Clement Keller : L'arrivée dans la cité
Les Baumann étaient à l'époque de leur arrivée dans la cité une famille de huit personnes et bénéficiaient de la jouissance d'un baraquement entier. Wolfgang se rappelait qu'au Bruch, un quartier de Forbach où ils avaient vécu pendant quelques années, il était obligé de traverser tous les soirs le logement d'une famille arabe qui habitait à coté d'eux pour se rendre dans la chambre qu'il partageait avec deux de ses frères.
Il se souvenait également de soirées entières passées avec ses frères à regarder à travers le trou de serrure de la porte condamnée qui donnait sur la cuisine de leurs co-locataires.
Ici dans leur nouvelle baraque de la Ferme, c'était différemment. Malgré l'image négative et triste de cette cité en planches noyée sous la pluie, et malgré la précarité de leur situation matérielle, Wolfgang sentait qu'ils allaient couler des jours heureux dans ce campement provisoire. Cet endroit allait enfin leur offrir la seule chose qu'ils n'avaient jamais possédé : ils avaient enfin un chez-soi pour eux seuls...
La première après-midi avait passé très vite. Il y avait tant de choses à faire et tant de détails à régler que personne n'avait vu le temps passer. Les meubles étaient tous en place, les lits étaient montés et chacun profitait de la fin de cette journée harassante pour se reposer.
La famille au complet avait pris place dans la cuisine éclairée par la lumière jaunâtre d'une ampoule nue qui se balançait au plafond. Le père avait chargé, puis allumé le feu dans le foyer de l'immense cuisinière à charbon. Les plaques de fonte rougissaient sous la morsure du feu qui ronflait et un douce chaleur envahissait petit à petit la pièce exiguë.
Dehors, de lourdes bourrasques de vent s'abattaient en hurlant sur les toits légers et de longues rafales de pluie s'éclataient à intervalles réguliers contre les carreaux des fenêtres. Pendant que la nature se manifestait dans le fracas et le tumulte, les Baumann, dans la douce quiétude de leur cuisine, se sentaient pour la première fois depuis longtemps en sécurité. La mère avait mis les couverts et les bols sur la table pour le repas du soir.
Il était fréquent dans la plupart des familles modestes de cette Lorraine du charbon, d'accompagner le repas du soir d'un breuvage chaud pompeusement nommé café.
Après avoir moulu une poignée de grains de café mélangés à du malt grillé Kneip dans l'antique moulin à manivelle qu'elle serrait entre les jambes, Madame Baumann retirait le tiroir en bois et vidait la mouture dans la cafetière en tôle émaillée. Il ne restait plus qu'à verser par-dessus l'eau qui frémissait dans la bouilloire en aluminium toute bosselée posée au bord de la cuisinière et, quelques minutes plus tard, la maison se remplissait d'une agréable odeur de café chaud.
C'était ce même breuvage que le père emportait dans son KaffeBlesch pour étancher sa soif et accompagner son briquet lorsqu'il descendait dans les entrailles de la terre pour creuser le charbon.
A peine intégré, le modeste logis avait déjà trouvé un semblant de fonctionnalité. A coté de l'évier, une serviette était accrochée à un clou planté à même le mur et un petit miroir à cadre de bois surplombait le robinet en laiton.
Le traditionnel calendrier des P.T.T. avait également trouvé sa place à coté de l'armoire de cuisine. Le reste des meubles se résumait à quelques chaises dépareillées, l'immense cuisinière à charbon et un banc en bois sur lequel trois des enfants prenaient habituellement place. Il y avait aussi une chaise haute en bois blanc laqué héritée d'une tante allemande dans laquelle le cadet des Baumann passait le plus clair de son temps.
Dans un coin de la pièce, les deux petites, assises par terre sur une couverture, jouaient à la dînette avec leurs poupées. Comme la mère n'avait pas eu le temps de cuisiner, toute la famille mangeait des tartines de pain beurrées recouvertes de fines tranches de saucisson Lyoner que le grand frère Helmut avait acheté à la Samer en fin d'après-midi. Cette charcuterie bon marché était devenue une véritable institution dans le monde des ouvriers de la mine. Ceux qui savait l'apprécier accompagnée d'une bière bien fraîche et d'un peu de moutarde, et ils étaient nombreux, connaissaient un état proche du nirvana. La lyoner était de toutes les fêtes et, durant ces années de prospérité économique et de plein emploi, toutes les occasions étaient bonnes pour faire la fête !
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