NOSTALGIA, le Blog qui fait oublier les tracas

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Gabriel Monnet

J’ai écrit ce texte en 2004 d’après les témoignages de mon ami Gabriel Monnet avec lequel j’ai travaillé pendant des années à Sarrebruck. Les souvenirs qu’ils m’a confié à l’époque se recoupent avec les récits de Cécile Faber et de Rose Klassen c’est pourquoi j’ai trouvé pertinent de les intégrer dans notre série sur l’exil vers la Charente. J’ai également joint les photos qu’il m’avait confiées à l‘époque. Gaby a aujourd’hui 86 ans, bon pied, bon oeil  et vit toujours à Stiring-Wendel. Clément Keller, juin 2016.

 

Gabriel Monnet

Troisième et dernier enfant de Michel et Catherine Monnet, Gabriel Monnet est né le 1er octobre 1930 rue de la république à Stiring-Wendel à une époque où les enfants naissaient encore à la maison. A partir de 1936 il emprunte le long chemin qui mène, les jours de classe, à l’école du vieux Stiring.

Jusqu’en 1940 il apprend le français à l’école avec interdiction de parler allemand. Une fois revenu de Charente, la Lorraine est rattachée à l’Allemagne et les écoliers apprennent cette fois l’allemand avec interdiction de parler français !

Seul point positif pour le jeune Gabriel, plus besoin d’aller à l’école du vieux Stiring, mais à l’école du centre beaucoup plus proche de son domicile. Sorti de l’école allemande en 1944, Gabriel Monnet apprend son métier chez M. Luc Adolphe, maître-tailleur, alors que les cours de l’école professionnelle sont de nouveau en  Français ! Drôle de région que cette Moselle-Est, aimée plus que tout par ses habitants !

L'évacuation

Nous avons été évacués vers Château-neuf en Charente en automne 1939. Nous sommes partis avec M. Maldener avec son cheval et sa grosse charrette en emportant peu de bagages. Arrivés à Delme à bord de camions de l’armée nous avons repris le lendemain le train direction Charente et je me souviens que l’évêque de Metz distribuait du chocolat aux enfants. Une fois arrivés en gare de Château-neuf nous avions le choix entre la ville et la campagne. Ma mère, native d’Alsting choisit spontanément la campagne sous prétexte qu’on y trouvait plus facilement à manger.

C’était l’automne et les viticulteurs avaient besoin de bras pour faire les vendanges auxquelles participaient tous les adultes. Nous fûmes tout d’abord nourris par les autorités, puis, on nous donna de l’argent avec lequel nous allions pouvoir nous débrouiller tout seuls. Pour nous les enfants, l’intégration fût relativement facile et nous nous fîmes rapidement des amis. Les adultes, eux, se faisaient souvent traiter de ‘boches’ parce que la plupart des réfugiés ne parlaient pas français et ne pouvaient de ce fait s’entretenir avec les allemands.

C’était oublier que de 1871 à 1918, la Lorraine était annexée à l’Allemagne et cela, ils n’y pouvaient rien... 

Petit à petit, la vie s’organisait à Château-neuf. M. Lang, du Café à la rose a ouvert un bistro et je me souviens que vers le mois d’octobre 1940 quelqu’un avait écrit un poème dont je me rappelle un fragment :

‘Adieu Charente et Vienne… nichs wie Hemm ! (Adieu Charente et Vienne, vivement le retour à la maison !).

Hélas, en rentrant à Stiring, tout le logement était sens dessus-dessous. Beaucoup de choses avaient été volées par l’organisation Todt ou par les gens qui ont construit les Bunkers et qui avaient également fait sauter la maison Hauter, bâtie rue Jeanne d’arc.

La gelée de mûres

En Charente, les gens de Château-neuf croyaient que les mûres avec lesquelles les femmes de chez nous faisaient de succulentes gelées étaient indigestes et la Baronne, qui habitait à St Surain, n’en mangeait jamais de peur d’en mourir !

