NOSTALGIA, le Blog qui fait oublier les tracas

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Clément Keller : Bière qui coule n'amasse pas mousse...

L’ami Fritz, que nos lecteurs commencent à connaître au fil de mes récits, avait réussi à trouver du travail dans une entreprise de chauffage en Allemagne, c'est à dire à quelques kilomètres de la Ferme, puisque la frontière passait dans la forêt qui entourait la cité.

Fritz était un des rares habitants de la Ferme de Schoeneck qui ne travaillait pas à la mine. En réalité sa philosophie de vie consistait surtout à économiser son énergie pour se consacrer à des tâches autrement plus agréables telles que glander, aller au bistro avec ses copains, parler de tout et de rien et vivre au jour le jour à condition que la bière continue de couler à flots...

Il avait bien fait une tentative d'approche du travail et même monté sa propre entreprise avec un vague cousin et un autre camarade de beuveries, mais, suite au non-paiement des charges sociales, des impôts et des caisses de retraite, cette société à caractère éphémère fut rapidement mise en liquidation et déposa après quelques années son bilan.

Pour être tout à fait clair, les seules caisses que le Fritz payait sans regarder à la dépense, c’étaient les caisses de bière, sa boisson préférée.

Suite à ses démêlés avec l’administration et le fisc, le tribunal de commerce l'avait condamné à payer les sommes dues et assigné à résidence avec interdiction de quitter la Moselle et le territoire français pour éviter qu’il se carapate à l’étranger.

Sa soif permanente et le manque cruel d’argent permettant de l’étancher l’avaient rapidement incité à transgresser ces obligations et, grâce à son bagout habituel, il avait trouvé un travail, évidemment non déclaré, dans une entreprise allemande située à quelques kilomètres de la cité de baraques… 

Pour se rendre chez son employeur, il partait tôt le matin sur sa bicyclette et traversait clandestinement la frontière par la forêt située en haut du village, endroit que les autochtones appelaient poétiquement ‘le Paradis’.

Il faut dire qu’à l’époque, il existait encore une véritable frontière entre la France et l’Allemagne avec des contrôles quotidiens et une ribambelle de gentils douaniers habillés de beaux uniformes bleus chargés de veiller au grain. Mais ceci est une autre histoire, dont je vous parlerai dans un prochain récit…

Revenons, si vous le permettez, à notre ami Fritz et à son vélo de compétition entièrement assemblé à la main à partir de pièces diverses et variées récupérées au gré de ses pérégrinations.

Afin de passer totalement inaperçu et d’éviter ainsi d’éventuels contrôles, il faisait quotidiennement ce trajet tous feux éteints, dans la plus grande discrétion possible en empruntant des chemins forestiers peu surveillés.

Il connaissait d’ailleurs parfaitement la route ainsi que la longue descente qui débouchait dans la banlieue de Sarrebruck, pas très loin de la piscine où se situait également l’entreprise de son employeur du moment..

Il y travaillait depuis quelques semaines lorsqu’il tomba subitement malade suite à une cuite mal soignée. Fritz décida de rester pendant quelques jours à la maison afin de se requinquer en buvant force grogs chauds qui de toutes façon n'auraient jamais eu le temps de refroidir…

- Rien de del gu’un bon krog pien jaud aveg du Chnaps bour Kompadre la Freck , dout le reste z’est des gonneries ! (1)

Disait-il avec son plus bel accent allemand à qui voulait bien l’écouter…

La cure de grogs semblait lui réussir et, quelques jours plus tard, après avoir vaillamment combattu la maladie et fait grimper dangereusement son taux de gamma GT, Fritz décida qu'il était temps de reprendre le boulot.

Après un frugal petit déjeuner arrosé d’un verre de Kiravi (2), il prépara sa musette en y enfournant son stock de canettes de bière pour la journée puis enfourcha son vélo et prit la route habituelle tout en chantant à tue-tête afin que la cité endormie se rende bien compte qu’il était guéri et qu’il partait au travail…

Il pédala pendant une dizaine de minutes et arriva sans trop d’efforts en haut du village, à la lisière de la forêt menant vers l’Allemagne.  

Ce qu'il ignorait, c'est que pendant son ‘congé de maladie’, la douane allemande avait fait monter une barrière métallique qui barrait le chemin et empêchait de ce fait le passage de tout véhicule.

