sur le climat, la végétation, l'alimentation, les animaux, les maisons ou huttes, les vêtements traditionnels ou la nudité, les langues multiples, les cultures, les ethnies, les coutumes, la politique de la grande France, présente partout dans le monde, un peu comme l'Empire Britannique, en moins large ! De quoi alimenter l'imagination d'un enfant de sept ans et surtout la base d'une grande passion : la découverte d'autres civilisations et façons de penser.

Dans l'avion qui avait commencé son atterrissage, j'écarquillais les yeux pour voir un baobab, des villages de huttes exotiques, toutes ces merveilles dont j'avais tant rêvé.

En sortant de l'avion, je fus happée par une intense chaleur et une luminosité féerique.

J'étais venue seule pour ne pas être influencée par des commentaires, pour découvrir à mon seul rythme et mes impressions personnelles une partie de ce continent qui me fascinait.

Dans le bus qui m'emmenait à M'Bour, au village de vacances, j'admirais les murs des toute petites maisons en pisé, peintes aux couleurs de l'arc en ciel, surtout dans les tons de bleu et turquoise, avec des dessins représentant des formes géométriques ou des animaux de style naïf.

Des femmes traversaient les rues, éblouissantes de lumière dans leurs boubous, portant des bassines sur la tête, une expression de bonheur simple parfait dans le regard.

J'étais innocente, naïve, l'Afrique pour moi, c'était simplement le pays où je suis née, ma patrie de cœur.

 

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J'arrivais avec un superbe chapeau colonial trouvé chez un antiquaire qui avait dû appartenir d'ailleurs à Stanley ou Livingstone, j'en étais presque sûre. Robe kaki  qui mettait mes boucles blondes en valeur, je me faisais mon cinéma. A l'arrivée au village de vacances, nous fûmes répartis dans de jolies cases aux toits de chaume, un lit en bois, une moustiquaire, douche et w.-c., une armoire peinte, j'étais ravie.

Au bar, à l'accueil, une noix de coco avec paille et les premiers mots de sénégalais :

« Nan'gadef ! » Bonjour ! avec un grand sourire qui découvrait des dents blanches étincelantes. Et des fleurs « pour la jolie blonde ! ».

Le soir, des buffets gourmands avec de grosses langoustes que les vacanciers allemands délaissaient à mon grand bonheur. Je ne me nourrissais que de fruits de mer et noix de cocos ou mangues.

A la plage, je restais au bord de la mer, car l'atlantique envoyait de gros rouleaux de vagues dont je me méfiais ; j'allais nager dans la piscine sous les palmiers.

J'avais emmené une œuvre de Léopold Sendar Senghor, président du Sénégal et homme de lettres que j'aimais beaucoup. Un livre sur la négritude qui représente les valeurs et la culture du continent africain. J'ai toujours beaucoup apprécié les œuvres des auteurs africains de langue française car ils ont un talent extraordinaire pour traduire la poésie et le langage imagé de leur culture.

Le 17 juillet, jour de mon anniversaire, je décidais d'organiser une fête à la plage.

Je commandais des spécialités sénégalaises. J'avais engagé une troupe de danseurs avec musiciens et tambours et un griot jouant de la kora, sorte de guitare africaine.

J'invitais quelques amis parmi les vacanciers, des gens du personnel de l'hôtel et un libanais et son ami gambien du village voisin. Je voulais que ma fête soit multiculturelle.

A la plage, sur un tableau, j'avais écrit « Bienvenue » en ouolof, en allemand, en italien, en anglais, en français.

Les chants, les danses, les tam-tams, la cuisine épicée, le vin de palme pour la couleur locale contribuèrent à une ambiance extraordinaire de simplicité et fraternité.

C'est à ce moment, qu'un jeune homme vêtu d'une djellaba blanche, vint vers moi, me dit qu'il était « très honoré » par mon invitation et m'offrit un pendentif en argent représentant la croix du Sud. J'étais émue aux larmes, car il ne possédait pas grand-chose et me comblait de toute sa richesse. Refuser l'aurait blessé, alors je le serrais très fort dans mes bras et demandait au joueur de kora de créer une chanson sur cet événement.

En Afrique, autrefois, il n'y avait pas de livres. C'était le griot avec sa kora qui transmettait l'histoire orale des généalogies, événements, faits et armes de l'ethnie.

Je demandais à mon généreux donateur son nom et celui de son village.

- « PA », pas du Sénégal, mais de Gambie » répondit-il, mais qu'il ne pouvait y aller souvent, le voyage étant cher. C'était l'occasion de lui marquer ma reconnaissance, alors je lui annonçais que nous irions ensemble rendre visite à ses valeureux parents en Gambie, s'il le voulait bien.

Je décidais donc de faire cette excursion en Gambie pour découvrir ce peuple débordant de gentillesse.

