NOSTALGIA, le Blog qui fait oublier les tracas

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JL Miksa : La société des mineurs de Stiring-Wendel

Visite auprès du président de la société de secours des ouvriers mineurs de Stiring-Wendel le 09 mai 2017.

En ce mardi ensoleillé, Walter vient me chercher pour que nous nous rendions auprès de Monsieur Gilbert Baumstummler, président de la société de secours des ouvriers mineurs de Stiring-Wendel qui habite la même ville.

 

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A droite : Gilbert Baumstummler

 

L’accueil chez Gilbert est chaleureux, presque toute la famille nous reçoit et nous nous installons dans le séjour où très rapidement suivent les gâteaux et le café. Fils de mineur moi-même, je ne suis pas surpris par cette gentillesse qui règne dans les cités minières.

Je me présente et commence à poser des questions à Gilbert afin de tenter de cerner le personnage souriant qui est assis en face de moi. Il est âgé de 77 ans et a débuté sa carrière aux houillères du bassin de lorraine à 14 ans en entrant au criblage. A l’époque le triage du charbon se faisait à la main et les jeunes comme lui étaient embauchés pour cette tâche ingrate qui consistait à séparer les gros blocs de charbon des petits et de retirer de la bande transporteuse toute matière autre que le charbon.

Après deux années de ce dur labeur, il entre en apprentissage à l’école des mines du Puits Gargan à Petite-Rosselle, il me donne la date dont il se souvient comme si c’était hier : le 1er octobre 1954 très précisément. Il obtient son CAP de mineur à l’âge de 18 ans et débute sa carrière au fond de la mine dans le Puits Saint-Charles à Petite-Rosselle.

Il gravit les échelons et devient chef d’équipe, ce qui veut en dire long sur son tempérament. Il restera dans ce même Puits jusqu’en 1963. C’est l’année qui connait l’une des plus grandes grèves des mineurs. Sous les drapeaux à cette date, il est réquisitionné pour travailler à la production qui a fortement chuté.

Le temps passe et Gilbert sort de la production pour accompagner une entreprise extérieure aux houillères qui doit assurer la pose de rails au fond.

Il sera muté par trois fois pour se rendre dans d’autres sièges de production.

A Folschviller et à Faulquemont, chaque fois pour une durée de 2-3 ans, puis en fin de carrière il rejoindra le Puits Simon à Forbach. Il y sera affecté aux travaux neufs où il se consacrera durant 10 années à la production de charbon et 5 années comme boutefeu.

Hélas, lors d’un contrôle médical on détecte la silicose dans ses poumons. La médecine lui reconnait un taux d’invalidité de 5 pour cent pour cette raison. Dès lors sa hiérarchie le retire de la production pour lui éviter d’inhaler de la poussière de charbon. C’est ainsi qu’il continuera sa carrière de mineur de fond en assurant la maintenance des bandes transporteuses. Il exercera ce labeur pendant une période de 3 années environ, avant que la médecine du travail ne décèle une aggravation de son état de santé, augmente son incapacité définitive du travail pour la porter à 10 pour cent et lui montre la porte de sortie du monde du travail.

Il entre en pré-retraite en 1987 à l’âge de 47 ans. 

Gilbert a connu des temps forts durant sa période d’activité qui l’ont marqué. Il ne regrette en rien d’avoir exercé ce dur métier, malgré qu’il soit handicapé par la maladie professionnelle du mineur, la silicose. Il retient de ces années d’activité du fond les bons moments passés avec ses camarades. Mot qu’il répète, la camaraderie, ce n’était pas une utopie, elle était réelle…

Il n’oublie aucuns de ceux qui ont travaillé à ses côtés. Il parle du soir de Noël passé au fond de la mine de Folschviller où chacun a ramené ce qu’il avait de précieux, du bon pain et du jambon pour le partager avec ses camarades. Il me raconte qu’il avait vu son porion un peu gêné se débarrasser de son casse-croûte alors qu’ils allaient partager leur repas.

