Parlez-nous de vous : Joseph Schoumer
L’histoire de notre ami Joseph Schoumer ressemble à un de ces romans de Charles Dickens, cet auteur anglais de l’époque Victorienne qui nous a laissé des chefs d’œuvre tels que Oliver Twist, David Copperfield ou son fameux Conte de Noël ayant comme personnage central le célèbre Mister Scrooge…
Né le 19 avril 1943 au sein d’une fratrie de 13 enfants, la mère, Madeleine Schoumer est abandonnée brutalement par son mari et, n’ayant pas de revenus, n’a d’autre solution que de confier ses enfants à l’assistance publique.
Cet organisme placera les plus jeunes, dont Joseph, dans l’orphelinat Saint Joseph (un nom prédestiné) géré par des ‘Bonnes sœurs’ à Sierck-les-Bains en Moselle tandis que les plus âgés (14 ans et plus) iront travailler et vivront chez différents paysans de la région…
Les filles quant à elles seront transférées dans un autre orphelinat à Rettel, un village voisin.
Le quotidien à l’orphelinat est minuté et bien rodé. Joseph raconte :
- Le réveil du dortoir dans lequel une trentaine de gamins sont installés est assuré par une des ‘Sœurs’ le matin vers 6h30.
Une fois réveillés, on se met à genoux devant nos lits respectifs pour une première prière puis départ en groupe pour une rapide toilette devant les éviers.
La toilette terminée, retour vers le dortoir où nous revêtons la tenue mise à disposition par l’orphelinat puis chacun s'active pour faire son lit.
Dès que nous étions en mesure de manier un couteau, il fallait aider dans les cuisines à préparer les repas en épluchant les légumes ou en faisant la vaisselle.
On nous avait également appris à faire le ménage, à laver les planchers et plein d’autres menus travaux que nous exécutions sagement sans nous poser de questions…
Joseph passera ainsi une dizaine d’années dans ce lieu fermé dont il ne sortira quasiment jamais et dans lequel les jours se suivent et se ressemblent…
- La classe était également assurée par des sœurs qui réduisent le programme scolaire officiel à l’apprentissage du latin, du français et de la religion.
Parfois nous répétions pendant une journée entière de petites pièces de théâtre qui étaient ensuite présentées à un public choisi les jours de fêtes religieuses.
Une chorale qui interprétera les nombreux chants religieux lors des messes est également mise en place…
Le jeune Joseph vivra ce quotidien en compagnie de ses frères André (qui a déjà 14 ans et qui est resté comme peintre à l’orphelinat), Roger, Henri et Marcel.
Ces derniers, déjà plus âgés, quitteront l’orphelinat pour aller travailler chez les paysans des environs.
Les années passent et, pendant ce temps, la mère fait la connaissance d’Antoine Noël (encore un nom prédestiné !), un ouvrier mineur originaire du pays-haut (Hayange) venu travailler dans les mines de charbon locales.
Ce dernier est provisoirement hébergé par Charles, un des frères aînés qui travaille déjà à la mine. Madeleine et Antoine s’entendent bien et un nouveau couple se reforme et habite provisoirement dans les baraquements de Simon Sud.
Antoine mettra tout en œuvre pour sortir rapidement les enfants de sa compagne Madeleine de l’orphelinat et c’est finalement en 1955 que ces derniers quitteront Sierck-les-Bains pour rejoindre leur ‘nouvelle famille’ qui occupe désormais une baraque entière à la cité de la Ferme de Schoeneck…
C’est la première fois de sa vie que le jeune Joseph, alors âgé de 12 ans, quitte l’endroit dans lequel il vit depuis une dizaine d’année.
Il avait senti lors des dernières visites de sa mère que des choses étaient en train de bouger mais il ignorait encore que le quotidien de la fratrie allait changer à ce point et qu’ils quitteraient bientôt ces structures qui les avaient accueillies, nourries et protégées…
Joseph sentait confusément que sa jeune vie allait basculer vers l'inconnu.
Il se souvient très bien de cette mémorable journée, faite de sentiments partagés entre joie et crainte, lorsque les portes de l’orphelinat s’ouvrirent pour la première fois vers cette liberté qu’il attendait inconsciemment depuis si longtemps et qu’en même temps, il appréhendait…
- Un matin ils sont venus me chercher pour me ramener à la gare où je devais prendre le train pour Forbach. A 12 ans, je n’avais jamais roulé ni dans une voiture ni dans un train et je me sentais comme un extra-terrestre qui débarque sur la terre.