Les premiers soldats allemands

Le 24 juin 1940, nous jouions près du pont de la Charente, quand soudain arrive un Panzerspähwagen (un blindé léger sur roues) d’où descendit un soldat allemand qui se dirigea vers moi et me demanda où était le BürgerMeisterAmt. Voyant que je ne connaissait pas ce mot, il me demanda alors où était la Mairie

Entre-temps, mon copain de Château-neuf avait pris la fuite de peur de se faire embarquer par les soldats allemands. Il n’en crût pas ses yeux lorsqu’il me vit rentrer sain et sauf à la maison ! Suite à cet événement, les troupes allemandes sont venues en ville. Ils laissèrent leurs camions sur une place et défilèrent en rang, chantant à plein poumons Oh du Schoener WesterWald

Ils étaient en uniforme et avaient de rutilantes bottes de cuir aux pieds, mais la rumeur courrait que ce n’était que du carton !  

Le sport, les spectacles et les divertissements 

Lors d’un match de foot ’amical’ entre soldats allemands et une équipe locale, un des soldats m’a remis de l’argent pour aller lui acheter des Apfelsinnen. Je reconnaissais le mot Apfel (Pomme) mais malgré ma connaissance de notre Platt, ce mot m’était aussi étranger que celui de BürgerMeisterAmt. Je courût aussitôt à la maison et ce fût ma mère qui m’expliqua qu’il s’agissait simplement d’oranges…

La relève de la garde au ParadeMarsch (Pas de l’oie) exécutée devant la mairie rebaptisée Palais de justice et Kommandatur était également un spectacle très prisé par les gamins. Une autre fois, nous, les jeunes réfugiés avions joué une pièce de théâtre et j’étais fier de faire partie de la troupe. Après guerre, j’ai d’ailleurs intégré le cercle culturel de Stiring-Wendel dans la troupe de théâtre local.

Après un court séjour à la campagne, la famille Monnet intègre un appartement en ville chez un dentiste car les enfants évacués devaient malgré tout être scolarisés.

A côté du dentiste habitait un marchand de bois, charbon et boissons et le chauffeur  chargé des livraisons emmenait régulièrement le jeune Gaby dans ses tournées pour lui faire apprécier la région.

Une fois par semaine ils prenaient la direction d’Angoulême, et après quelques voyages, Gaby le lorrain pure souche, maîtrisait le ‘parler’ avec l’accent charentais comme s’il était né là-bas...

Le 'Platt'

A l’époque il était interdit aux élèves de parler le Platt (le francique) à l’école. Les contrevenants à la règle recevaient ’le bouchon’ et, ceux qui étaient en sa possession après la récréation recevaient une punition. Un jour, alors qu’une voiture s’était couchée sur le côté du trottoir, le jeune Gaby commente l’incident et prononce le mot ’Trottoir’… Il reçut aussitôt le fameux ’bouchon’ mais échappe tout de même à la punition car, par chance, le mot ‘Trottoir’ était le même en Platt qu’en Français !

La propagande

La propagande faisait partie intégrante de la stratégie nazie et je me souviens des nombreuses phrases-clé inlassablement répétées par le régime. 

Denke Deutsch, Handle Deutsch, Sprich Deutsch ! (Pense allemand, agit allemand, parle allemand !)

Der feind hört mit ! (L’ennemi écoute)

Verladet Schnell, Räder müssen Rollen für den Sieg ! (Chargez rapidement, les roues doivent tourner pour la victoire !)

Kohlenklau ! (voleur de charbon, dans le sens anti gaspillage de l’énergie)

La popotte

La popotte (FeldKüche) était installée place de l’église St Pierre à Château-neuf, et, un jour, le soldat qui s’occupait de la cuisine voulut me donner 4 plaquettes de beurre que je refusais parce que l’on m’avait dit que les allemands empoisonnaient les aliments. Du brauchst keine Angst zu haben, die Butter ist nicht vergiftet ! (Tu n’as pas besoin d’avoir peur, ce beurre n’est pas empoisonné !) me répondit-il… Malgré cette justification et, au grand désespoir de ma mère, j’ai refusé ce cadeau royal...

