Nos ami(e)s racontent : Jean-René Beguier
Une flèche dans le dos
Durant notre enfance, les armes les plus répandues lorsque nous allions jouer aux cow-boys et aux indiens, étaient le lance-pierres, la fronde et l’arc et ses flèches. Facile à réaliser et économique, l’arc ne nécessitait qu’un belle branche souple (par exemple du noisetier) et une ficelle de bonne qualité..
Les flèches de ces arcs étaient constituées d’une pointe faite d’un clou de 80, (le clou de longueur de 80 mm était le plus utilisé aux Houillères). Ce clou était posé sur un rail de chemin de fer et, au passage du train des Houillères le clou était aplati et se transformait en une pointe fine et acérée.
Placé dans une fente pratiquée à l'extrémité de la flèche, le clou était fermement maintenu par du fil de tir, le fameux ‘chissdraht’ dont Clément nous a déjà parlé dans sa rubrique décrivant la fabrication du lance-pierres. Quand à l’empennage de la flèche, ce dernier était constitué de 3 éléments de plumes d’oiseau qui permettaient de maintenir une bonne stabilité et une bonne précision lors du tir vers une cible.
Mais oublions un instant la partie technique pour arriver au cœur de mon histoire. C’était un dimanche et j’avais revêtu ma belle chemise blanche, celle qui avait une petite broderie sur le devant, car nous avions la visite de ma grand-mère à la maison. Après le goûter, je suis allé rejoindre un copain vers la partie haute de la ferme, pour faire un tour en forêt.
Alors que nous marchions sur le sentier dans la forêt nous aperçûmes, tapi dans un fourré, son arc à la main, un des gamins les plus turbulents de la cité, le dénommé Konopackis Pierre que nous appelions tous ‘Kono’.
Alors que nous avancions sur le chemin pour nous enfoncer plus loin dans la forêt, je ressens soudain un violent coup entre les omoplates. Stupéfait, mon copain se retourne et vois que j’ai une longue flèche plantée dans le dos. Sans hésiter, comme dans les westerns au cinéma, il se saisit du projectile, le retire sans ménagement et me dit que j’ai la chemise rouge de sang…
Nous retournons en courant à la maison où ma mère et ma grand-mère, voyant ma belle chemise blanche tachée de sang, poussent de hauts cris.
Sans chercher à comprendre, mon beau-père me ramène en catastrophe sur sa mobylette à l’hôpital Saint barbe à Forbach. Là, au service des urgences, on lui dit que j’ai eu de la chance car la pointe de la flèche s’était plantée près des vertèbres lombaires et avait heureusement glissée sur l'une d'elles sans causer de blessures plus graves…
Le médecin de garde me met une mèche dans la plaie, me fait un pansement, que j’irai renouveler plusieurs fois et m’offre en prime, une injection anti-tétanique.
Le jour même, Ericka, la mère de Kono, vient prendre de mes nouvelles et me ramène des biscuits et des bonbons. Quand à son rejeton, certainement puni pour le forfait qu’il venait d’accomplir, il n’a réapparu chez lui, au 101b rue du Coin, qu’après 3 jours !
L'an dernier, lors des retrouvailles des anciens à Schoeneck, Kono était également présent et nous nous sommes remémorés cet épisode sanglant et lointain. Je lui ai dit que j'avais inclus cette anecdote dans mon recueil de souvenirs et il en était ravi…
55 ans plus tard : la photo de retrouvaille des 2 protagonistes du récit
Les incendies de baraques à la Halte-Schoeneck
Nous résidions à la Halte de Schoeneck, un quartier favorisé, qui avait l’avantage d’avoir 'occasionnellement' un chauffage collectif.
Effectivement lorsque certaines baraques flambaient, ce qui n’était pas rare, les locataires proches de ces fourneaux volontairement improvisés, économisaient momentanément le charbon de chauffage...
