NOSTALGIA, le Blog qui fait oublier les tracas

NOSTALGIA, le Blog qui fait oublier les tracas

Oncle Joe raconte : La petite fille aux cheveux roux

Durant les années 50, l’école des filles était située dans le bâtiment de la mairie de Schoeneck et celle des garçons un peu plus loin vers le haut du village.

Ainsi, chaque matin lorsque nous les garçons allions à l’école, on voyait des groupes de filles, certaines de la Ferme, d’autres du village, debout devant l’école dans l’attente de pouvoir y entrer.

Je suis sûr que la petite fille aux cheveux roux et à la queue de cheval flamboyante y était déjà, mais, pour des raisons qui m’échappent, je ne me souviens pas de l’avoir vue jusqu’à ma dernière année d’école primaire en 1952… 

Lorsque nous, les garçons des baraques de la Ferme, essayions d’entrer en conversation avec les filles, la plupart du temps, les filles du village ne voulaient pas nous parler, sauf la petite fille aux cheveux roux qui disait gentiment bonjour et engageait même de temps en temps la conversation avec nous...

 

roux.jpg

 

Les habitants des baraques de la Ferme, n’étaient pas toujours bien vus par ceux du village et je pouvais comprendre, qu’au début, l’arrivée de tous ces "étrangers" ressemblant plus à des romanichels qu’aux autochtones ait jeté le trouble parmi la population du village.

Ce que je comprenais moins, c’est que quelques années plus tard, bien que nous ayons largement contribués à enrichir les commerçants locaux et à nous intégrer dans la vie sociale du village, certaines personnes continuaient à avoir des préjugés à notre égard et nous regardaient comme si nous étions le diable en personne.

Ce jugement des parents à notre égard avait également déteint sur les enfants et certains d'entre-eux se méfiaient également de nous.

Bien sûr, cette vision pour le moins simpliste n’était pas une généralité et il restait une poignée de gamines, dont la petite fille aux cheveux roux, avec lesquelles nous avions réussi à sympathiser. 

C’est une de ses amies, une gamines de la Ferme qui m’a dit un jour que la petite "rouquine" s’appelait Rose-Marie…

Rose-Marie avait 13 ans lors de ma dernière année d’école primaire à Schoeneck et, durant cette période, je la voyais tous les jours de classe et souvent le dimanche matin lors de la messe célébrée dans l'église du village.

Nous ne parlions pas beaucoup, nous échangions simplement quelques mot de temps en temps mais elle était toujours très polie et arborait un joli sourire en toute occasion. C’est certainement à cause de cela que les enfants du village la regardaient de haut, car elle était "copine" avec les "diables" des baraques de la Ferme et était de ce fait un peu mise à l’écart par les enfants du village…

J’ai quitté l’école primaire en 1952 pour rejoindre en fin d’année l'école des mines et, de ce fait, je n’allais plus tellement souvent au village et ma présence à la messe dominicale se faisait également plus rare. Mes rencontres avec Rose-Marie s’étaient espacées et petit à petit j’oubliais ma petite fille aux cheveux roux…

Ce n'est que quelques années plus tard (je venais d’avoir 16 ans) que je la revis un soir au bal de carnaval du village qui avait lieu tous les ans début mai dans la grande salle du café "Greiner".

Rose-Marie était assise au milieu d’un groupe d’une dizaine de filles de la Ferme à une même longue table.

Nous les garçons avions également notre table et nous invitions de temps en temps les filles de la Ferme pour danser, bien que notre préférence aille plutôt vers les filles des villages alentours, Klarenthal, Gersweiler ou Stiring-Wendel...

 

bal.jpg

 

L'ambiance de la soirée était au beau fixe, les couples virevoltaient sur la piste au son de la musique entraînante de l'orchestre et les couples de cavaliers et cavalières se formaient au gré des polkas, des valses, des tangos et des premiers rocks endiablés...

Pris d’une envie pressante, je quittais à un moment donné la table et mes amis pour aller aux toilettes qui étaient à l’époque situées à quelques dizaines de mètres à l’extérieur du bâtiment, dans une "rustique" annexe en bois divisée en deux compartiments, un pour les femmes et un autre pour les hommes.

