Portrait :
Né en 1946 à Grande Rosselle en Allemagne, Walter débarque en France dans la cité de baraques du Bruch, un quartier de Forbach. A l’âge de 6 ans, départ vers Petite-Rosselle puis, nouveau déménagement de toute la famille à l’âge de 8 ans vers la cité ouvrière de la Ferme de Schoeneck où il vivra avec les siens jusqu’en 1964.
Elève à l’école primaire de Schoeneck, il passe avec succès son certificat d’études primaires puis intègre l’école des mines en août 1960.
Après une période d’apprentissage, Walter démarre sa carrière professionnelle au puits Gargan à Petite Rosselle. Malgré les difficultés et un travail harassant Walter s’accroche et entame une carrière de mineur ponctuée par un bref intermède de 2 ans aux aciéries de Rochling Völklingen en Sarre (Allemagne).
Il ré-intègre les H.B.L. et c’est à l’école des mines que le jeune Walter retourne pour se former au métier d’agent de maîtrise (Porion). Après 1 an de cours du soir au GRETA, le futur Porion Heitzmann use une fois de plus ses fonds de culottes sur les bancs de l’école des mines…
16 mois de formation au Puits 2 dans la ville de l’Hôpital débouchent sur le diplôme tant convoité d’agent de maîtrise fond.
Retour au puits Simon avec de nouvelles responsabilités dans les chantiers des dressant, puis, après la fermeture des dressants au puits Simon, nouveau challenge, le travail dans les puits avec la fonction d’About (Agent de maîtrise chargé de la sécurité du puits).
Walter termine sa carrière au puits Simon qu’il a connu avant, pendant et après la mécanisation et, en 1997 prend une retraite bien méritée…
A la fin de cette même année, le puits Simon ferme définitivement et Walter participe avec collègues de travail à la cérémonie de la remonte de la dernière berline de charbon extraite en veine Wohlwerth. Il nous fait part dans cette rubrique de quelques-uns de ses souvenirs.
Quand j’habitais au Bruch
J’ai habité pendant 15 ans dans les baraques de la mine, toute mon enfance, depuis l’âge de 2 ans. C’est au Bruch, un quartier de Forbach, où nous habitions à partir de 1948 dans une demi-baraque, allée des Frênes, pas loin du cinéma RIO où on allait voir les films de Zorro.
Je me rappelle encore quand j’avais 4 ans, à l’école maternelle pour les garçons, il y avait comme seul jouet un grand camion en bois qu’on tirait avec une ficelle. La maîtresse nous laissait jouer avec ce camion à tour de rôle, car tous les enfants ne voulaient que ce jouet...
A cet âge là, en été, maman faisait toujours notre toilette dehors, dans la rue à la pompe à eau. Cette dernière était rouge et la boule au dessus était de couleur or, car, dans les baraques, il n'y avait pas encore l’eau courante… A l’époque nous étions déjà 4 enfants (des années plus tard nous étions 12 frères et sœurs).
Mes parents hébergeaient aussi un neveu de mon père, Egon, venu d’Allemagne, qui allait avec lui travailler au puits St Charles. Comme il n’y avait que 3 chambres, une pour les parents, la deuxième pour ma sœur Sylvie et la troisième pour le cousin Egon, la mine nous a donné une chambre supplémentaire située chez nos voisins de la même baraque, un couple d’algériens assez jeune, sans enfants.
Dans cette chambre nous étions 3 garçons, mon frère Horst 9 ans, mon frère René, 5 ans et moi Walter, 6 ans. Dans la chambre il y avait une porte condamnée qui donnait sur la cuisine de nos voisins algériens et nous regardions très souvent a travers le trou de la serrure pour voir ce qui se passait de l’autre coté...
Maman m’a raconté plus tard que pour aller dans cette pièce, il fallait d’abord sortir de la maison puis passer par le cagibi dans lequel les HBL avaient installé une porte permettant d’accéder à notre nouvelle chambre. En hiver par grand froid ce n’était pas évident !