Deux jours, plus tard, avec deux couples d'amis du village de vacances, on louait un Dodge-taxi-brousse pour aller là-bas. A M'Bour, Pa monta à bord. La savane défilait sur les bords de la route. J'étais un peu déçue qu'il n'y ait pas de grands animaux sauvages, girafes ou éléphants, mais ce n'est pas la région. De temps à autre, on voyait des vautours, une aigrette ou un phacochère.

J'étais heureuse chaque fois que l'on traversait un petit village de cases aux murs de pisé, colorés. On traversa le fleuve Saloum et bientôt on arriva à Messira où l'on devait prendre le ferry pour aller en Gambie, un tout petit pays enclavé dans le Sénégal.

C'est alors que je l'ai vu ; le vieux Tirailleur Sénégalais, là sur le port, près de la place du marché. Il n'avait qu'une jambe et un grand bâton pour le soutenir, mais une superbe très vieille vareuse militaire pleine de médailles militaires!

J'ai laissé mes amis attendre près du Dodge l'embarquement et suis allée vers lui.

En souriant, il m'a demandée si j'étais française.

 

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Émue, je lui ai dit que j'avais vu toutes ses décorations militaires de loin et que je voulais le remercier d'avoir combattu pour la France, pour ma vie.

Il me raconta la guerre, ses faits d'armes pour lesquels il avait reçu ses médailles, Paris, Lyon, Marseille, les villes qu'il avait traversé, ses amis de régiment et puis aussi que malheureusement sa retraite militaire française au Sénégal était bien moindre que celle des combattants de l'armée en France.

J'étais gênée pour mon pays ; cet homme n'avait plus qu'une jambe et il portait avec gloire et honneur les vestiges de son uniforme, alors que la France l'avait laissé tomber.

J'imaginais les cimetières militaires français où reposent des Sénégalais. Je l'invitais à déjeuner sur le port. C'est à ce moment que retentit la sirène du bateau.

Alors, je lui donnais un gros billet en l'embrassant, le remerciais encore et lui demandais d'aller manger en pensant que j'étais avec lui.

En courant, essoufflée, je montais sur le ferry pour rejoindre mes amis...

 

 

Fascinée, je regardais les vieilles carcasses de navires rouillés qui encombraient la rade tandis que le bateau s'éloignait du port.

Une demi-heure plus tard, nous étions à Bathurst, capitale de la Gambie.

On débarqua le 4/4 Dodge et on reprit la route vers le village de Pa.

En Afrique, on n'offre pas de fleurs, mais on fait des cadeaux au chef du village.

Nous avions emmené deux sacs de mil, du sucre et du tabac en vrac. En arrivant, suivant le code de la politesse locale, nous sommes allés présenter nos hommages au chef et lui offrir nos cadeaux.

C'était un village de cases, loin dans la brousse et les gens étaient assis sur la terre battue, certains sur des nattes, d'autres à même le sol. Deux femmes aux seins nus pilaient le mil et le chef était entouré de ses femmes dont une gamine allongée qui gémissait. Je demandais si elle était malade, si on pouvait faire quelque chose.

- Non, non, elle a seulement ses règles...

Le vieux chef nous remercia pour les cadeaux et nous invita à manger avec eux.

Mes amis allemands étaient un peu paniqués par le manque d'hygiène, mais je leur expliquai que ce serait un affront de refuser. On nous fit asseoir sur des billots de bois et une des femmes nous apporta de la bouillie dans une calebasse de courge séchée et une cuillère en bois.

Il nous offrit aussi de la bière de mil. J'étouffais mon fou-rire et je n'expliquais pas à mes amis allemands que les femmes crachent dans le liquide pour la fermentation.

Poliment ils mangèrent un peu et burent juste une gorgée de cette boisson dangereuse par son haut degré d'alcool.

La nuit était venue, le griot chantait en s'accompagnant de la kora, les tam-tams résonnaient, quand tout à coup, un petit garçon d'environ sept ans s'approcha de moi avec un tout petit morceau de papier d'emballage marron et un crayon de deux centimètres de long et me dit en anglais :

- Please, Mama, give me your adress ! 

En Afrique, par tradition, chaque femme est une maman pour les enfants.

Bien sûr, j'écrivais mon adresse et notais la sienne dans mon carnet. Cela a été le début d'une grande amitié et nous avons correspondu jusqu'à son âge adulte, puis les courriers se sont perdus car il était dans un autre pays d'Afrique. Il courait tous les jours quatre heures pour aller à l'école, et la même chose au retour.

Je lui envoyait des livres en anglais, un ballon de foot, une pompe pour le gonfler et un short à l'effigie de Franz Beckenbauer, un champion allemand. Studieux, il a pu aller au lycée et devenir conducteur d'engins. En Gambie, nous n'avons jamais eu de problèmes avec la poste, mes colis sont toujours arrivés. 

J'ai été la Mama d'un petit garçon africain...

 

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28/08/2020

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