Ces compartiments n’étaient équipés chacun que d’un seul siège ce qui générait systématiquement des embouteillages et des files d’attente, surtout après les nombreuses bières bues au cours de ces soirées souvent bien arrosées.

Et c’est ainsi que ce soir-là, au clair de lune, dans la cour du bistro, je me trouvais soudain nez à nez avec Rose-Marie.

Je dois dire à ma grande honte que cette belle histoire sentimentale démarrait de façon bien peu poétique devant les portes d'un banal W-C...  

Il y avait une petite file de personnes devant chacune des portes, mais la file des hommes avançait un peu plus vite que celle des dames. Au bout d'un moment, je m'adressais à Rose-Marie :

Bon sang, avec tout le pognon que le propriétaire de cette salle doit se faire, il pourrait au moins investir un peu d’argent pour proposer des toilettes un peu plus adaptées… !

Rose-Marie me regarda en souriant et rétorqua :

Si quelqu’un a vraiment un besoin urgent, j’ai bien peur qu’il ait un sacré problème !

Nous bavardions tranquillement de choses et d’autres, chacun dans notre file respective, lorsque mon tour arriva.

A la sortie, Rose-Marie était toujours dans sa file et me lança :

Déjà fini ? Il y a des moments où j’aimerais être un homme !

Je rétorquais en la regardant dans les yeux :

Oh non, tu es bien plus charmante en tant que femme... En attendant, bonne chance, il ne reste plus que deux personnes devant toi !

Rose-Marie ne répondit pas et se contenta de sourire...

J'avais déjà tourné les talons pour retourner vers la salle de bal lorsque je pris conscience de l'opportunité qui s'offrait à moi.

Je pris mon courage à deux mains et décidais de retourner vers la file des dames qui attendaient toujours leur tour devant les toilettes.

Arborant mon plus beau sourire, je m’approchais de Rose-Marie et lui demandais si elle voulait bien me faire l'honneur de danser le prochain Slow en ma compagnie.

Rose-Marie me regarda droit dans les yeux et répondit simplement qu’elle était d’accord et que ce serait un plaisir pour elle de danser avec moi... 

Plein d'espoir et le coeur battant, je retournais, cette fois d'un pas décidé, dans la salle et repris ma place à table. Il ne me restait plus qu'à attendre le retour de Rose-Marie en espérant que l'orchestre démarre rapidement la prochaine série de Slows... 

 

 

https://static.blog4ever.com/2016/02/814449/artfichier_814449_7967631_201811244441318.jpg

 

Rose-Marie et moi avons dansé tous les slows jusqu’à la fin du bal qui se termina vers 1 heure du matin.

Une fois sorti de la salle, je repris mon courage à deux mains et revenais vers elle pour lui demander si je pouvais la raccompagner chez elle…

En souriant elle me dit qu’elle n’habitait pas très loin du café mais que ce serait sympa et que cela lui ferait plaisir…

Je quittais donc l’endroit avec ma partenaire de danse sans que mes amis de la « Ferme » ne se rendent compte que je partais dans une direction opposée à la leur et ce, en compagnie d’une des filles du village…

Je dois dire que l’animosité entre nos deux mondes était telle que certains d’entre nous se plaisaient à dire, à qui veut bien l’entendre, que même s’il ne restait qu’une seule de ces filles qui ne nous appréciaient pas sur terre, ils préféraient satisfaire leur « besoins » tout seuls plutôt que de finir en leur compagnie… !

Les préjugés ont, hélas, la vie dure…

Dans la montée qui longeait l’église, à quelques dizaines de mètres de l’ancienne mairie, Marie-Rose s’arrêta soudain et me dit :

Wiki, te souviens-tu des années d’école lorsque vous, les gars de la Ferme, passiez ici et que la plupart des filles du village vous ignoraient et vous traitaient de « diables d’étrangers » ? Elles refusaient de vous parler car elles s’imaginaient que vous étiez méchants… Eh bien moi je ne le pensais pas et vous ai toujours jugé pareils que n’importe quel autre garçon du village… Malheureusement, il reste encore de nombreuses personnes ici qui continuent à penser pensent que vous n’êtes que de la racaille et des bons à rien…

Je regardais Marie-Rose dans les yeux et lui dit :

Quel dommage après toutes ces années que les mentalités n’aient pas changées et que nous restons pour certains des marginaux… Mon Dieu, quand donc les gens changerons-ils ? Sommes-nous catalogués à tout jamais ?