La guerre

Drôle de période… Lorsqu’il y avait des alertes nocturnes après minuit, nous avions classe à 11h du matin. Je me souviens parfaitement du premier bombardement de Saarbrücken, nous n’allions même pas dans les caves car nous n’étions pas conscients du danger. Par la suite, les autorités nous ont obligé à nous réfugier dans les caves pendant les alertes et à masquer les fenêtres avec des VerdunklungsRollos (rideaux pour occulter la lumière). Un jour, alors que nous jouions dans la forêt, lors du bombardement du Habsterdick, la DCA allemande toucha un bombardier américain en plein dans son chargement de bombes. Le pilote lâcha toute sa cargaison ce qui fit beaucoup de morts.

Les débris tombèrent un peu partout, même sur la ligne de chemin de fer près du moulin à scories.

Pendant la période dite KellerZeit (le temps des caves), certaines personnes sont allé habiter le FelsenBunker (Bunker creusé dans la roche), situé au-dessus de l’actuel chalet des amis de la nature. Je me souviens également d’un officier allemand qui, courant février 1945, voulait encore gagner la guerre et fût tué par les américains le 3 mars 1945. La poignée d’hommes qu’il commandait n’avait plus le moral et s’était rendue les mains sur la tête. 

 

 

Béret interdit, travail obligatoire

Je me souviens être sorti de l’église, la tête coiffée d’un béret… Un policier allemand me l’a enlevé de la tête et m’a signifié que je devais en référer à mon père car le port de ce type de coiffure était interdit. Malheureusement cela m’était impossible car papa était décédé depuis le 1er janvier 1938... L’envahisseur nous obligeait également à nous inscrire aux jeunesses hitlériennes et ma mère avait réussi à repousser cette échéance jusqu’en 1943. Après cette date il ne fût, hélas, plus possible d’y échapper. Quand à ma sœur et à mon frère, ils furent obligés de partir au Arbeitsdienst (service de travail obligatoire) où on les équipa d’une bêche. Ma sœur fût libérée de cette contrainte après quelques mois et, après environ, une année de travail, mon frère fût incorporé de force dans la Wehrmacht. Suite à une blessure reçue au front russe, il fût envoyé en convalescence et n’a plus ré-intégré les rangs de l’armée devenant ainsi déserteur aux yeux des autorités allemandes. Après un certain temps, un vieux policier allemand de Stiring est venu annoncer à ma mère que mon frère n’avait pas ré-intégré son unité. Ma mère se mit à pleurer et commença à lui faire des reproches en lui demandant ce qu’ils avaient fait avec son fils… Le policier, ému, consola ma mère en lui tapotant doucement l’épaule. Il ignorait bien entendu que le frangin était caché dans la pièce à côté et risquait de ce fait d’être fusillé pour trahison s’il avait été découvert. Heureusement que le brave policier ne fit pas de zèle ce jour là !

Les dangers au quotidien

Pour nous ravitailler en eau potable nous allions au Schalkenthal puiser l’eau à un puits installé par les allemands lors de la construction des Bunkers. Malheureusement, un jour, un jeune homme fût tué par un éclat d’obus et nous allâmes ensuite chercher de l’eau au puits Sainte Marthe, inconscients du grand danger encouru, debout dans un équilibre précaire sur un madrier posé au dessus de l’ouverture du puits... Malheureusement, cette eau n’était pas potable et ce n’est qu’après qu’une personne soit tombée malade que nous sommes allé s dans la jardinerie Huppert, où travaillait ma sœur, pour nous ravitailler en eau potable.

Un autre jour, nous fûmes victime d’un obus à air comprimé StalinOrgel’ qui détruisit toute une dépendance de la maison. Sous l’effet de la pression, toute la suie contenue dans la cheminée sortit par le fourneau à charbon et nous nous sommes retrouvés noirs de suie comme des ramoneurs, sans parler de la soupe au Tapioca que nous étions en train de manger !

