Vincent Lambert : Histoire de facteur
Histoire du facteur…que j’ai été pendant les étés 63 et 64…
Les retraités du privé touchaient leurs retraites de la CRAV par mandat-lettre, qui comme son nom le dit était dans une enveloppe et distribuée par le facteur. Normalement le ou la retraitée allait à la poste pour encaisser sa retraite Comme à Schoeneck il n'y avait pas de bureau de poste, le facteur ouvrait l'enveloppe "devant" le retraité et emmenait le mandat lettre à Stiring pour l'inscrire sur un bordereau.
Le lendemain il revenait avec les mandats et l’argent, faisait signer les retraités, payait leurs dus, et souvent, encaissait un pourboire.
Avec une cinquantaine de mandats par jour, il n'était pas question de "siroter" tout ce qu'on nous proposait : il fallait garder les idées claires, surtout qu'on avait déjà un coup à boire dans chacun des 7 bistrots de Schoeneck.
Ce jour-là, je sors donc d’un de ces bistrots chez « Mockche » après avoir bu mon dernier demi.
Quand on avait fini de payer retraites, pensions et autres mandats, arrivait l’heure du bilan : à l’époque, chaque facteur avait une trousse (comme celle des écoliers mais plus haute) où il mettait toutes les pièces de monnaie : un fond de roulement et le pourboire.
Donc on commençait par faire des tas de 10, puis des rouleaux qu’on allait échanger au guichet contre des billets.
Et je peux vous le dire qu’à l’époque cela valait le coup, notre facteur Joseph, titulaire de la tournée de Schoeneck s’était payé à l’époque une voiture « Dyna Panhard », grâce à ses pourboires qui n’étaient pas imposables.
J’avais fait mon calcul sur les 2 mois d’été : j’étais payé environ 400 Francs par mois et je m’étais fait dans les 650 Francs tous les mois de pourboires.
Papa gagnait à la mine à l’époque environ 1100 Francs, c’est vous dire que les pourboires comptaient énormément pour les facteurs, et ça l’administration le savait, pour ne pas augmenter trop les salaires des facteurs.
Les mineurs touchaient leurs payes et les acomptes en espèces dans des enveloppes et cela provoquait souvent des drames dans les familles frappées par l’alcool et bien souvent, une partie de l’argent du ménage partait dans le bistrot de Berrard Pierlé, à Stiring.
Heureusement, le progrès passa par là. Fin des années 60, la CRAV opéra un 1er changement dans le support de paiement des retraites : le « mandat lettre » payable à La Poste était remplacé par une « lettre CRAV » payables à La Poste, à la Caisse d’Epargne écureuil et au Crédit mutuel. C’était le prélude à un changement beaucoup plus important pour tout règlement de retraites, pensions, salaires : le « virement sur un compte ». Beaucoup de personnes âgées ouvraient des comptes d’épargne pour y faire virer leurs retraites.
Le plus rigolo, c’était que les personnes se pressaient le 1er jour du mois pour venir retirer leur virement et ce jusqu’au dernier centime, sauf que sur le compte d’épargne il fallait laisser 5 Francs, minimum pour qu'il reste ouvert. Certains laissaient tout de même encore une piécette de temps à autre au guichetier. Ensuite, la CANSSM passa aussi au virement sur les comptes, ce qui occasionna un certain manque à gagner pour les facteurs.
Puis les gens se sont habitués au système et retiraient des sommes rondes au fil du temps et alimentaient ainsi leur « nouveau bas de laine ».
Petites anecdotes pour illustrer comment les gens pouvaient réagir à ce nouveau mode de paiement :
Un retraité fortuné venait chaque mois retirer la totalité de sa retraite et, le 15 du mois, il en ramenait presque la moitié pour la remettre sur le compte, car il ne pouvait pas tout dépenser en un seul mois.
Un autre vieux monsieur, qui avait un livret bien rempli, vint un jour voir le guichetier et demanda à voir le chef :
- Ich will mein ganzes geld ! (Je veux tout mon argent !).
Le chef lui remis la somme demandée (moins les fameux 5 Francs pour garder le livret ouvert). Il se mit dans un coin et compta consciencieusement ses billets puis revint au guichet et dit :
- Jetz mach das geld wieder auf’s compto , isch han noua wille wisse obs geld noch doo ist ! (Maintenant, remet l’argent sur le compte, je voulais seulement savoir si l’argent était encore là !). Véridique.
Je disais donc que les facteurs ont vu leurs pourboires diminuer drastiquement au fil de la perte du paiement des retraites.
En cette période de l’année, ils arrivaient pourtant à se refaire une santé grâce aux calendriers ou plutôt « L’Almanach des PTT ». Cette pratique autorisée par les P.T.T., l’est encore de nos jours.
Un des premiers Almanachs des Postes
Donc, en compensation de leur perte mensuelle, les facteurs se rattrapaient sur la distribution des calendriers. Ceux qui faisaient bien leur boulot arrivaient à se faire l’équivalent de 2 ou 3 mois de salaires en plus pendant le mois de décembre.
Certains prenaient même une journée de congé pour ne distribuer ce jour là que des calendriers. Je dirai que pratiquement la totalité des foyers avaient ce fameux almanach, sauf les radins !
Contrairement à ce que croient les gens encore aujourd’hui, que c’est la Poste qui fournit les calendriers ! Que nenni ! La Poste autorise 3 ou 4 maisons d’édition à imprimer ces calendriers selon un cahier des charges bien établi et les facteurs « achètent », sur leurs propres deniers, ces fameux calendriers.
Et il me revient en mémoire cette histoire : j’étais au guichet de La Poste à Freyming, en janvier 68, lorsqu’une femme d’un certain âge m’apostropha :
- Je viens réclamer : le facteur a oublié de me donner mon calendrier !
- Mais Madame, le facteur, qui achète les calendriers, l’offre à qui il veut, contre des étrennes ! Lui ai-je répondu.
Honteuse devant les autres clients, elle fit demi-tour sans un mot.
Roger le facteur qui desservait le domicile de cette dame, me disait :
- Je laisse déjà un calendrier à son fils médecin, qui me donne un petit pourboire et elle ne donne jamais rien, même quand je lui rends des services !
Malheureusement la distribution des calendriers tombe peu à peu dans les oubliettes : de notre temps un facteur distribuait environ 300 à 400 calendriers, quand aujourd’hui pour un nombre équivalent de foyers, il en distribue une cinquantaine.
Et je peux confirmer que ce sont souvent les gens de conditions modestes qui sont les plus généreuses. Pour preuve, en faisant la tournée de Schoeneck : (elle commençait par les baraques de la rue du chemin de fer puis je montais au puits Simon où dans la forêt se situait la cité des cadres et ingénieurs. Ensuite la halte de Schoeneck, la Ferme et le village) :
- Quand je payais un mandat de congés payés, chez les ouvriers, ils laissaient facilement 1 voire 2 Francs.
- Chez les cadres, c’était tout juste s’ils te laissaient quelques centimes…
L'évolution n'épargne pas La Poste !
Voilà, une boucle bouclée... Souhaitons à tous les Nostalgiaques, de bonnes fêtes de fin d’année malgré les temps difficiles que nous traversons, portez-vous bien et protégez-vous, cette année le facteur ne sonnera qu’une fois !
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