Rose-Marie prit alors ma main et répondit :

Wiki, vous n’êtes pas des vauriens ou des diables… Dans le fond vous êtes même meilleurs que tous ceux qui disent du mal de vous… Après tout, je suis ici en ta compagnie, tu es gentil et tu te comportes tout à fait correctement… Pourquoi devrais-je avoir peur de toi ? Crois-moi, Wiki, tu n’as absolument rien d’un diable !

Je hochais la tête sans rien dire et nous continuâmes notre chemin en silence. 

 

https://static.blog4ever.com/2016/02/814449/artfichier_814449_6209766_201609230505747.jpg

Un peu plus haut, après avoir dépassé le bâtiment de la mairie, Marie-Rose s’arrêta devant l’entrée d’une maison et me dit en souriant :

Me voici arrivé chez moi, merci de m’avoir accompagné jusqu’ici… Passe une bonne nuit Wiki !

De rien Rose-Marie, ce fût un grand plaisir pour moi et j’ai passé un très bon moment en ta compagnie… Je pris à nouveau mon courage à deux mains et rajoutais : Tu sais, cette soirée était formidable, penses-tu qu’on pourra se revoir ?

Rose-Marie me regarda avec un large sourire et répondit :

Dis donc Wiki, ne serais-tu pas en train de me demander un rendez-vous ?

Si c’est ça, je te dis OUI car cela me ferait également plaisir… A toi de voir et de choisir une date et un endroit qui te conviennent pour notre premier rendez-vous…

J’étais fou de joie à l’idée de revoir ma nouvelle copine et je proposais un rendez-vous le jeudi suivant à 19 heures au terrain de foot du village.

Tu sais où se trouve le terrain de foot ?

Ne sois pas idiot Wiki, répondit-elle en riant, bien sûr que je sais où il se trouve… C’est à deux pas d’ici !

Quand elle me tendit la main pour me dire au revoir, je posais la mienne sur son épaule et approchais mon visage du sien pour pouvoir l’embrasser… Pendant une fraction de secondes elle eût un léger mouvement de recul puis posa furtivement ses lèvres sur les miennes en chuchotant :

Bonne nuit Wiki, alors comme convenu, on se revoit jeudi !

Puis elle tourna les talons et s’engouffra dans sa maison sans se retourner…

Songeur, je rebroussais chemin et rentrais chez moi. La nuit était fraiche et dans ma tête les questions se bousculaient… Elle était du village… Que diront mes amis de la Ferme lorsqu’ils apprendront la nouvelle ? Comment se passera le premier rendez-vous ? Marie-Rose ne sera-t-elle qu’un simple flirt ou irons-nous au-delà de simples baisers ? Faudra-t-il attendre un autre rendez-vous pour aller plus loin ? Y aura-il d’ailleurs un autre rendez-vous ?

Pour l’instant je n’avais aucune réponse à toutes ces questions…

Plongé dans mes pensées je ne me rendis pas compte que j’étais déjà arrivé devant chez moi. La cité de baraques était endormie et j’entrais par le jardinet sans faire de bruit. Arrivé dans ma chambre, je me déshabillais et me couchais aussitôt.

Il était presque 2 heures du matin et je n’arrivais pas à trouver le sommeil.

On était déjà lundi et dans deux heures je devais me lever et me préparer pour aller travailler au poste du matin à la mine. Je sentais confusément que les jours à venir ne seraient pas faciles…  

 

https://static.blog4ever.com/2016/02/814449/artfichier_814449_7967631_201811244441318.jpg

En effet, les jours suivants me semblaient très longs et j’éprouvais le besoin de parler avec quelqu’un de mon futur rendez-vous avec Rose-Marie…

Il faisait beau le mercredi après-midi et j’étais assis devant notre maison dans le jardinet fleuri qui faisait la fierté de ma mère lorsque mes amis Pépé et Paul s’arrêtèrent pour me demander si j’étais d’accord pour aller avec eux à la « Cimade », ce foyer installé dans une des baraques de la Ferme où nous nous rencontrions souvent pour bavarder, lire ou s’amuser à différents jeux mis à la disposition des habitants de la cité.