Lors d’un bombardement, un Blindgänger de 300 kg (Bombe non explosée) tomba dans la maison Reinert, dégringola par les escaliers jusqu’aux portes de la cave dans laquelle était réfugiée toute la famille, heureusement sans exploser...

Manger et trouver de la nourriture

Pendant la période où les américains ont arrêté le front, la popote allemande avait été transférée dans la cour du 105 rue nationale et depuis ce jour, nous avions toujours à manger. Le jour de noël 1944, comme j’avais 14 ans, je reçu en cadeau des denrées introuvables dans les magasins ou chez les fermiers. Pour avoir du pain, il fallait faire la queue dans les différents magasins et présenter des tickets de rationnement. Nous allions également Hamstern (comme le hamster, qui stocke la nourriture dans ses bajoues) à Alsting en vélo pour essayer de mettre la main sur un peu de graisse ou du lait. Vers la fin de la guerre, nous n’avions plus de pneus à nos vélos et nous les avions remplacé par des morceaux de tuyau d’arrosage fixés avec du fil de fer sur les jantes. Bien entendu, en roulant, le fil de fer cassait et les tuyaux s’allongeaient… On revenait la plupart du temps à pied en poussant notre vélo qui roulait sur la jante !

Camp de prisonniers

Il y avait un camp de prisonniers Russe à l’endroit où se situe l’actuel espace Rémy Botz et un cimetière Russe dans la forêt. Lorsque nous allions à la messe à la chapelle du Habsterdick, nous donnions des casse-croûtes aux prisonniers affamés, ce qui était formellement interdit par l’occupant.  

Les américains arrivent !

Dans la matinée du 3 mars 1945, mon futur beau-frère est parti après être resté presque 3 mois chez nous et s’est réfugié en compagnie d’un soldat allemand dans le Bunker situé à hauteur du chalet des amis de la nature.

Les américains, qui avaient avancé entre temps jusqu’au Bunker, les ont délogé avec une grenade, heureusement sans faire de blessés. L’après-midi de ce même jour, installé à mon poste d’observation habituel, la lucarne de la cave, j’ai vu arriver les premiers soldat américains… J’ai aussitôt averti ma famille en disant : Die Amerikaner kumme ! (les américains arrivent !). Une fois arrivés dans la maison au 105 rue nationale, ils ont rassemblé tout le monde sur le trottoir sous un tir d’artillerie allemande. Après une courte concertation, ils ont laissé redescendre les femmes et les enfants dans la cave et ont emmené les hommes adultes trois maisons plus loin.

Après les troupes combattantes, a suivi l’intendance qui nous a distribué du Chewing-Gum mais nous ne savions même pas ce que c’était ! Contrairement aux allemands, les américains avaient des rations en abondance et, parfois ils ouvraient les caisses pour n’en sortir que les cigarettes et les préservatifs et ils jetaient le reste dans le Kohlekaschte, le petit chariot posé devant le fourneau et dans lequel nous mettions le charbon. On se dépêchait évidemment de récupérer tout ce qu’ils jetaient pendant leur absence !  

L'Europe 

Grâce à des hommes qui pensaient ’Européen’, comme Jean Monnet, Robert Schuman, Charles de Gaule, Konrad Adenauer, De Gaspérini et beaucoup d’autres, nos deux nations sont devenues amies et aucun conflit entre français et allemand n’a eu lieu depuis presque 60 ans.

Un des premiers objectifs que se sont fixé les membres de la communauté était la paix et il semble que cet objectif ait été atteint, hélas, uniquement au sein de l’Europe car beaucoup de guerres continuent à faire rage de par le monde. Est-il réaliste de rêver un jour d’une communauté mondiale où les conflits auraient disparus ? Les hommes et les femmes de la génération qui a connu et subi les horreurs et la misère de ce dernier conflit savent mieux que tous ce que signifie le mot Paix et resteront toujours d’ardents défenseurs de l’amitié entre les peuples.

 

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24/06/2016

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