Après avoir passés les Alpes, comme l’avait fait Hannibal dans le sens contraire en octobre 218 avant J.C. (Jésus Christ, pas Jacques Chirac !), les immigrés italiens, fuyant les problèmes économiques de leurs pays, sont venus en France pour aider à la reconstruction du pays en travaillant durement dans les mines de charbon.
Certains de ces individus, bien que ne possédant qu’une instruction scolaire rudimentaire, avaient tout de même un sens des affaires relativement développé.
Ils avaient trouvés le moyen en faisant des extras, d’amasser un petit pactole, sans se fatiguer, en grattant tout simplement une allumette.
Les baraques faites de planches imprégnées de créosote et isolées par de la toile goudronnée qui recouvrait les façades, ne demandaient qu’à brûler, et les assurances payaient bien.
Mais tout a une fin. Malgré leur sens des affaires, ils n’étaient pas très malin et éveillèrent rapidement des soupçons. Après une courte enquête de Gendarmerie et quelques bracelets aux poignets, les baraques cessèrent soudain de brûler.
Une anecdote parmi d’autres sur les incendies :
Après être revenu du poste d’après-midi, mon beau-père entend des bruits sourds provenant du plafond de notre baraque. Les bruits ayant cessés, il se couche dans son lit.
Mais inquiet à la suite de plusieurs incendies dans la cité, il se relève et peu de temps après une odeur de brûlé envahie la pièce suivie d'une fumée qui se dégage du plafond.
Aussitôt il monte à l'aide d'une échelle et passe par la trappe de visite pour accéder sous la toiture. Le feu avait pris de notre côté. Il nous évacue de notre logement et à l'aide d'un tuyau d'arrosage du jardin il éteint le début d'incendie. Entre-temps nos voisins italiens alertés par le bruit viennent aux nouvelles. Ils ont la surprise de voir le plâtre maintenant la fracture de la jambe de notre voisin, plâtre qui était bien blanc la veille, sale et empoussiéré.
Mon beau-père a de suite compris la situation et reste une bonne partie de la nuit sous le toit pour veiller qu'il n'y a pas un nouveau départ de feu.
Au lever du jour il remonte inspecter, avec une lampe, sous le toit commun aux deux logements, pour contrôler les dégâts et il vit dans la poussière des traces de pas allant dans les deux sens et ce, depuis la trappe du voisin. (Les dessous des toits des baraques étaient inutilisables et les dépôts de poussières importants.)
Il lui en a fait fermement la remarque, mais bien sûr celui-ci nie avoir mis le feu, malgré le fait que tout indiquait que c’était lui l’incendiaire. Après cet incident nous avons déménagé pour des raisons de sécurité à la Ferme de Schoenck où il n’y pas eu d’incendie à ma connaissance.
Mon oncle Jean
Si les pierres de la chapelle Sainte Croix pouvaient parler, elles, qui au fil des siècles ont vus passer toutes sortes de gens, depuis les amoureux jusqu’aux aux brigands, elles en auraient des choses à raconter.
La chapelle du Creutzberg de l'époque
Cet après-midi du 27 juin 1956, scolarisé à l’école du Centre à Petite-Rosselle pendant l’année scolaire de 1955/56, notre instituteur nous distribue des petits drapeaux aux couleurs de la France, et nous montre comment les agiter.
Il nous explique que nous sommes tenus d’assister à l’inauguration d’une statue représentant un Mineur, qui sera inaugurée par des personnalités venues de Paris. A l’époque je n’avais même pas idée de ce que pouvait être un mineur.
Cette manifestation doit avoir lieu à quelques dizaines de mètres de notre école sur une place (aujourd’hui Place du Mineur) qui se trouve au pied d’un escalier menant directement devant l’école.
La statue représente un mineur Lorrain. Elle a été exécutée par le sculpteur français Louis JANTHIAL. Elle sera inaugurée par le président du Conseil Guy MOLLET pour le centenaire de la remontée du premier morceau de charbon le 27 juin 1856 au puits St Charles n°1.