Curieux il est allé rechercher ce dernier qu’il a déballé et c’est aperçu qu’entre deux tranches de pain il n’y avait que quelques patates rôties, les temps étaient durs…

Il se souvient, alors qu’avec ses camarades ils creusaient un bure (galerie verticale qui rejoint deux galeries superposées), les appels au secours d’un jeune mineur qui leur disait que la galerie d’où il vient connaît une importante voie d’eau. Il faut faire vite, la galerie risque d’être entièrement inondée. Sans hésiter son équipe traîne péniblement une pompe d’aspiration Woco qui fonctionne à air comprimé vers le lieu de l’inondation. Malheureusement alors qu’ils arrivent près de l’endroit, un effondrement rend leur progression impossible.

Ils frappent sur les tuyaux métalliques espérant obtenir une réponse … après un court instant ils entendent des coups frappés sur les mêmes tuyaux. A cet instant il y a encore des survivants de l’autre côté de l’effondrement, au même moment les secours arrivent, ils doivent quitter la place pour les laisser travailler… Il y a eu trois morts ce jour-là… son œil se mouille, il se tait, nous respectons tous cet instant de recueillement.

Puis il raconte comment il aurait pu y rester lui aussi, le jour où il est descendu avec ses camarades pour foncer un Puits (approfondir le Puits de Faulquemont, en creusant le fond et en bétonnant les parois). Le fonçage d’un Puits est une lourde tâche, les conditions de travail étaient rendues plus pénibles encore du fait de l’humidité qui régnait dans les lieux. Comme à chaque jour, avec son équipe il emprunte un Cuffat (sorte de grande marmite qui peut contenir plusieurs hommes et qui est reliée par un seul câble à un treuil pour la descente et la remonte) pour atteindre le fond. Ce dispositif passe au travers d’un plancher où une trappe rabattable permet son passage. A un moment donné, ils donnent le signal pour remonter le Cuffat qui est chargé des déblais et, à peine arrivé au-dessus du plancher de réception, le préposé rabat la trappe, c’est alors que le câble cède et le Cuffat lourdement chargé s’écrase sur la trappe. Gilbert remercie le préposé qui en agissant de la sorte leur a sauvé la vie, lui et son équipe étaient juste en dessous à plusieurs dizaines de mètres… il souligne la qualité de l’installation qui n’a pas cédé !

La société de secours des ouvriers mineurs de Stiring-Wendel a été créée en 1900 pour venir en aide aux mineurs qui tombaient en maladie et dont les 3 ou 4 premiers jours d’absence n’étaient pas rémunérés par l’employeur. La société leur versait une petite somme d’argent pour compenser un peu cette perte financière. Cette société forte de plus de 500 membres à ses débuts, dont le père de Gilbert qui en a même assuré pendant un temps le poste de secrétaire. C’est tout naturellement que lorsqu’il débute au criblage que son père l’incite à adhérer à la société. Gilbert ne quittera jamais plus cette société qui dans les années avant la fin de l’extraction charbonnière comptait encore près de 300 membres.

Aujourd’hui 199 membres en font partie, ainsi qu’une vingtaine de sympathisants (les membres cotisent pour une assurance décès alors que les sympathisants ne peuvent plus y adhérer).

Il a été encaisseur pendant un très grand nombre d’années avant de se présenter à la présidence. Toutes ses actions sont effectuées à titre bénévole, il ne s’octroie aucune compensation financière pour les frais engendrés par ses différentes responsabilités.

Il met un point d’honneur à les régler de sa propre poche.

La société comptait 10 présidents avant son élection, il en devient le 11ème en 2003 et se souvient du temps où la société pouvait se permettre de distribuer de petits cadeaux lors d’évènements tels le mariage d’un membre, les noces de 25 ans de mariage ou lorsqu’un adhérent atteignait une ancienneté de 50 ans dans la société, et d’autres petites occasions qui méritaient récompense amicale. Les élections des miss mineurs, les fêtes et banquets, la joie toujours intacte de retrouver les membres des sociétés de mineurs.

La société de Stiring-Wendel a toujours participé à des manifestations minières, tant en France qu’en Sarre. Voici une partie non exhaustive des commémorations qu’elle suit régulièrement :

- 07 février, catastrophe de Luisenthal en 1962 - 299 victimes.

- 25 février, catastrophe du Puits Simon en 1985 - 22 victimes.

- 15 mars, catastrophe du Puits Vuillemin en 1907 – 83 victimes. Cérémonie le matin au cimetière de Stiring-Wendel ou reposent les 7 mineurs de la ville (au même monument à Petite-Rosselle reposent 30 mineurs de la ville. D’autres villes touchées par la catastrophe ont elles aussi le même monument). Cérémonie l’après-midi à la stèle du Puits Vuillemin même à Petite-Rosselle.