Dans cette chambre, une caisse en bois faisait office de table de nuit, évidemment sans lampe de chevet.
Sur le sommier du lit, mon père avait installé quelques sacs de pommes de terre vides en toile de jute qu’il avait remplis de paille pour en faire un matelas, puis, par dessus, un drap, une couverture et finalement la Steppdeck. Par grand froid, maman mettait dans notre lit deux briques enroulées dans les pages du France Journal (le Républicain Lorrain, version allemande) qu’elle avait chauffé dans le four de la cuisinière à charbon et on n’avait pas le droit de faire de bruit pour ne pas déranger notre voisin qui devait se lever très tôt…
Le matin avant de partir pour l’école, on buvait du Malzkaffee moulu dans le moulin à café à l’aide d’une manivelle et on avalait une tranche de pain sur laquelle on tartinait de la margarine Astra… Quant à la confiture, c’était de la Hartzschmeer, une spécialité sarroise de sirop de betteraves vendu dans des boites en fer de couleur jaune...
Tous ces souvenirs, et bien d’autres, vous marquent et restent gravés pour toujours dans la mémoire de ceux qui ont transité par ces cités. Pour les raviver, il suffit de lire les différents récits de tous ceux qui, comme moi, les ont vécu au quotidien...
Sophie, ma grand-mère paternelle
Ma grand mère Sophie Habitait à Petite Rosselle dans la rue Alexandre Hoffmann, c’était la rue située à la sortie du Puits St Charles où se trouve encore le Casino des HBL de l’époque ainsi que de grands immeubles collectifs. Mais dans les années 50, on appelait cette rue en patois ‘Die Gasse’...
Il y avait, de part et d’autre de la rue, sur environ 200 mètres, une longue barre de maisons à un étage toutes accolées, avec un tunnel tous les 50 mètres qu’on devait emprunter pour aller derrière ces maisons où se situaient une enfilade de petits cabanons numérotés : c’étaient les W.C ...
L’habitat était composé de 3 pièces, une cuisine au rez-de-chaussée et un escalier pour la cave permettant également de monter dans les 2 chambres à l’étage.
Dans un coin de la cuisine il y avait un lit en fer blanc avec, au dessus de la tête de lit, une grande croix accrochée au mur, et, au pied du lit, une vieille chaise percée en bois. Sous le lit une paire de ‘Schlappe’ (des pantoufles) appartenant à mon grand père André qui passait la journée dans ce lit, toujours vêtu de son pyjama rayé.
Il quittait occasionnellement sa couche, arque-bouté sur sa canne, pour aller s’asseoir à table, afin de prendre un repas, mais cela ne lui arrivait que très rarement...
Sur le rebord de la fenêtre il y avait deux ‘GrassStecks’ (des Asparagus en langage botanique) et, à coté de ces pots de fleurs, un bocal en verre rempli d’eau avec des coquilles d’œufs. Cela ne sentait pas l’eau de rose, mais c’était, d’après grand-mère, excellent pour les plantes.
Grand-mère Sophie était toujours habillée d’une robe et d’un tablier noir avec parfois, comme variante, de discrets petits pois blanc qui égayaient le noir de ses vêtements… Seul luxe apparent, une broche était toujours épinglée sur sa poitrine.
Elle avait de très long et très beaux cheveux qui lui tombaient jusque sur les épaules et c’est moi qui était chargé de les brosser en m’asseyant, à califourchon derrière elle, sur le dossier de sa chaise. Personne d’autre n’avait le droit de toucher cette chevelure sauf moi car j’étais son ‘Knecht’, son préféré.
Grand père avait souvent droit à des coups de poêle à frire sur la tête quand il lui arrivait de maugréer, hélas, le pauvre ne pouvait malheureusement pas se défendre !
Il était de nature généreuse avec moi et sortait son porte-monnaie de sous le coussin quand grand-mère était à l’étage pour me glisser discrètement la pièce...
J’étais également de corvée quand il s’agissait d’aller vider le seau des commodités en émail. Il fallait sortir par le tunnel qui menait au cabanon et là, il fallait le vider, le rincer puis le nettoyer sous un des robinets d’eau courante mis à la disposition des locataires.