Cette arrivée dans un monde 'ouvert’ me causa un véritable choc et les crises d’angoisse et de peur se succédèrent pendant les premiers mois de cette liberté inattendue…
Je découvrais tout ce qui m’était jusque-là inconnu. D’autres enfants, des adultes, des familles, toutes ces baraques pleines de gens qui parlaient des langues que je ne comprenais pas, les jeux, la forêt, l’école, des rues pleines de vie et de mouvement, les magasins, les vélos, les mobylettes et l’Autobus… Rien n’était plus comme avant et j’explorais petit à petit ce nouveau monde dans lequel je me sentais encore étranger...
Les premiers mois passés en famille dans la baraque de la Ferme de Schoeneck furent pour Joseph et ses frères un festival de joies et de nouvelles découvertes.
Leur 'nouveau père' Antoine leur fit découvrir tout ce qu'ils ne connaissaient pas.
Il les emmena pour la première fois de leur jeune vie à la foire, firent en sa compagnie de longues promenades dans la forêt voisine, et prirent l'Autobus pour aller explorer Forbach, la ville la plus proche dans laquelle il découvrirent des magasins, endroits nouveaux dans lesquels il n'avaient jamais mis les pieds...
Les premières semaines passèrent très vite puis Joseph entra à l’école du village chez Monsieur Blum.
Il se fit rapidement de nouveaux amis au sein des élèves de sa classe et manifesta rapidement un intérêt évident pour le sport en intégrant l’équipe de Basket locale puis en devenant jeune sapeur-pompier dans le corps de l'équipe des volontaires du village…
Ces premières années de sa nouvelle vie ont laissé pleins de merveilleux souvenirs à l’ami Joseph qui aime les raconter avec des étincelles de bonheur dans le regard :
- On avait même construit un terrain de Basket derrière le bâtiment du Burghof à Forbach sur lequel on s’entraînait le plus souvent possible…
Comme j’étais grand et sportif, je jouais également au foot dans le pré entre la Ferme de Schoeneck et le village.
Il y avait mon frère Marcel malheureusement décédé à 15 ans d'une méningite mal soignée, Muller Berti & Roland, les frères Birig, Derr André, Scepanzick, toute une bande de jeunes footballeurs dont certains auraient pu faire une belle carrière… Moi j’étais dans les « caisses » en tant que gardien et c’est à cette époque qu’on m’a surnommé « Yashine » du nom de ce gardien de but russe très connu dans les années 50-60. Et puis on allait également jouer sur la place de la mare où se trouvait le 'rouleau' et dans la baraque du foyer dans lequel on pouvait jouer au Ping-Pong et lire des livres à la bibliothèque…
C’étaient de belles années pleines de découvertes !
Bref, tout allait pour mieux dans le meilleurs des mondes et à 14 ans, l’ami Joseph entre en apprentissage chez un artisan qui tenait un atelier métallurgique à Stiring-Wendel et qui travaillait en sous-traitance pour les H.B.L.
Malheureusement tout ne se passe pas comme on lui avait promis et, au lieu de faire un véritable apprentissage, Joseph est exploité et travaille comme manœuvre mais avec le salaire ridicule de quelques dizaines de Francs d’apprenti…
- Il fallait absolument que je me sorte de cette galère et j’ai donc volontairement pris la décision de « bâcler » mon travail afin que le contrat d’apprentissage soit rompu.
Ça a marché et comme la plupart de mes amis travaillaient à la mine, j’ai décidé d’y entrer également pour apprendre le métier de mineur…
J’ai passé la visite médicale d’embauche et j’ai commencé le dur apprentissage de mineur en travaillant au triage des Skips de charbon au puits Gargan de Petite-Rosselle…
Pendant tout le poste, armé d’un bâton, je synchronisai l’arrivée des berlines de charbon en bloquant ou en libérant les wagons afin de réguler au mieux le déversement du charbon sortant du sous-sol…
C’est à l’école des mines que joseph prends conscience des lacunes de l’enseignement religieux dispensé par les bonnes sœurs.
Excellent élève en dictée et en français il est nul en calcul et un professeur du centre d’apprentissage viendra spécialement de Sarreguemines pour lui donner des cours de rattrapage.
- Ce prof m’avait dit : c’est dommage pour la suite de ton apprentissage, je vais venir 3 fois par semaine pour te donner des cours de soutien en calcul. Cela ne te coûtera rien, je le fais pour t’aider… Je n’oublierai jamais ce que ce professeur a fait pour moi !
A 18 ans, Joseph est appelé à faire son service militaire et là également, un Capitaine bien intentionné fit en sorte qu’il puisse suivre des cours de mathématiques afin de rattraper définitivement le niveau d’un élève ayant suivi une scolarité normale.
Au retour de l’armée, il rencontre sa première épouse et de cette union naquirent 3 enfants.
Malheureusement cette union fut un échec et ils se séparèrent après 10 années de vie commune.