 

foyer.jpg

 

Pendant que nous descendions la rue principale menant vers le foyer Paul se tourna soudain vers moi et dit :

Alors Wiki, as-tu quelque chose à nous dire à ton sujet et à propos de la fille aux cheveux roux du village ? Ça avance ?

Eh bien je ne sais pas les amis… Tout ce que je peux vous dire c’est que j’ai rendez-vous avec elle demain soir, et là, avec un peu de chance, je verrais si ça avance…

Ils se regardèrent en souriant et Pépé se contenta de dire :

Wiki, ton rendez-vous avec Rose-Marie c’est OK… Après tout c’est une des rares filles du village qui a le courage de nous parler et c’est pour ça que nous les gars de la Ferme on l’aime bien et pour le dire franchement, on te souhaite même bonne chance pour ton rencart !                                              

Le jeudi tant attendu était enfin arrivé et je quittais le domicile aux environs de 18 heures pour aller à mon rendez-vous avec Rose-Marie. J’allais tout droit en direction du terrain de foot sur lequel quelques jeunes gamins s’entraînaient encore.

Je pris place sur un des bancs mis à la disposition du public et regardais les gamins qui jouaient en criant. Ma montre affichait 18h40 mais j’avais l’impression que le temps s’arrêtait… Je jetais un coup d’œil sur le cadran toutes les 20 secondes tout en réfléchissant ce que j’allais dire ou peut-être faire (!) avec Rose-Marie.

J’étais déjà sorti avec quelques filles mais cela se limitait à quelques sages et furtifs baisers… Avec elle ce serait peut être différent et j’imaginais déjà que nous pourrions aller plus loin… Mais bon, je n’étais sûr de rien et, bizarrement, l’idée seule d’aller « plus loin » me laissait un étrange sentiment de culpabilité…

Je restais donc assis là, seul sur ce banc, le regard dans le vague, perdu dans mes pensées… Entre temps, les gamins avaient quitté le terrain et ma montre affichait déjà 19h05.

Je regardais en direction du sentier qui menait au terrain mais je ne vis personne… Est-elle simplement en retard ou ne viendra-t-elle pas car elle était du village et moi des baraques de la Ferme ? Peut-être que ses parents lui ont demandé de ne pas me rencontrer ? Toutes ces questions se bousculaient dans ma tête et je sentis une angoisse étrange m’envahir…

Heureusement ce malaise se dissipa quelques minutes plus tard lorsque je distinguais au loin la silhouette d’une jeune fille qui s’approchait du terrain. Oui, c’était bien elle, c’était « ma » Rose-Marie ! Lorsqu’elle s’approcha du banc sur lequel j’étais assis, je me levais pour aller vers elle mais elle me fit de loin un signe de la main pour me dire de rester sur place. Je restais donc debout à côté du banc et attendit qu’elle me rejoigne. Elle était vêtue d’un pull brun sur une blouse rose, d’une jupe grise et ses cheveux flamboyants étaient, comme d’habitude, noués en queue de cheval…  

Rose-Marie me tendit la main et dit :

Salut Wiki, j’ai un peu de retard, mais me voici ! J’espère que tu ne t’es pas trop inquiété… As-tu eu peur que je ne vienne pas ?

Juste quelques minutes, on ne peut pas appeler ça un retard répondis-je en lui serrant la main… Elle prit place sur le banc et je m’assis près d’elle.

Tu as vu, j’ai mis un Pull au cas où il ferait frisquet dans la soirée…

Ce n’étais pas nécessaire, tu sais, je t’aurais réchauffé en te serrant dans mes bras lui répondis-je en passant délicatement mon bras autour de son cou. J’approchais alors mon visage du sien et posais mes lèvres sur les siennes… Elle ne me repoussa pas et accepta ce tendre baiser.