A 16h00 et en rang, les garçons avec les enseignants et les filles avec les sœurs enseignantes, nous rejoignons les lieux de la manifestation avec nos drapeaux, non... pas avec le mien, parce qu’on me l’a déjà fauché ! On nous place judicieusement pour faire du remplissage et on poireaute jusqu’au moment de l’inauguration qui a lieu à 18h00. Après un lâcher de pigeons voyageurs dans le ciel de Petite-Rosselle et la traditionnelle remise de médailles à des mineurs méritants, on a enfin pu être libéré.
Guy MOLLET dévoilant la statue du mineur.
Juin 1956 – Statue du Mineur inaugurée par le Président du Conseil Guy MOLLET
Après l’inauguration Guy MOLLET et son cortège de véhicules officiels se sont dirigés vers Forbach où a été inauguré le groupe scolaire de la cité du Creutzberg.
* * * * * * * * * *
Je n’ai aucun regret, nous étions heureux..
(Extrait tiré des Chroniques du parcours d’un enfant qui est passé par les Baraques, de J.R.Béguier)
C'était l’époque où l’on achetait, chez l’épicier du quartier, à l’unité, les tête-de-nègre, «Mohrenkopf », pâtisserie en forme de dôme, constituée d’un biscuit sur lequel repose de la guimauve, le tout enrobé de chocolat.
C’était l’époque où je pouvais appeler mon ami Sénégalais, « Banania ou Blanche-neige » et lui m’appelait « Blanc d’œuf », sans que l’on soit vexé ou que l’on se fasse un procès.
C’était l’époque où mes amis étaient ritals ou macaronis.
C’était l’époque ou le maghrébin s’intégrait par son travail, dans notre société.
C’était l’époque ou des bourgeois « gauchistes », et des pseudo-intellectuels et philosophes en mal de publicité, ne m’avaient pas encore révélé que le français était une espèce supérieure.
C’était l’époque de la « tolérance ».
Nous vivions dans un creuset expérimental, fait d’un mélange de nationalités et de cultures différentes, rendu obligatoire par les conséquences de la situation après-guerre.
Les baraques
Après la guerre, les destructions militaires et les 4 années d’occupation ont ruiné notre région. La « bataille du charbon » nécessaire à la reconstruction du pays, étant une priorité, il a fallu recruter de la main d’œuvre. Et pour loger cette main d’œuvre française et étrangère, ainsi que les milliers de prisonniers allemands travaillant dans les mines, il fallait reconstruire. Dans l’urgence le choix s’est porté en particulier sur des constructions provisoires, telles que des baraquements. Les cités provisoires ont poussé comme des champignons.
Après la démobilisation de mes parents de la marine Nationale Française en 1947 à Casablanca et depuis ma naissance en 1948, c’est ainsi que je suis passés par les baraques du quartier de la gare à Stiring-Wendel, le quartier de Simon-Sud, le Bruch, la Place Carmen à Petite-Rosselle (après le décès de mon père en 1952), la Halte de Schoeneck, la Ferme de Schoeneck, et enfin à Forbach-Marienau où mon beau-père a construit notre maison.
Les baraques sont presque toutes du même type. Elles sont composées de deux logements de 42 m2 chacun avec leurs entrées opposées. Les 2 ares de terrain attenants au logement étaient judicieusement cultivés de légumes et de fleurs.
Les ossatures et panneaux sont en bois. En général elles sont isolées par de la toile goudronnée qui recouvre la façade à l’extérieur, mais on en trouve avec du crépis sur grillage qui recouvre les panneaux de bois.
Il y un accès sous le toit par le biais d’une trappe. Le toit est composé de plusieurs éléments de ferme de charpente en bois qui supportent la toiture. Celle-ci est couverte par des panneaux ondulés d’amiante-ciment produits par la société Eternit France.
Le dessous du toit est commun, mais inutilisable. Le sol, traversé par des solives où sont fixés les panneaux qui constitue le plafond de la baraque est fragile et on peut facilement passer au travers. Lorsque l’on doit y accéder on ne quitte pas les solives.