Quelques mois après cette séparation il fit la connaissance de Marie Jeanne, une jeune mère de deux enfants avec laquelle il vécut en parfaite harmonie jusqu’à son décès en mai 2018.
Durant sa vie professionnelle, Joseph sera un syndicaliste engagé et convaincu, intégrera par la suite les équipes de sauveteurs et terminera sa carrière avec le grade de boutefeu.
Aujourd'hui, après avoir surmonté quelques petits ennuis de santé, il vit une paisible retraite dans sa maison de Stiring-Wendel, entouré de l'affection d'Estelle, la fille de Marie-Jeanne, de son petit fils Enzo, et des autres membres de la famille.
C'est là qu'il ma reçu par une belle journée de mai en compagnie de quelques ami(e)s fidèles venus papoter avec lui et échanger des souvenirs du bon vieux temps...
Mais ça, c'est une autre histoire dont nous parlerons une prochaine fois. C. Keller, mai 2019
→ Dernière minute :
Suite à la publication de ce portrait de Joseph Schoumer, son ami Denis Abel, qui l'a connu il y a plus de 50 ans, m'a fait parvenir le message émouvant ci-dessous :
Salut Joseph,
Par Nostalgia, j'ai lu que tu te souvenais de moi du temps où nous habitions à la "Ferme de Schoeneck" là où toutes mes idées préconçues sont tombées.
Merci la Ferme.
Hé bien ! Moi aussi je me souviens de toi après plus de 50 ans même qu'il m'arrive de raconter à mes petits-enfants ce que tu vas lire :
Le dimanche, nous prenions ensemble la route de la Ferme vers le village, nous nous séparions à hauteur de l'église. Moi pour la messe, toi pour les pompiers.
Moi, de nature bavard, toi, nettement moins. Tu vois Joseph, avec mes convictions d'aujourd'hui je pense que j'aurais dû continuer la route et aller avec toi chez les pompiers.
Mais j'ai manqué de confiance en moi comme plus tard au fond de la mine, toi sauveteur, moi, je ne m'en sentais pas capable.
(Avec un peu d'humour, je t'accuse d'être la cause de mon manque de confiance, toi grand et calme, moi petit et agité) rassure toi Joseph, je plaisante...
Place à l'Émotion :
Joseph, bien des années ont passé mais j'ai souvent pensé (nostalgie sans doute) à ce bout de chemin que nous faisions ensemble persuadé qu'il nous restait plus qu'à le ranger dans nos souvenirs.
Mais, tu vois Joseph, je ne crois pas aux miracles encore moins à l'au-delà.
Mais là commence un conte !?!?
Dédée (ma cousine à l'État-Civil mais ma p'tite sœur dans l'affect) lors du "Repas des Anciens" de Schoeneck m'a parlé de toi et que tu me connaissais.
J'étais content de nos souvenirs communs.
Bien sûr je lui raconte notre ‘bout de chemin ensemble’
Mais voilà, la route de ma "p'tite sœur" s'est arrêté brutalement là ... ?
Quelques jours, après son décès, un AVC me terrasse avec pour conséquence plus de de 10 jours d'inconscience.
A mon réveil je prétends avoir 54 ans et être en 1996 et, comble de l'horreur, je reconnais ma famille mais ne sais plus leurs noms. Seul le nom de mon arrière-petite-fille de 17 mois me reste.
Au bout d'une p'tite semaine mon tiroir mémoire s'ouvre. Côté mobilité RAS pas de problème, mais j'ai toujours une canne dans la voiture hé oui !
Bien sûr, nous rencontrer toi comme moi c'est notre souhait. Et pourquoi pas lors du "repas des Anciens" de Schoeneck ?
Pour ma part, d'habitude ce jour-là, j'ai le choix entre le repas paroissial de Rosbruck d'où ma femme (Anne Marie) est originaire et l'amicale des Anciens.
Mon choix se portera sur notre village.
Joseph, la balle est dans ton camp.
Sacré Clément, tu me sature avec Nostalgia, je n'arrive plus à suivre…
Cette rencontre, dans ton carnet de souvenir note la sur les pages POSITIF.
Tu vois Joseph je n'ai pas de réponse pour "l'après vie" beaucoup de gens croient ce qu'ils ont envie de croire moi NON, mais exceptionnellement je choisis de croire que ma p'tite sœur de là où elle est, connaissant notre amitié, a voulu cette rencontre.
C'est un conte, faisons en une réalité...
Merci Dédée, Merci Clément, Merci et Bravo à ta maman et Antoine qui t'ont ouvert la porte du réel. Salut Joseph et à bientôt. Denis Abel
Est-il besoin rajouter quelque chose ? Non, tout est dit ! Vive l'amitié vraie...
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