Tu sais Wiki, je t’ai toujours trouvé sympa, à l’époque où nous allions encore à l’école tu ne parlais pas beaucoup mais je t’ai toujours apprécié… Aujourd’hui je peux te le dire… Tu me plais beaucoup…

Lorsqu’elle eut fini sa phrase, je ne répondis pas mais l’attirais tout contre moi et nous nous embrassâmes une nouvelle fois…

Nous sommes restés assis l’un contre l’autre pendant un long moment, parlant de choses et d’autres, du travail, des gens du village et de la Ferme lorsque qu’elle se leva soudainement, posa sa main sur sa bouche et s’écria :

Mon Dieu, je viens d’embrasser un « diable » de la Ferme… Mais que vont dire les gens du village ? Vont-ils m’attacher sur une charrette et me traîner en parade dans les rues du village avant de me brûler sur la place publique comme on le faisait avec les sorcières de Salem…?

Je la regardais les yeux écarquillés et, pendant un moment je ne savais plus si elle était sérieuse ou si elle plaisantait…

 

https://static.blog4ever.com/2016/02/814449/artfichier_814449_7967631_201811244441318.jpg

 

Ce n’est que quelques instants plus tard lorsque Rose-Marie revint s’asseoir sur le banc à côté de moi que je repris mes esprits…

Wiki, tu avais l’air fâché pendant un moment… Tu sais, je plaisantais et tout ce que je peux te dire c’est que je t’aime bien et que je me fiche de savoir ce que peuvent penser certaines personnes du village… Tu sais où elles peuvent aller si cela ne leur plaît pas ?

Nous restâmes assis côte à côte sur ce banc pendant un long moment, sans trop parler mais en échangeant de temps en temps quelques chastes petits baisers…

Quelle heure est-il Wiki ? J’ai promis à ma mère d’être rentré avant dix heures et je ne veux pas manquer à ma parole…

Il est 9h35 lui répondit-je en regardant le cadran de ma montre, si tu veux on peut y aller…

Nous nous levâmes et quittâmes le stade pour nous diriger, bras dessus, bras dessous, vers la petite route traversant le village en direction de la mairie-école, toute proche de la maison de ma compagne. 

Arrivés à la moitié du chemin, Rose-Marie s’arrêta soudain, me regarda, toujours en souriant et dit :

J’ai passé un bon moment avec toi ce soir Wiki, surtout lorsque j’ai plaisanté en parlant des diables d’étrangers ! Si tu avais vu ton visage à ce moment-là… !

J’esquissai un léger sourire et nous continuâmes notre route en silence jusqu’à sa maison. Arrivés à quelques mètres de chez elle, je lui demandais si on allait se revoir lors d’un prochain rendez-vous… Elle me regarda et répondit simplement :

Oui Wiki, avec plaisir, même jour, même heure, même endroit et cette fois ci, je te promets de ne plus faire de blagues douteuses…

Je répondis simplement OK et la suivit du regard jusqu’au au moment où elle disparut à l’intérieur de la maison.  

                                                  

https://static.blog4ever.com/2016/02/814449/artfichier_814449_6510845_201611135703298.jpg

Mon second rendez-vous avec Rose-Marie fût une copie conforme du premier.

Nous avons surtout parlé des choses du quotidien, de notre travail, de nos familles, et des sujets faisant partie de nos jeunes vies en général…

Je lui ai également raconté mes souvenirs d’enfant dans les camps en Allemagne pendant la guerre puis, de fil en aiguille nous avons bien évidemment reparlé des relations entre les habitants des baraques de la Ferme et de ceux du village…

Au fil de la conversation, je ne pût m'empêcher de demander une fois de plus pourquoi certains gens du village nous voyaient d’un si mauvais œil…

Nous ne leurs avions pas enlevé leur travail que je sache ?

La plupart d’entre eux travaillaient comme nous à la mine mais occupaient des postes bien meilleurs et souvent moins dangereux que ceux occupés par nos parents car la plupart des accidents mortels touchaient plus les immigrés que les autochtones…

Personnellement je n’avais aucun souvenir de villageois morts suite à des accidents à la mine pendant mes années à la Ferme alors que de nombreux ouvriers des baraques avaient donné leur vie lors d’accidents survenus dans les différents puits de mine de la région…

Rose-Marie n’avait pas vraiment de réponse à ma question…

Elle émit simplement l’idée que c’était peut-être dû à nos langues différentes de celle des villageois ou à notre façon de nous habiller qui ne correspondait pas aux « standards » des gens d’ici… Bref, rien de bien convaincant et je m’interroge encore aujourd’hui sur les véritables raisons de cette discrimination.