J’ai de bons souvenirs de moments passés en compagnie de mes grand parents…
Pour aller au marché avec Sophie, on passait par le puits St Charles, devant la Kohlehalle (Halle au charbon) où l’on pouvait encore voir des attelages de chevaux utilisés pour livrer le combustible, puis on allait chez le laitier pour acheter du fromage blanc tout frais et goûteux…
En ce temps là, on n’avait pas besoin de grand chose pour apprécier son quotidien et se sentir heureux…
Nos jolies baraques
A la Ferme de Schoeneck, comme à la Halte ou à Simon sud, il y avait souvent de petits jardinets de fleurs autours des baraques. On y trouvait des dahlias, des cosmos, des rosiers, des iris et d’autres fleurs dont les semences, parfois emportées par le vent, fleurissaient même les fossés entre les baraques et la rue. Cette symphonie de couleurs égayait le quotidien et ajoutait quelques touches de gaîté dans la grisaille tristounette des baraquements en planches.
Mais l’intérieurs des baraques n’était pas oubliées non plus par les habitants… Pour les rafraîchir, les HBL, à part le charbon livré tous les ans, donnaient aux locataires des rouleaux de tapisserie pour les murs et de la peinture à l’huile de lin pour repeindre les portes, les fenêtres, les volets et les plinthes.
Cette distribution gratuite se faisait une fois tous les 5 ans pour les ouvriers et une fois tous les 2 ou 3 ans pour les employés. La distribution des bons se faisait au Service Immobilier et la récupération de la tapisserie, de la colle et des pots de peinture avait lieu au Service Bâtiment à Forbach derrière le Puits 3.
En ce qui concerne le papier peint, le choix était limité à 2 motifs (fleurs ou rayures) et le nombre de rouleaux était compté car les employés du bureau immobilier savaient exactement la quantité nécessaire à l’embellissement de chacun des 2 logements des baraques.
Contrairement à la maîtrise ou aux employés à qui les HBL déléguaient gratuitement un tapissier-peintre, les ouvriers devaient se charger eux-mêmes du travail de rénovation. Pour ce faire, il fallait tout d’abord couper aux ciseaux la bordure de chaque rouleau sur toute longueur. Cette opération devait se faire à droite ou à gauche du lé, suivant qu’on était droitier ou gaucher. Ensuite, on encollait les lés coupés à la longueur voulue et, avec plus ou moins d’adresse, on tapissait les murs avec les motifs choisis. Beaucoup d’habitants des baraques collaient en sous-couche des journaux sur le mur. La raison première était d’éviter les craquelures du papier peint dues aux mouvement des planches composant les cloisons car ces dernières n’avaient pas la stabilité d’un mur en pierre recouvert de plâtre…
Chez certains, la tapisserie s’arrêtait même à cette sous-couche, et j’ai vu un jour, pas loin de chez Marlier Christian, à travers une fenêtre ouverte, une chambre entièrement tapissée avec des pages du ‘Républicain Lorrain’ ! Peut-être n’avaient-ils pas droit au papier peint ou peut-être trouvaient-il cette déco à leur goût !
La peinture mettait également longtemps a sécher et l’odeur n’était pas des plus agréables, mais qu’importe, tout cela était gratuit !
La façade extérieure de la baraque de la famille Steigner, le porteur à domicile local du Républicain Lorrain, a même été tapissée un jour de papier journal mais, par respect pour nos lecteurs, je tairais le type de colle utilisée et l’odeur qu’elle dégageait… Quelques individus mal intentionnés s’étaient chargés de cette triste besogne durant la nuit de la Hexe Nacht (la nuit des sorcières) et je revois comme si c’était hier le pauvre Peeta (Pierre) avec le Chroubbat (le balai brosse) occupé le lendemain pendant une bonne partie de la journée à nettoyer sa façade tout en hurlant et en proférant des jurons dans sa langue maternelle : le luxembourgeois !
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