Danielle Hofmann Grandmontagne : Ma dette envers Doudou
C'était l'hiver. Il neigeait sur la Lorraine.
Par la baie vitrée du salon, je regardais la tour des ruines du château-fort qui émergeait au-dessus des arbres sans feuilles de la colline, leurs branches tordues se découpant sur un ciel gris parsemé de quelques traces roses.
Je rêvais d'Afrique, de chaleur, de soleil, de liberté, de couleurs éclatantes, de grands rires tonitruants, de l'odeur de la brousse, de la forêt vierge, de la douceur des roses de porcelaine dans ma main, des quelques jours passés à Abidjan chez mon amie Solange.
Je cherchais un ami, un animal exotique pour retrouver un peu l'Afrique.
A l'époque, on pouvait encore acheter un animal exotique, singe, perroquet ou varan avec « papiers ».
On me présenta un jeune chimpanzé « avec papiers d'identité », habillé en matelot, dont les gens voulaient se séparer. A la vue de ce cousin, tourné en dérision, mon cœur se serra et, sachant que je ne pourrais plus lui rendre sa liberté dans son pays natal, que je ne pouvais plus rien faire pour lui, je refusais cette responsabilité. Je cherchais un animal qui serait heureux avec moi, « loin de ses prédateurs ».
J'allais me renseigner dans une animalerie. On me présenta un perroquet gris du Gabon avec papiers, ce qui devait me donner « bonne conscience ».
Des papiers ? Une facture d'achat dans une animalerie qui ne donnait ni son origine, ni son âge, ni aucune autre information. Il avait un cercle de fer au pied, avec un numéro, comme un bagnard.
Mais, même avec papiers, c'est un crime d'acheter un animal sauvage, non seulement pour sa souffrance hors de son milieu naturel, mais, en plus, parce que c'est une porte ouverte aux trafics d'animaux. A l'époque, j'étais parfaitement inconsciente de mon acte.
Je l'appelais Doudou, à cause de la chanson : « Ma Doudou est partie, tout là-bas, au pays où il fait toujours froid ». J'achetais la plus grande cage.
Doudou était un jeune perroquet très intelligent et doux. J'étais étonnée qu'il puisse y avoir tant d'intelligence dans une si petite tête. Naïve, sotte même, j'ignorais ce qu'il avait enduré avant d'arriver à Forbach. Je ne savais pas que pour un perroquet vendu, quatre-vingt étaient morts, soit au moment de la capture au filet dans la forêt (arrêt cardiaque), soit des suites des blessures ou durant le transport.
Doudou m'accepta et devint mon ami. Il apprit à s'exprimer dans ma langue, alors que personne n'a jamais appris à parler le langage des perroquets.
Le matin, en me voyant, il disait : « Bonjour Maman, alors le gamin ? ».
Je lui appris à faire des baisers bruyants sur ma bouche, à dire plusieurs phrases et, lui-même décida de rouspéter en entendant la sonnette d'un client venant trop tard, d'un tonitruant ; « Merde alors, encore un ! ».
Pour les besoins de la photo nous avons ressuscité Doudou !
Dès le début, Doudou savait ouvrir sa cage. Je dus lui mettre un cadenas dans la journée en lui disant que je devais gagner notre croûte à tous les deux, qu'il devait rester dans la cage le jour et sortir le soir. Il savait l'heure, à 19.00 pile, il criait : « ouvre ! ».
Je lui mettais son échelle et il descendait avec bec et pattes. Sur le sol, il se baladait en se dandinant entre le bureau et l'appartement, laissant parfois une fiente sur un document, ce qui me faisait rire ! Quand, il en avait assez, il retournait tout seul dans sa cage pour dormir. Le vétérinaire m'avait dit de lui rogner les ailes d'un côté pour le déséquilibrer, qu’il ne puisse pas voler. Bien sûr, je ne l'ai pas fait.
Par contre, il eut des problèmes avec son bec qui avait poussé de telle sorte qu'il lui était devenu difficile de s'alimenter. Le vétérinaire m'a expliqué qu'il devait lui couper un bout du bec parce qu'il n'avait pas les branches nécessaires pour l'user de même que les ongles de ses pattes. Je fus horrifiée de récupérer mon Doudou endormi, dans une boite en carton, des traces de sang sur sa serviette blanche : « Cela n'est pas grave, cela guérit tout seul » me dit le vétérinaire.