Bien évidemment ce rejet n'était pas une généralité et beaucoup de villageois, dont Rose-Marie, se comportaient correctement vis-à-vis des « immigrés » de la cité de baraques… Mais revenons plutôt à mon second rendez-vous avec ma « dulcinée »...

Entre deux baisers j’avais émis l’idée que nous pourrions nous revoir la semaine suivante mais Rose-Marie déclina poliment l’offre en disant qu’elle ne serait malheureusement pas disponible à ce moment-là car elle devait quitter le village pendant quelques jours…

Devant ma mine déconfite elle esquissa une fois de plus son plus joli sourire et me dit :  

Ne t’inquiètes pas Wiki, ne crois pas que je ne veux plus te voir ou qu’il y a quelqu’un d’autre dans ma vie… La raison de mon absence est bien plus simple !

Avec ma mère, nous allons rendre visite à ma tante qui habite à Dijon et que nous n’avons pas vue depuis très longtemps…

J’étais soulagé d’entendre cette explication qui balaya aussitôt mes craintes…

Tu sais Rose-Marie, pendant un moment j’ai vraiment cru que tu ne voulais plus me voir et que tu cherchais une excuse, répondis-je, visiblement soulagé…

Mais non Wiki, tu sais que je t’aime bien et à mon retour, le dimanche suivant, nous pourrions nous retrouver en début d’après-midi devant l’église du village puis aller ensemble au cinéma à Stiring-Wendel. Là-bas ils y a 3 salles et on trouvera bien dans l’une d’elles un film intéressant !

Les deux semaines suivantes furent pour moi un véritable calvaire qui semblait durer une éternité… Rose-Marie me manquait, ses tendres baisers et sa douce voix me manquaient et je sentais que le moment était venu pour que je prenne une décision concernant notre « avenir commun »…

 

* * * * * * * * * *

 

Le grand jour était enfin arrivé… Il était 1h moins 10 lorsque je retrouvais Rose-Marie comme convenu en face de l’ancienne église du village. Elle posa un rapide baiser sur ma joue et dit en souriant :

Alors mon ami, où allons-nous cette fois ci ? Tu sais que tu m’as beaucoup manqué pendant ces 2 semaines ? T’ai-je manqué également ?

Je me contentais à mon tour de sourire et lui répondit que ces deux semaines étaient également très longues pour moi mais que maintenant que nous étions de nouveau ensemble il fallait en profiter et voir ce qu’il y avait comme film intéressant au cinéma dans la ville voisine de Stiring-Wendel…

Par chance, le cinéma U.T., trop fréquenté par beaucoup de mes amis, ne proposait qu’un film de guerre, ce qui n’était assurément pas du goût de mon amie, mais le cinéma REX avait un film allemand avec Curd Jurgens à l’affiche et je savais que cet acteur était l’un de ses préférés…

Sans hésiter, Rose-Marie choisît le film allemand et nous prîmes la route de Stiring où nous arrivâmes juste à temps vers 15h pour la séance de l’après-midi.

 

rex.jpg

 

Le film en soi n’était pas mal. Rose-Marie semblait l’apprécier bien plus que moi car je regardais plus souvent son visage et ses douces lèvres que l’écran sur lequel se déroulait l’histoire… Une fois la séance terminée, nous décidâmes d’aller prendre un verre dans le petit restaurant situé à quelques mètres de la salle de cinéma. 

Nous prîmes place à une petite table à l’écart, Rose-Marie commanda un Cola et moi un demi de bière. Nous parlâmes longuement du film que nous venions de voir puis Rose-Marie me raconta le voyage qu’elle venait de faire à Dijon chez sa tante en compagnie de sa mère. Pendant qu’elle décrivait son périple, j’avais l’esprit totalement préoccupé par l’éventuel « arrangement » amoureux et « charnel » que nous pourrions trouver au sein de notre relation…  

Rose-Marie était à fond dans son récit mais s’arrêta soudain de parler pour me regarder d’un air dubitatif en disant :

Wiki, est-ce que tu écoutes ce que je te raconte ? J’ai l’impression que tu es totalement absent… ?