- 24 septembre, grande messe annuelle pour la commémoration de toutes les victimes de la mine.

- 30 septembre, catastrophe du Puits Vouters en 1976 – 16 victimes.

- 16 novembre, traditionnelle messe de la Sainte Barbe et banquet de la Société.

La société participe bien sûr à de nombreuses autres manifestations avec les autres sociétés de mineurs de la région et de la Sarre toute proche.

Gilbert est très investi dans son action de président qu’il mène malgré son âge avancé d’une noble et respectueuse manière vis-à-vis de la corporation.

Dans sa bouche le mot respect a de la valeur, les célébrations sont sérieuses, la gravité des catastrophes est ressentie pendant le déroulement de celles-ci.

Mais c’est aussi un homme qui bouge, qui regarde l’avenir avec plaisir.

Lorsqu’il a pris la présidence de la société en 2003, lors d’une commémoration il a vu les jolis costumes des mineurs de Bexbach en Sarre, aussitôt il a voulu changer ceux de sa société. Les chemises noires ne sont plus d’actualité et chaque membre en choisi une selon ses goûts.

Les cravates, qui sont obligatoires, sont passées du jaune au bleu.

Aujourd’hui il fait confectionner des teeshirts avec écusson aux couleurs de la société.

Les quelques membres féminins se verront attribuer un magnifique foulard bleu intense avec le même écusson (le tissu a été choisi par le président lui-même). Il a aussi participé à la réalisation du dernier drapeau de la société en 2007 et en est fier.

Gilbert est un peu triste en constatant que les jeunes se désintéressent des sociétés de mineurs, sauf ses deux enfants (pourtant non mineurs) qui sont dans la société de Stiring-Wendel. Gilbert nous annonce qu’il pense arrêter ses fonctions en 2018 après 15 ans de bons et loyaux services et il dit avec un grand sourire empreint de fierté : le prochain président sera l’un de mes fils, Jean-Claude (époux de Marie-Rose) nous serons alors président de père en fils !  

Il poursuivra alors paisiblement sa retraite dans son beau logement où trône majestueusement une statue de Sainte-Barbe qui lui accorde généreusement sa protection.

Bien entendu, tant que ses forces le lui permettront, il participera à toutes les manifestions honorant les mineurs.

M. Baumstummler est décoré de deux médailles du mérite. La première décernée par Union Nationale des Combattants pour son activité de porte-drapeau et la seconde pour son activité d’encaisseur. Glück auf !

 

Ci-après le nouveau drapeau et les deux anciens rescapés à ce jour que possède la société.

 

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1er drapeau  

 

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2ème drapeau 

 

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3ème et actuel drapeau

 

Nul ne sait ce que sont devenus les autres drapeaux, disparus avec les guerres et le temps.

Il y en avait cinq en tout :

Le 1er : 26/06/1904, le 2ème : 17/06/1923, le 3ème : 21/07/1947, le 4ème : 04/12/1947

 

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Foulard des dames membres de la société

 

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Assis : Mme Inge et Mr Gilbert Baumstummler.

Debouts : Marie-Rose (belle fille de Inge et Gilbert) et Walter Heitzmann,

mineur et membre de la société.

 

Les présidents successifs de la société :

 

- 1900-1903 : M. Lauer Jacques

- 1903-1904 : M. Schneider Charles

- 1904-1906 : M. Quint Theodor

- 1906-1909 : M. Funck Pierre

- 1909-1920 : M. Hammann Nicolas

- 1920-1926 : M. Stark Charles

- 1926-1935 : M. Krack Gustav

- 1935-1977 : M. Ostermann J. Pierre

- 1977-1978 : M. Ostermann René

- 1977-2003 : M. Ostermann Albert

- 2003          : M. Baumstummler Gilbert

 

Reportage réalisé par J-L Miksa le 12/05/2017.

 

Pour finir, en cadeau pour nos amis mineurs d'ici et d'ailleurs, la chanson Charbon :

 


→ INFO :

Si d'autres associations de mineurs locales souhaitent participer à un reportage, elles sont évidemment les bienvenues. N'hésitez pas à nous contacter par mail !

 

Lire les autres récits de Jean-Lucien Miksa :

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17/05/2017

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