Fritz sentait la brise matinale lui fouetter le visage dans la longue descente qui menait à Sarrebruck. Il chantait à tue-tête et pédalait de toutes ses forces pour se griser de vitesse lorsque soudain, un choc d'une violence inouïe arrêta son vélo, le projeta à plusieurs mètres par-dessus ce dernier et le fit tomber lourdement dans le fossé qui longeait le chemin.

Il resta à terre pendant de longues secondes, complètement sonné sans comprendre ce qui venait de lui arriver…

 

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La suite de l’histoire, c’est son fils, Richard qui nous l’a raconté le lendemain de cette sortie vélocipédique mémorable :

 

- Tu te rends compte, il a tapé en plein dans la barrière ! Il était au moins à 40 à l'heure dans la descente... Quand il est rentré, j'croyais d’abord qu'il revenait de la guerre tellement il était arrangé ! Si t'avais vu son vélo, même un ferrailleur ne l'aurait pas récupéré, ça ressemblait à une sculpture métallique moderne ! Tous ses vêtements étaient en lambeaux, mais d'après lui, le pire c'est que les trois canettes de bière qu'il avait dans son sac pour la journée n'ont pas résisté au choc, et, d'après la couche de boue et la saleté sur son visage, je pense qu’après la chute, ça m'étonnerait pas qu'il ait paré au plus pressé en léchant le sol pour ne pas en perdre une goutte !  

 

L’ami Fritz mit quelques jours à se remettre de ses émotions et ne reprit évidemment plus son travail. Puis, un matin, à l’heure de l’apéro, il convoqua tous ses amis de beuveries de la Ferme à une réunion d’information sous le marronnier du fermier-épicier-bistrotier Muller.

C’est devant la fine fleur des poivrots de la cité, attablés devant des canettes de bière qu’il fit, d’une voix de stentor et avec force gestes, un rapport circonstancié de son aventure avec, à ses cotés trônant tel un trophée, les restes de ce qui fût jadis son vélo…

 

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La ‘conférence de presse’ dura jusqu’aù milieu de l’après-midi et le père Muller fit ce jour là son meilleur chiffre d’affaires de l’année. Quand à ceux qui auraient pu, comme saint Thomas dans l’évangile, douter de la véracité de ses dires, le gros Fritz répondait simplement en montrant ses plaies et ses bosses : 

- Et za ?Du grois gue che l’ai vait en me rassant le madin (3) ?

Et, devant de tels arguments imparables, ils ne purent que se ranger à l’avis du grand philosophe Montesquieu qui disait :

- Il est des choses que l'on finit par croire à force de les entendre répéter…

Sans se démonter, Fritz, l’aventurier du jour, continua à narrer sa saga devant un auditoire de plus en plus éméché, inventant au fil des bouteilles qui défilaient des détails qui le transformaient petit à petit en un glorieux héros du travail ayant risqué sa vie pour nourrir sa famille… Quel homme et quel courage !

En Russie, à l’époque communiste, on aurait organisé une grande fête au Kolkhoze et probablement remis une décoration officielle à ce vaillant camarade ouvrier... 

Mais ici, dans les baraques de la Ferme de Schoeneck, on n'avait jamais vu de Kolkhoze et les seules décorations qu'on connaissait étaient celles qui ornaient les sapins à Noël. 

Par contre, toutes les occasions étaient bonnes pour faire la fête… Et dans ce domaine, le gros Fritz était passé maître !

Santé ! Prosit ! Cheers ! Na zdrowie ! Skol ! Tchin Tchin !

 

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A tout hasard, à l’attention des lecteurs non habitués au langage fleuri du Fritz, voici la traduction française de ces citations mémorables :

(1) Rien de tel qu’une bonne boisson chaude pour combattre efficacement un refroidissement, tous le reste n’est que littérature…

(2) Kiravi : une marque aujourd’hui disparue de jaja, de gros rouge qui tache, un vin du peuple en litron étoilé… Lorsque la femme du Fritz lui reprochait de trop boire de bière il rétorquait :

- Z’est bas frai, du vois pien gue de demps en demps che pois du Guirafi ! (4)

(3) Idem : Et ça, tu crois que je l’ai fait en me rasant le matin ?

(4) Encore idem : Ce n’est pas vrai, tu vois bien que de temps en temps je bois du Kiravi…

 


 

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01/06/2017

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