Elle avait vu juste, son Wiki était à des années lumières de Dijon…

Rose-Marie afficha soudain un air sérieux que je ne lui connaissais pas, prit une profonde respiration puis dit d’une voix grave :

Tu sais, c’est un moment difficile pour moi mais je pense qu’il faut qu’on en parle, car vois-tu, aujourd’hui c’était notre dernier rendez-vous…

J’étais abasourdi par ces paroles qui me prenaient totalement de court…

Que se passe-t-il Rose-Marie ? Y-a-t-il quelqu’un d’autre dans ta vie ? Est-ce ta mère qui veut empêcher notre relation parce que tu fréquentes un gars de la Ferme ? Pourquoi dis-tu que c’est notre dernier rendez-vous ?

Elle baissa ses yeux qui s’étaient entre-temps emplis de larmes et me répondit avec quelques sanglots dans la voix :

Non Wiki, il n’y a personne d’autre et cela n’a rien à voir avec ma mère. La raison est beaucoup plus simple, nous partons définitivement nous installer à Dijon où ma mère travaillera dans le petit magasin de chaussures que tient sa sœur…

J’étais totalement hébété par ce que je venais d’entendre et, pendant un moment, je me contentais de regarder Rose-Marie sans pouvoir dire un mot…

Partir à Dijon ? Et ton père ? Ton travail ? Votre maison à Schoeneck ? Veux-tu vraiment quitter tout cela…?

Rose-Marie serra ma main très fort et répondit d’une voix calme :

Aucun problème avec tout cela… Mon père a quitté ma mère lorsque j’avais 5 ans et nous ne l’avons plus jamais revu depuis… Pour ce qui est du travail, Dijon est une grande ville et j’y trouverais facilement du boulot, quant à la maison, grand-mère et mon autre tante resteront ici pour y vivre…

Dans ma tête, tout était confus et il me fallut de longues secondes avant de pouvoir réagir à cette annonce pour le moins inattendue… Je comprenais tout cela et, dans une certaine mesure cela simplifiait la situation. Plus besoin de me poser de questions quant à mon jeune âge et aux responsabilités d’un éventuel mariage… D’un autre côté, j’avais un sentiment d’abandon.

Dans ma tête les idées se bousculaient et « l’homme » qui sommeillait en moi prit maladroitement le dessus … Si c’était notre dernier rendez-vous pourquoi n’en profiterions-nous pas pour faire de ces derniers instants une aventure amoureuse disons… plus charnelle ?

N'osant par timidité aborder ce sujet, nous restâmes encore assis l'un en face de l'autre en silence pendant quelques minutes puis décidâmes de reprendre la route menant à Schoeneck…

Sur le chemin du retour nous marchâmes main dans la main en papotant gentiment de choses et d’autres, conscients tous deux que quelques chose s'était brisé à tout jamais…

Après la traversée du vieux Stiring, nous nous dirigeâmes vers la forêt entourant Schoeneck, forêt dans laquelle nous fîmes de nombreuses haltes sur des places ombragées où nous échangeâmes quelques derniers baisers et caresses…

Après plusieurs de ces « arrêts bisous », je pris mon courage à deux mains et dit à Rose-Marie :

Tu sais, j’ai vraiment besoin de toi, ça fait maintenant un bon moment que nous nous voyons, ne crois-tu pas que nous pourrions éventuellement…

Rose-Marie ne me laissa pas terminer ma phrase…

Je sais où tu veux en venir Wiki, je le comprends et sache que je t’apprécie beaucoup… Mais, vois-tu, la seule personne avec laquelle je partagerai ce moment-là sera celle avec laquelle je me marierai… Ne m’en veut pas, moi aussi je crois pouvoir te dire que je t’aime mais je préfèrerais que nous nous quittions en bons amis… Nous ne savons pas aujourd’hui ce que l’avenir peut encore nous réserver…

J’avais compris le message et lui présentais de sincères excuses. Oui, il valait mieux nous quitter en bons amis, peut-être que nos chemins se croiseront à nouveau un jour ou l'autre…

Tu sais Wiki, personne ne sait ce que la vie peut encore nous réserver comme surprises… Peut-être que d’ici quelques années nous nous retrouverons si nous sommes encore « libres » tous deux, on ne peut jamais être sûr de rien…

Tu as raison Rose-Marie, peut-être que nos destinées se croiseront à nouveau un jour…

Nous étions arrivés à l’entrée du village et c’est là que nos chemins allaient se séparer peut-être pour toujours… Je voulus une dernière fois prendre Rose-Marie dans mes bras pour l’embrasser mais elle recula en disant :

Pas ici Wiki, il y a des gens sur la route et cela me gêne…

Au diable avec les gens et ce qu’ils pourraient penser lui dis-je en la serrant contre moi et en l’embrassant longuement… Maintenant ils auront au moins un sujet de discussion… !