La cuisine lui était interdite, à cause des plaques de cuisson. Je mis des rideaux à toutes les fenêtres pour qu'il ne se cogne pas contre les vitres. J'essayais de penser « perroquet ». Quand je devais m'absenter quelques heures, je payais une baby-sitter chargée de lui faire la conversation, de le distraire.
Parfois, je surprenais son regard rêveur, un peu triste, surtout à l'automne, quand je ne pouvais plus mettre sa grande cage sur la terrasse. Comme je l'aimais tant, j'essayais de comprendre sa mélancolie. Je me mis à acheter des ouvrages sur le trafic des animaux sauvages et, peu à peu, je fus envahie de remords. Je me rappelais qu'un jour en Centre-Afrique, j'avais acheté des tableaux en ailes de papillons « pour soutenir le travail artisanal des populations locales » !
Honteuse, je ne savais plus que faire pour réparer mes fautes. J'envisageais d'emmener Doudou en Afrique pour lui rendre sa liberté dans sa forêt natale. Mais, le vétérinaire me dit qu'il ne survivrait pas un jour, que c'était trop tard, qu'il ne pourrait plus s'adapter.
Un après-midi d'hiver, alors que lui donnais sa légère douche tiède dans la baignoire, Doudou poussa un cri et resta inanimé. Affolée, incapable de conduire, j'appelais un taxi pour me conduire chez le vétérinaire.
En larmes, j'essayais de réchauffer le petit corps sans vie, enveloppé dans une serviette, que je tenais dans mes bras. Il n'y avait plus rien à faire ? Le vétérinaire tenta de me consoler en me disant qu'il avait une tumeur, qu'il valait mieux qu'il soit parti ainsi plutôt que de souffrir longtemps.
En pleurant, j'allais chez le fleuriste acheter les plus belles fleurs exotiques pour en tapisser la petite boîte qui lui servit de cercueil, avant de l'enterrer sous un arbre.
Tout à coup, j'avais la conscience à vif : c'était moi qui avais tué Doudou et 79 autres perroquets, par mon ignorance, mon égoïsme, mon amour des bêtes mal compris.
Doudou est parti sans rien dire, sans rien demander. Tout doux, il a dit « Bonjour Maman ! Alors le gamin ? » le matin et puis vers le soir, il a fermé la porte de sa vie.
Il n'était plus qu'un petit cadavre couvert de larmes, j'avais perdu mon ami.
Il m'avait comblé de joie, d'amour, de gentillesse et moi, je lui avais pris sa forêt, sa vie heureuse de perroquet dans la nature avec ses congénéraires pour en faire un pauvre prisonnier.
Cela fait bientôt trente ans que Doudou est parti, mais il est toujours dans mon cœur et c'est pour lui que j'écris ces lignes, pour que son histoire aide peut-être à sauver d'autres animaux. Je soutiens le WWF, l'IFAW, la SPA, Green Peace.
Je milite à mon niveau pour la protection et le respect des animaux.
Dans les magasins, j'explique aux gens l'horreur des poulets de batterie, des œufs de pauvres poules, les pattes atrophiées, suppliciées pour quelques centimes d'économie.
Puisse mon témoignage servir la cause des animaux !
Ces pages devraient également vous intéresser :
Extraits de l'ouvrage "Les couleurs du passé" Tome 2 dans Clément Keller - Récits
La Ferme de Schoeneck années 50-60
Les récits envoyés par nos ami(e)s dans Nos ami(e)s racontent...
Les catastrophes minières dans le bassin houiller lorrain
La Boutique en ligne Nostalgia dans Humour - TV
Des plus récentes au plus anciennes... dans Dernières mises à jour
Bienvenue dans le livre d'or Nostalgia !
Anthologie, un voyage musical dans le temps dans Anthologie-Blues du charbon
La Lorraine et le Platt dans Menu culture régionale
Clément Keller : sous le signe du poisson
Clément Keller : Schoeneck, le beau coin (11)
Schoeneck de A à Z (Cliquez sur la rubrique choisie) dans Schoeneck de A à Z
La Halte Schoeneck et la cité du Bruch à Forbach
Blek le Roc - Miki dans Blek le roc - Miki
Souvenirs du bassin houiller... dans Menu général
Que les moins de 20 ans... dans Je vous parle d'un temps...
Les derniers commentaires de nos visiteurs :
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 218 autres membres