La cheminée construite en briques semble transpercer le toit. Le tout est posé sur des fondations faites de parpaing en mâchefer ou sur des fondations en mâchefer coulé, comme celles de Simon-Sud.
On peut voir sur cette image, une fondation coulée en mâchefer
Le mâchefer est le résidu solide de la combustion du charbon ou du coke dans les fours industriels. Source de pollution par des métaux lourds, et par de la dioxine, qui tout comme l’amiante-ciment peut être dangereux pour la sante de l’être humain. De plus le bois des baraques est traité avec de la créosote (huile lourde de goudron de houille.)
(Après 1990 on pouvait encore voir des mineurs de fond, les annexes, ceux qui dans les creusements au rocher devaient suivre avec la logistique dans les creusements en aérage secondaires, manipuler chaque jour les traverses en bois traitées à la créosote, qui souvent suintaient sous l’effet de la chaleur de l’atmosphère des galeries en aérage secondaire.
Certains mineurs présentaient des brûlures graves sur les avant-bras et au visage malgré le port de protection, gants et vêtements, sans qu’il n’y a eu de réactions positives de la part de la hiérarchie, de la médecine du travail, ni des délégués syndicaux. La créosote est classée cancérogène dans la catégorie 2.)
Entre l’amiante des toitures, le mâchefer servant de support des baraques, le bois créosoté, et il ne faut pas oublier les canalisations en plomb des conduites d’eau, et les peintures à base de plomb. On constate, dans le temps, que vivre dans les baraques n’était pas sans danger.
Cela n’engage que moi. Mais est-ce pour cela que l’on ne retrouve aucun document sur les baraques, ceux-ci se seraient malencontreusement noyés dans une inondation des salles des archives. Il est vrai que tout le monde n’est pas formé aux premiers secours et que faire du bouche à bouche à de la paperasse ce n’est pas évident !
Les fenêtres sont équipées de volets en bois.
En été dans les baraques, il fait une chaleur torride, et en hiver il y fait très froid.
Chaque logement se compose d’une cuisine, 3 chambres, un w.c. intérieur avec une petite fenêtre. Notre baraque à la ferme de Schoeneck disposait aussi d’un w.c. extérieur et d’un cagibi où nous avions fixé au mur un garde-manger en bois composé de 2 portes grillagées de fines mailles métalliques afin de laisser passer l’air et empêcher les insectes d’entrer, et qui servait à stocker les denrées. On stockait aussi dans ce cagibi tous les objets encombrants. Un semblant de cave creusée dans le sol sous la baraque ou l’on accédait par une trappe située dans le plancher de la cuisine. La cave servait à stocker les bûches de bois, d’environ 25 cm de long, remontés du fond de la mine, le fameux mauseklotz, nom qui aurait pour origine, que le fait que de ramener ce morceau de bois à la maison accordait au mineur un droit de cuissage avec sa femme. Avec le bois se trouvait la fameuse hache de mineur, (empruntée provisoirement, et à long terme, aux Houillères!) et du billot de bois servant de support pour couper le petit bois servant à faire démarrer le feu dans la cuisinière.
Certains locataires des baraques qui avaient des chambres libres sous-louaient à un ou plusieurs pensionnaires. Les commères du quartier dans leurs conversations malsaines, attribuaient à tort ou à raison, au sous-locataire la position de mâle de la maison lorsque le mari avait poste de nuit.
Chaque année, les Houillères nous fournissaient gratuitement de la pomme de terre Bintje, que l’on stockait dans la cave dans un grand caisson en bois sur pieds pour l’isoler du sol. Afin de la conserver pour l’hiver on la saupoudrait d’un produit de couleur bleu-verdâtre inhibiteur de germination, apparemment mauvais pour la santé puisqu’il est actuellement interdit à la vente.
Nous avions aussi droit à de l’engrais, ce qui n’empêchait pas certains mineurs de ramener des cartouches d’explosifs à la maison pour émietter leur contenu composé de nitrate d’ammonium, dans la terre du jardin…
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