Nous étions arrivés à l’intersection de Forbach et de Stiring et le moment était venu de nous séparer… D’un commun accord nous décidâmes de continuer à nous écrire et à nous revoir lors d’éventuelles visites chez sa tante et sa grand-mère. L’ambiance était pesante et Rose-Marie s’approcha une dernière fois de moi en souriant et posa un tendre baiser sur ma joue en disant :

Cher Wiki, ceci n’est pas un adieu car j’espère te revoir un de ces jours… Tu resteras toujours dans mon cœur… Maintenant je sais que je t’aime… A bientôt…

Puis Rose-Marie tourna les talons et disparut par le petit raccourci qui traversait le cimetière. En cours de route elle s’arrêta 2 fois pour m’envoyer des baisers…

Je restais debout pendant de longues minutes la suivant du regard jusqu’à ce qu’elle disparaisse derrière les arbustes et les buissons longeant le petit chemin…  

Je n’ai plus revu Rose-Marie depuis ce dimanche et je rentrais chez moi avec des sentiments partagés. J’étais triste de savoir qu’elle partait mais en même temps heureux d’avoir trouvé chez cette fille une véritable amitié…

Nous avons échangé pendant quelques mois des lettres et des cartes postales...

Elle me racontait son quotidien à Dijon, me parlait de son nouveau travail et me fit part de son souhait de s'engager dans l’humanitaire au sein d'une association missionnaire en Afrique…

Je lui répondis par une dernière lettre dans laquelle je disais que j’espérais de tout cœur que ma « petite fille aux cheveux roux » trouve sa voie où que ce soit et que je continuais à l’aimer non comme un amoureux mais comme un ami qui pense très fort à elle et qui lui souhaite tout le bonheur possible…

 

EPILOGUE :

 

Je n’ai plus jamais eu de nouvelles depuis et je n'ai jamais su si elle est partie en Afrique ou ailleurs mais connaissant « ma » Rose-Marie et sa détermination, je suis certain qu’elle a réussi à trouver tout le bonheur qu’elle méritait… Streamwood, Juin 2001.

 

https://static.blog4ever.com/2016/02/814449/artfichier_814449_8752654_202009175937714.jpg

 

Ces pages devraient également vous intéresser :  

 

Extraits de l'ouvrage "Les couleurs du passé" Tome 2 dans Clément Keller - Récits 

La Ferme de Schoeneck années 50-60 

Les récits envoyés par nos ami(e)s dans Nos ami(e)s racontent... 

Initiatives citoyennes 

Les catastrophes minières dans le bassin houiller lorrain 

Ecole primaire de Schoeneck 

La Boutique en ligne Nostalgia dans Humour - TV 

Expressions en Platt 

Des plus récentes au plus anciennes... dans Dernières mises à jour 

Bienvenue dans le livre d'or Nostalgia ! 

Anthologie, un voyage musical dans le temps dans Anthologie-Blues du charbon 

La Lorraine et le Platt dans Menu culture régionale 

Clément Keller : sous le signe du poisson 

Clément Keller : Schoeneck, le beau coin (11) 

Schoeneck de A à Z (Cliquez sur la rubrique choisie) dans Schoeneck de A à Z 

La Halte Schoeneck et la cité du Bruch à Forbach 

Blek le Roc - Miki dans Blek le roc - Miki 

Em Clémau Sei Footzegge 

Souvenirs du bassin houiller... dans Menu général 

Schoeneck autrefois... 

Que les moins de 20 ans... dans Je vous parle d'un temps...

 



01/10/2023

Ces blogs de Littérature & Poésie pourraient vous intéresser

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 216 autres membres